Les raisons de la complicité entre la Russie et Israël

Les amis de l’un sont les ennemis de l’autre. Et pourtant, Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou ont su trouver des points d’entente.

 

Au moment même où Donald Trump annonçait sa décision de se retirer de l’accord nucléaire avec l’Iran et où Israël frappait les bases iraniennes en Syrie, Benyamin Netanyahou était officiellement invité en Russie, le 9 mai 2018, pour assister au défilé annuel du Jour de la Victoire et à la cérémonie de dépôt de couronnes sur la place Rouge –un grand honneur que lui accordait Vladimir Poutine.

Durant sa visite, le Premier ministre israélien a défendu le droit de son pays à intervenir contre les intérêts iraniens présents sur le territoire syrien. Alors que les relations avec les États-Unis sont exceptionnelles, Benjamin Netanyahou a plus souvent rencontré Vladimir Poutine que Donald Trump en 2017.

Inquiétudes partagées sur l’influence iranienne

 

C’est en homme fort, auréolé de la décision américaine de retrait de l’accord nucléaire avec Téhéran, que le Premier ministre israélien a échangé une poignée de main avec le maître du Kremlin. À l’issue de sa visite, Netanyahou a réaffirmé l’importance d’une «coordination continue» entre les militaires israéliens et russes. D’ailleurs, les officiers israéliens russophones informent directement leurs homologues russes des attaques contre les intérêts iraniens, afin d’éviter des dommages collatéraux contre l’armée russe.

En réalité, les Russes ne sont pas véritablement les amis des mollahs: ils s’inquiètent de l’influence grandissante dans la région des Iraniens, qui leur font de l’ombre en perturbant leur implantation au Moyen-Orient. Les Iraniens se sont installés en Irak et, désormais, au Liban par Hezbollah interposé, qui vient de remporter une large victoire aux élections législatives –ce qui le rend incontournable. Moscou estime que Téhéran en fait trop et qu’il ne l’aide pas sérieusement à favoriser une solution politique en Syrie.

C’est ainsi qu’une certaine complicité s’est installée entre Poutine et Netanyahou pour garantir un équilibre entre l’Iran, dont la présence est tolérée en Syrie, et Israël, autorisé à éradiquer les missiles iraniens –sous réserve que les troupes de Bachar el-Assad soient à l’abri de l’aviation israélienne et que le régime syrien ne soit pas menacé. Cette stratégie a été discutée et mise au point au cours des visites périodiques de Netanyahou au Kremlin, soit huit rencontres au cours de ces deux dernières années.

Indifférence russe sur les frappes israéliennes

 

La Russie surveille les déplacements aériens israéliens tout en fermant les yeux sur les frappes contre les bases iraniennes; ses intérêts ne sont pas visés, en particulier les structures navales à Tartous, appui logistique de la marine russe. La base est officiellement classifiée comme «point d’appui matériel et technique» pour le ravitaillement et la réparation des navires en mer Méditerranée, ce qui leur permet d’éviter d’avoir à regagner leurs bases de la mer Noire en passant par les détroits turcs. Il en est de même de la base aérienne de Hmeimim, au sud-est de Lattaquié, uniquement accessible au personnel russe. Les Russes sont à présent convaincus que, dès lors que la rébellion contre el-Assad a été matée, la présence iranienne n’est plus légitime, et même encombrante.

Poutine voit ses intérêts à long terme. Les bonnes relations entre Netanyahou et Trump confèrent au Premier ministre israélien un rôle de médiateur pour la résolution du conflit syrien, en préservant à la fois les intérêts américains et russes. En échange, Poutine peut neutraliser l’attitude agressive de l’Iran et du Hezbollah sur les confins des hauteurs du Golan.

Des chars israéliens déployés près de la frontière syrienne, sur la plateau du Golan, le 10 mai 2018 | Menahem Kahana / AFP

Les frappes israéliennes sur des positions iraniennes en Syrie, du nom de code «Château de cartes», ont été revendiquées par Israël. Pendant quatre-vingt-dix minutes, vingt-huit chasseurs israéliens ont envoyé soixante missiles, dans l’indifférence évidente de la Russie. Selon les experts militaires, l’Iran a perdu plus de la moitié de ses capacités militaires en Syrie. Dans une démarche inhabituelle, Tsahal a diffusé des images aériennes des sites iraniens ciblés par l’aviation. Il s’agit de la plus grande opération israélienne depuis la Guerre du Kippour de 1973. Des installations de stockage de missiles iraniens ont été rasées et, du même coup, les unités d’élite Al-Qods des Gardiens iraniens de la révolution ont subi de fortes pertes humaines et matérielles à al-Kiswah.

