L’Afrique au défi d’un emballement de la dette

La trajectoire de la dette publique des pays africains s’invite au menu du G20 finances, samedi 21 et dimanche 22 juillet à Buenos Aires, en Argentine.

C’est une petite musique, inquiétante, que l’on entend résonner dans les cénacles des spécialistes du développement : la spirale de la dette menace à nouveau une partie de l’Afrique. Le phénomène est loin d’être uniforme à l’échelle du continent. Il est pourtant jugé suffisamment alarmant pour s’inviter au menu de la réunion des ministres des finances du G20, samedi 21 et dimanche 22 juillet, à Buenos Aires (Argentine), aux côtés de sujets plus propices au buzz médiatique tels que les risques de guerre commerciale ou la taxation des géants du numérique.

« Il y a une prise de conscience que l’endettement des pays les plus pauvres a beaucoup augmenté », confirme-t-on à Bercy. Et pour cause : fin 2017, la dette publique moyenne en Afrique subsaharienne atteignait 57 % du produit intérieur brut (PIB). Un quasi-doublement en cinq ans. Ce niveau demeure sans doute faible comparé aux standards occidentaux. Mais les risques de dérapage sont élevés dans des Etats qui mobilisent peu de recettes fiscales et dont les taux d’emprunt flambent à la moindre secousse.

Selon l’agence de notation S&P, les dépenses liées au service de la dette capturent 11 % des recettes des Etats du continent, contre 4 % en 2011. En Zambie, par exemple, on y consacre plus d’argent qu’à des postes tels que l’éducation.

Six pays en surendettement

 

Le Fonds monétaire international (FMI) estime que, dans la région, six pays sont désormais en situation de surendettement, contre seulement deux il y a cinq ans. Et neuf pays risquent fortement de le devenir. En 2017, le Mozambique puis la République du Congo ont fait défaut, après la mise au jour d’un empilement de dettes dissimulées au moyen de montages complexes.

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L’Afrique est-elle donc partie pour revivre les heures sombres des années 1980 et 1990 ? Et ce, moins de vingt ans après les vastes opérations d’annulation de dettes, dans le cadre de l’initiative pays pauvres très endettés (PPTE), pilotée par le FMI et la Banque mondiale ?

« On n’est pas encore dans une crise, mais on s’y achemine comme des somnambules », insiste Jamie Drummond, directeur de l’ONG One.

« Il y a des raisons de s’inquiéter », reconnaît Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du FMI. Mais celui-ci appelle à ne pas dramatiser. « La plupart des pays africains ont des niveaux d’endettement qui restent gérables, affirme-t-il, notant qu’il est question de 15 Etats en grande difficulté sur un total de 45 en Afrique subsaharienne. Si les gouvernements prennent les bonnes mesures, il est encore temps d’éviter l’emballement. »

Les situations sont très diverses selon les pays. Parmi les plus touchés figurent les exportateurs de matières premières. L’effondrement des cours, entre 2014 et 2016, a plombé l’activité et creusé les déficits. Les devises nationales se sont sévèrement dépréciées, alourdissant le remboursement des prêts contractés en dollars. Malgré la remontée des prix de l’or noir et des métaux, la reprise reste encore timide.

Le Fonds préconise d’entamer l’ajustement sans tarder. « Il ne faut pas couper dans les dépenses nécessaires au développement, insiste M. Selassie, mais d’abord tenter d’accroître les recettes fiscales. » Et, notamment, redoubler d’efforts pour améliorer le recouvrement de l’impôt.

La trajectoire de la dette n’est pas l’unique préoccupation des bailleurs internationaux. Dans leur viseur se trouve aussi le profil des créanciers. Ces dernières années, la proportion d’acteurs publics et d’institutions multilatérales a régressé au profit de prêteurs commerciaux, pratiquant des taux plus élevés. Profitant de l’appétit des investisseurs, certains Etats africains se sont rués sur les marchés pour se financer. Rien qu’au premier trimestre 2018, ceux-ci ont émis plus d’obligations que sur l’ensemble de l’année 2017 !

La Chine, créancier majeur

 

Parallèlement, la Chine est devenue un créancier majeur du continent. Selon certaines estimations, le géant asiatique représente à lui seul 14 % du stock de dette d’Afrique subsaharienne. Des emprunts souvent délivrés par le truchement d’accords de troc où l’argent frais s’échange contre du pétrole ou des ressources minières.

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« Il faut étudier comment rapprocher la Chine du Club de Paris », précise une source française, en référence à ce groupe de pays riches où se négocient des opérations de restructuration. Le G20 a déjà adopté des principes de transparence et de soutenabilité. Reste à vérifier à quel point ces engagements sont tenus. Et voir comment les étendre aux créanciers privés.

Le temps presse. « On n’est pas encore dans une crise, mais on s’y achemine comme des somnambules », insiste Jamie Drummond, directeur de l’ONG One. Il y a vingt ans, ce Britannique fut l’un des porte-voix de la société civile pour réclamer l’annulation des dettes des pays africains : « Quelle frustration et quel échec, si l’on doit passer la prochaine décennie à tenter de stopper une nouvelle crise plutôt que de parler croissance et développement ! »

Marie de Vergès

Source : Le Monde (Le 20 juillet 2018)

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