
Affaibli politiquement, le président ivoirien a fait libérer Simone Gbagbo.
C’est une pratique à laquelle il rechigne, préférant, et de loin, se pencher sur la solvabilité de la dette intérieure ou la réalisation d’infrastructures destinées à faire de la Côte d’Ivoire « une nation émergente » à l’horizon 2020, date de la fin de son deuxième et, en théorie, dernier mandat. Alassane Ouattara a finalement dû délaisser les questions économiques qui lui sont chères pour plonger les mains dans le cambouis politique ivoirien. Il y a été contraint par l’urgence.
Sans laisser filtrer le moindre signe avant-coureur d’une telle décision, le chef de l’Etat a annoncé lundi 6 août, à la veille de la fête de l’Indépendance, une large amnistie, visant principalement des personnalités politiques poursuivies ou condamnées pour leurs actes durant la crise post-électorale de 2010-2011. L’objectif affiché par le président Ouattara à travers cette « mesure de clémence de la Nation » qui concerne environ 800 personnes, dont 300 encore en détention, mais dont sont exclus « une soixantaine de militaires et de membres de groupes armés ayant commis des crimes de sang », est de « renforcer la cohésion nationale et de parachever l’œuvre de réconciliation », deux actions qui en dépit des promesses n’ont jamais été considérées comme prioritaires par les autorités.
L’amnistie la plus emblématique – et la plus surprenante pour qui connaît la détestation de M. Ouattara à son endroit – concerne Simone Gbagbo, qui fut bien plus qu’une première dame lors de la décennie où son époux présidait aux destinées du pays. Détenue depuis plus de sept ans, condamnée à vingt ans de réclusion pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », toujours sous le coup de poursuites pour « crime contre l’humanité » en Côte d’Ivoire et d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale – qui n’en a pas fini de juger Laurent Gbagbo et le chef des Jeunes patriotes, Charles Blé Goudé –, elle a recouvré, mercredi, la liberté avec le large sourire qui la caractérise et des promesses de nouveaux combats politiques.
Décrisper l’atmosphère
« Aujourd’hui, toutes les choses sont nouvelles. Militants, militantes, levez-vous ! On est partis, on est partis et on ne s’arrêtera pas », a intimé celle qui incarna la ligne plus dure du Front populaire ivoirien (FPI). Une ligne que celle qui surnommait Alassane Ouattara « le chef bandit » au plus fort de la crise de 2010-2011 ne semble pas près d’abandonner. En témoigne son hommage à Aboudramane Sangaré, gardien inflexible du temple Gbagbo durant sa détention : « Il est à l’image du FPI (…). Tu le matraques même sur les fesses, il est là ! Tu l’envoies en prison, il est là ! »
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Si elle a été unanimement critiquée par les organisations de défense des droits humains qui voient là une promotion de l’impunité, l’annonce de cette ordonnance d’amnistie poursuit un but éminemment politique : décrisper l’atmosphère au moment où le pouvoir n’a jamais paru en si grande difficulté depuis la mi-2011 et la fin du combat pour le fauteuil présidentiel qui l’opposa à Laurent Gbagbo.
En effet, les chancelleries occidentales ne portent plus un regard ébahi sur « le miracle ivoirien » et sa croissance à deux chiffres et, plus l’échéance de l’élection présidentielle de 2020 approche, plus la coalition au pouvoir se lézarde, travaillée par des ambitions concurrentes. Le titre d’un rapport des chefs de mission de l’Union européenne sur la situation politique, daté d’avril mais révélé récemment au grand public, est éloquent : « Derrière une façade rassurante, des signaux qui incitent à la vigilance. »
Destiné à prendre le pouvoir et à pérenniser cette conquête, le mariage de raison entre le Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui devait aboutir à la création d’une seule et même formation, tourne désormais au vinaigre. Après plusieurs mois d’injures publiques et de coups bas, le PDCI qui estime, contre l’avis du RDR, que la désignation du candidat pour le scrutin de 2020 lui revient a annoncé jeudi qu’il « se retire du processus de mise en place d’un parti unifié » et « présentera des candidats pour les élections municipales et régionales sous [sa] bannière ». De quoi sérieusement rebattre les cartes du jeu politique ivoirien.
Alors que le doute n’est pas levé sur les intentions du chef de l’Etat – se représentera-t-il ? Sinon, qui adoubera-t-il ? –, une petite phrase a sûrement éveillé l’attention de quelques prétendants. « Nous devons travailler pour transférer le pouvoir à une nouvelle génération, de manière démocratique, en 2020 », a dit lundi le président ivoirien lors de son allocution. Un commentaire que le président de l’Assemblée nationale et ex-chef rebelle, Guillaume Soro, 46 ans, qui s’estime injustement remercié pour l’appui militaire qu’il apporta à la victoire dans les urnes d’Alassane Ouattara en 2010, a dû apprécier. Tout comme le premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, 59 ans, fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat, et bien d’autres ambitieux dont la scène politique ivoirienne regorge.
Cyril Bensimon
Source : Le Monde
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