Volte-face de Moscou sur la vente d’armes à Téhéran

 

La dernière visite de Netanyahou à Moscou a été l’occasion pour lui d’informer Poutine de ses intentions militaires et d’insister pour que la Russie limite la fourniture d’armement à l’Iran. Il a obtenu gain de cause puisque, dans une volte-face surprenante, Moscou a annoncé qu’elle renonçait à vendre à l’Iran la dernière version des missiles sol-air S-300.

Les chasseurs israéliens continueront donc à disposer d’une liberté de circulation dans le ciel libanais et syrien, en l’absence de système efficace pour protéger les sites stratégiques contre des bombardements massifs au moyen d’avions de combat, de missiles de croisière ou de missiles balistiques tactiques.

Quelques jours auparavant, après les frappes américano-françaises, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait pourtant déclaré que la Russie n’avait plus d’obligation morale de retenir les systèmes anti-missiles et que les livraisons devaient immédiatement commencer.

C’était sans compter sur les efforts de Netanyahou, qui ont porté leurs fruits. Vladimir Kozhin, conseiller du président Poutine pour l’assistance militaire russe à l’étranger, a déclaré: «Pour l’instant, nous ne parlons pas de livraisons de nouveaux systèmes modernes de défense aérienne. L’armée syrienne avait déjà tout ce dont elle avait besoin».

Netanyahou avait plaidé pour que les Russes ne nuisent pas à ses capacités aériennes en Syrie, dont le but est de faire cesser les livraisons d’armes au Hezbollah. Les S-300, montés sur des camions, sont en effet conçus pour abattre des avions militaires et des missiles balistiques à courte et moyenne portée –un vrai danger pour les forces aériennes israéliennes.

Intérêts communs et realpolitik

 

Le rapprochement entre Moscou et Jérusalem, éminemment pragmatique et rempli de paradoxes, est malgré tout au service du retour de la Russie sur la scène moyen-orientale. Les deux pays ont des intérêts communs sur le plan du commerce, de l’industrie touristique, des relations interculturelles –depuis l’installation de plus d’un million de Russes en Israël, mais aussi sur le plan de la coopération pour contrer la montée de l’islamisme.

Le paradoxe veut que Poutine nourrisse de bonnes relations avec les ennemis jurés d’Israël, à savoir l’Iran, la Syrie, le Hamas et le Hezbollah. Netanyahou a besoin de Poutine non seulement pour le commerce, lucratif depuis l’embargo contre Moscou, mais surtout pour éviter la vente accrue d’armes et de missiles russes à ses ennemis. Pour Israël, il s’agit d’une question de sécurité nationale et de survie –en fait, de la pure realpolitik.

La Russie trouve son intérêt en investissant des centaines de millions de dollars pour l’achat de drones israéliens. Le transfert de technologies militaires de pointe vers Moscou sert aux Israéliens à obtenir le gel de contrats d’armement avec certains pays arabes.

Le rapprochement entre la Russie et Israël est également dû à la montée de l’islamisme et à l’internationalisation du djihad, qui constitue un enjeu de taille pour les sécurités nationales. L’endiguement de l’islamisme, qui pollue certaines régions russes comptant une forte population musulmane, est l’un des axes de la politique russe au Moyen-Orient.

Poutine et Netanyahou ont établi des relations d’affaires et diplomatiques pragmatiques, par pur opportunisme militaire. Fondées sur des questions de sécurité nationale et d’influence politique au Proche-Orient, ces relations fragiles et imprévisibles restent de l’intérêt de chacun des deux pays. Comme l’a écrit Bertrand Badie, «c’est une loi banale des relations internationales; entre États, il y a toujours un minimum de complicité dans la mesure où il y a toujours une part d’intérêts communs».

Jacques Benillouche

Source : Slate

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