L’acquittement de Bemba révèle les échecs de la Cour pénale internationale

L’acquittement de l’ex-vice-président congolais met en avant les faiblesses des dossiers soumis à la CPI.

Acquitté par la chambre d’appel de la Cour pénale internationale, Jean-Pierre Bemba se trouve en liberté provisoire. L’ex-vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) a bien quitté les murs de la prison de Scheveningen, à La Haye (Pays-Bas), dans la soirée du 12 juin, mais n’a pas rejoint son domicile de Bruxelles. La Cour doit encore se prononcer sur la peine qu’il devra purger pour avoir suborné des témoins. Il faut, en attendant, qu’un Etat l’accueille sur son sol. La Belgique, où réside sa famille, n’avait toujours pas répondu à la Cour mercredi soir, a annoncé une source au Monde. Deux autres pays ont été approchés.

L’acquittement de M. Bemba, prononcé le 8 juin, à la majorité des juges de la chambre d’appel, révèle avec force les échecs de la Cour. L’affaire Bemba fut bâtie sur un postulat politique. C’est au nom de la « stabilité » de la RDC que l’ancien procureur, Luis Moreno Ocampo, avait poursuivi Jean-Pierre Bemba il y a dix ans. Beaucoup de diplomates et d’activistes soufflaient alors à l’oreille de ce procureur. Puisque « deux crocodiles dans un même marigot » ne font pas bon ménage, il fallait mettre fin au violent face-à-face opposant Joseph Kabila, fraîchement élu à la tête de la RDC, à Jean-Pierre Bemba. C’était en 2006.

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Même si ses troupes s’étaient salement illustrées en RDC depuis 1998, le procureur avait décidé de le poursuivre pour les crimes de sa milice commis en République centrafricaine (RCA) entre 2002 et 2003. Depuis longtemps, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) recueillait de nombreux témoignages accablant les hommes de M. Bemba, envoyés soutenir le président Ange-Félix Patassé, menacé par la rébellion de François Bozizé (président de la RCA entre 2003 et 2013, après qu’un coup d’Etat l’a porté au pouvoir). L’organisation avait convaincu Bangui de saisir la Cour. Et fourni au procureur les bases d’un dossier. Mais jamais les crimes en Centrafrique et l’impunité criante dans ce pays n’ont été au cœur de la décision de l’ancien procureur. Raison pour laquelle les premiers responsables de cette guerre, Ange-Félix Patassé et François Bozizé, n’ont jamais été inquiétés.

Emotion appuyée

L’arrestation du « Chairman », comme le surnomment ses partisans, en mai 2008, à Bruxelles, empêchait son retour à Kinshasa, où il espérait se présenter pour la future présidentielle. C’est à La Haye qu’il passera les dix années suivantes. Au cours de son procès – conduit le plus souvent à huis clos – les juges avaient modifié les charges portées contre lui, avant de le condamner à dix-huit ans de prison.

La présidente, Sylvia Steiner, avait, tout au long de l’affaire, montré une émotion appuyée envers les témoins et fait preuve de clémence envers le procureur, malgré les manques de son dossier. M. Bemba avait été reconnu coupable de n’avoir ni puni ni empêché les meurtres, les viols et les pillages de ses soldats. Mais l’acquittement du 8 juin ne remet pas en cause le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique. A l’instar des anciens présidents Charles Taylor (Liberia) ou Slobodan Milosevic (Serbie), ceux qui à distance planifient et ordonnent les crimes – ce n’était pas le cas de Jean-Pierre Bemba en RCA – peuvent toujours craindre le glaive de la justice internationale.

L’acquittement de Jean-Pierre Bemba est symptomatique des faiblesses de la Cour. Encouragés par les organisations de défense des droits de l’homme, ses magistrats nourrissent une vision humanitaire de leur mandat, mais sont souvent dans l’incapacité de fournir des décisions irréprochables. Depuis ses premières enquêtes en 2004, la Cour a condamné trois miliciens, congolais et malien. Les juges ont prononcé deux acquittements et de nombreux non-lieux, dont le plus retentissant fut, en 2014, celui en faveur du président kényan, Uhuru Kenyatta.

Assistance de 1 million d’euros

 

En juillet, la Cour fêtera les 20 ans de son traité fondateur. Il lui sera difficile de faire de ces célébrations un exercice d’autosatisfaction. Elle ne pourra pas plus se cacher derrière la cause des victimes, si souvent brandie pour masquer ses errements : aucune des ordonnances en réparation n’a été à ce jour exécutée. Et les 5 229 victimes inscrites au dossier Bemba n’obtiendront pas réparation pour les horreurs de la guerre de 2002 en République centrafricaine, dont la Cour a sans relâche souligné l’horreur. Dans le sillage de l’acquittement, le Fonds de la Cour dédié aux victimes a promis une assistance de 1 million d’euros aux Centrafricains.

A l’absence de vision, l’amateurisme et l’émotion, s’ajoute la complexité de son mandat. La Cour enquête sur des pays vacillant entre guerre et paix. Et subi des pressions politiques, plus ou moins subtiles, d’Etats qui ne coopèrent que lorsque la Cour rencontre leurs intérêts stratégiques, ou à tout le moins ne les menace pas. Une fois menacés, tous les moyens sont bons pour espérer lui échapper. Dans ce bras de fer inévitable, c’est la Cour qui, par sa politique pénale bancale, fournit les armes de ses défaites successives. Persuadée d’obtenir la coopération des Etats en acceptant de se soumettre, elle n’utilise que rarement les pouvoirs réels dont elle dispose.

La procureure de la CPI n’a surtout pas fait la moindre autocritique sur les errements de l’enquête

Les attaques ont longtemps été le lot de responsables africains craignant d’être ciblés. Le cercle s’est élargi à la Russie, aux Etats-Unis et à Israël. Ils ont toujours rejeté la juridiction de la Cour et plus encore depuis l’ouverture d’une enquête sur la guerre russo-géorgienne de 2008, le dépôt d’une demande d’enquête en Afghanistan, ciblant entre autres les forces américaines, et les demandes d’intervention de la Palestine.

Vendredi, la procureure de la Cour, Fatou Bensouda, avait promis une réponse à l’arrêt de la chambre d’appel. Elle s’est bien gardée d’annoncer de nouvelles poursuites contre les commandants Mustapha Mukiza et Dieudonné Amuli, cités comme responsables par la chambre d’appel et dont les noms avaient, lors du procès, rythmé les récits des témoins. La procureure a préféré critiquer longuement cette décision de justice, ce qui ne se fait généralement pas. Elle n’a surtout pas fait la moindre autocritique sur les errements de l’enquête et n’a pas annoncé de sanctions contre ses équipes d’enquêteurs et de substituts, dont beaucoup, comme elle-même, sont issus de l’école Ocampo.

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Après l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, la Cour pourrait-elle survivre à un nouvel échec du procureur ? L’affaire Laurent Gbagbo, ouverte en 2011, présente des erreurs similaires aux autres dossiers : des vices de procédure et des accusations de « crimes contre l’humanité » bâties sur la thèse que l’ancien président ivoirien fut au centre d’« un plan commun » pour se maintenir au pouvoir. Si des crimes graves ont bien été commis en Côte d’Ivoire durant la période postélectorale de 2010-2011, les preuves présentées aux audiences ne correspondent pas à l’accusation. Depuis cinq ans, les juges alertent le bureau du procureur des impasses dans ce dossier. Rien n’y fait.

 

Stéphanie Maupas

(La Haye, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

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