Des hauts dirigeants israéliens au service de l’ennemi

Gonen Segev n’était pas le premier à jouer un double jeu.

 

 

L’opinion israélienne est secouée par l’information qui vient de tomber et qui révèle qu’un ancien ministre israélien, Dr Gonen Segev, a été arrêté sous l’accusation d’espionnage au profit de l’Iran. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe car l’Iran est l’ennemi suprême d’Israël et nul ne pouvait imaginer qu’un Israélien, a fortiori ancien ministre, puisse trahir son pays. Les Israéliens se vantaient de l’efficacité du Mossad et glosaient sur les lacunes des services de renseignements étrangers. Mais ces derniers événements les poussent à plus de modestie car ils sont eux aussi faillibles.

Cependant ce cas n’est pas exceptionnel. Certes, de «petits» espions s’étaient déjà distingués par le passé, mais l’impact est plus grand quand il s’agit de hauts personnages de l’État qui travaillent pour des services de renseignements étrangers. Trois hauts personnages ont défrayé la chronique en Israël.

Trouble identité

 

Israël Beer, citoyen israélien d’origine autrichienne, a été arrêté en 1961 après avoir été reconnu coupable d’espionnage au profit de l’Union soviétique. Son identité n’a jamais été établie avec certitude et son judaïsme n’a pas été confirmé puisqu’il n’a jamais été circoncis. Le Mossad a estimé a posteriori que son CV était totalement faux, convaincu que le KGB avait fabriqué son personnage de toutes pièces. Aucune trace de ses parents n’a été retrouvée en Autriche; il n’a jamais obtenu de doctorat et n’a pas fait partie de l’Académie militaire. Enfin, son nom n’a jamais figuré sur les listes de la Brigade internationale.

Il avait immigré en Palestine en octobre 1938 pour rejoindre l’organisation militaire Haganah qui luttait pour l’indépendance d’Israël. À la création de Tsahal, il obtint le grade de lieutenant-colonel au sein de la Division des opérations. Il quitta brutalement l’armée en 1949, et après avoir milité dans un parti d’extrême-gauche, rejoignit le parti gouvernemental de Ben Gourion. Il avait réussi à devenir un confident de Ben Gourion, ce qui lui valut d’obtenir un poste au ministère israélien de la Défense avec le grade de colonel, et surtout d’avoir accès aux informations classifiées. À partir de 1958, il développa des relations avec les attachés militaires européens, allant jusqu’à rencontrer le général Reinhard Gehlen, chef du Service fédéral de renseignement de l’Allemagne occidentale.

Isser Harel, le chef du Mossad, l’a longtemps suspecté mais ses soupçons n’ont été confirmés qu’après l’arrestation en 1958 d’un modeste autre espion, Aaron Cohen, qui était en relation avec Beer. Il a alors mis Beer sous surveillance de Shin Bet, la sécurité intérieure. En janvier 1961, Vladimir Sokolov, membre des services de renseignements soviétiques et diplomate à l’ambassade soviétique, a été aperçu sortant de l’appartement de Beer au nord de Tel-Aviv avec une mallette de documents. Beer est resté sous surveillance jusqu’à être arrêté le 31 mars 1961. Il a alors avoué avoir été recruté par les Soviétiques. Jugé pour espionnage et condamné à dix ans d’emprisonnement, il est mort en prison en mai 1966. Son arrestation a fait grand bruit parce qu’il avait approché de près le Premier ministre Ben Gourion et qu’il détenait donc des informations vitales, transmises au KGB.

Des chemins tracés par le KGB

 

Marcus Klingberg, grand espion soviétique, a opéré en Israël pendant plusieurs années. Il est mort le 1er décembre 2015 à Paris. Il a été au centre du plus grand scandale d’espionnage à avoir défrayé la chronique en Israël, et qui a mis en évidence un échec des services secrets.

Le professeur Abraham Marcus Klingberg occupait les fonctions de directeur adjoint d’un institut dont l’existence resta secrète et couverte par la censure militaire israélienne. Il faisait partie de l’élite scientifique du pays, publiait de nombreux ouvrages et participait à des conférences internationales. Il n’aurait jamais été découvert si un espion russe, retourné par les services de renseignements israéliens, ne l’avait dénoncé. L’institut qu’il dirigeait était situé à Nes Ziona, à dix-huit kilomètres au sud de Tel-Aviv, à proximité de la centrale nucléaire civile de Nahal Soreq.

Le gouvernement israélien avait décidé en 1952 de créer ce centre de recherche sur les armes chimiques et biologiques, placé sous la responsabilité directe du Premier ministre et couvert par le secret militaire. Le mystère est encore aujourd’hui total sur la réalité des travaux de recherche et l’on ne sait pas précisément ce que fabriquait ce laboratoire. La presse locale Maariv avait cependant révélé en 1998 que des armements non conventionnels y étaient développés à base «de virus, de toxines, de bactéries et de poison de synthèse».

L’institut de Nes Ziona était intimement lié à la vie de Marcus Klingberg, qui en avait assuré la création. Né à Varsovie en 1918, il était arrivé d’URSS en 1948 à la fondation de l’État d’Israël et avait été enrôlé dans les services médicaux de l’armée. C’est à ce titre qu’il fut détaché à l’institut pour en devenir rapidement le directeur adjoint, tout en collaborant étroitement avec les services secrets soviétiques qui l’avaient programmé avant son départ pour Israël.

Libéré en 2003, au terme de sa peine, il a obtenu l’autorisation de vivre à Paris chez sa fille, Sylvia Klingberg-Brossat, mère de Ian Brossat, adjoint communiste à la marie de Paris, sous réserve de garder le silence sur ses réalisations. Pendant trente-cinq années et en toute impunité, il a inondé l’URSS d’informations vitales concernant Israël, au nez et à la barbe des puissants services israéliens de sécurité intérieure.

Le comportement sans faille d’Israël Beer et de Marcus Klingberg dénote la puissance de l’idéologie communiste insufflée à un scientifique hors pair et à un militaire. Ces deux hommes n’ont jamais dévié du chemin que leur avait été tracé le KGB, ni douté de la justesse de leur trahison contre l’État juif. Ils ont emporté dans leur tombe tous leurs secrets.

Déloyauté cupide

 

L’affaire du Dr Gonen Segev, qui vient d’être révélée, est d’une toute autre nature. Elle est crapuleuse. Il n’a aucune conviction idéologique ni politique, et n’a trahi que par l’appât du gain. Il avait tout pour réussir mais il a voulu gagner très vite beaucoup d’argent sans effort. Docteur en médecine, il avait atteint le grade de capitaine à l’armée. Il est entré en politique d’abord à l’extrême droite comme député (élu en 1992), puis en reniant ses amis et en devenant, le 9 janvier 1995, ministre de l’Énergie et de l’infrastructure dans le gouvernement travailliste d’Yitzhak Rabin pour apporter sa voix indispensable à la signature des Accords d’Oslo en 1993.

Les moyens légaux n’étaient pas suffisants pour satisfaire sa cupidité et il a été contraint de franchir la ligne rouge. En avril 2004, il a été arrêté à l’aéroport de Tel-Aviv alors qu’il tentait de passer en contrebande des milliers de comprimés d’ecstasy. Ensuite, il a été reconnu coupable dans une affaire de faux et de tentative de contrebande de drogue, et condamné à cinq ans d’emprisonnement. Les profits étaient énormes, sans commune mesure avec ceux d’un député ou d’un médecin.

Il était donc devenu une proie facile pour les services étrangers. Après avoir été libéré de prison en 2007, il est tombé entre les mains d’un Arabe de Taybeh qui l’a engagé au service du Hezbollah pendant plusieurs années. Interdit d’exercer la médecine en Israël, il s’est exilé au Nigeria où il a pu exercer librement mais où sa descente aux enfers a commencé. Il a aussi frappé à la porte de l’ambassade d’Iran pour vendre ses services durant plusieurs années. En juin 2018, le Shin Bet et la police israélienne ont annoncé qu’il avait été extradé parce qu’il était soupçonné d’espionnage. En effet, il s’était rendu par deux fois en Iran pour rencontrer ses agents traitants, qui lui ont fourni un équipement de communication secret pour coder les messages entre lui et ses gestionnaires. Il a été placé au secret en prison. On ignore l’importance des informations qu’il a fournies mais en tant que ministre, il disposait de la liste des cibles stratégiques israéliennes.

Ces trois affaires prouvent que le Mossad a mis du temps pour repérer des espions qui ont pu librement communiquer avec l’ennemi pendant plusieurs années. Cela soulève des questions et des doutes sur l’efficacité de l’agence.

Jacques Bebillouche

Source : Slate

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