Semblable à la maladie de la vache folle, cette forme qui touche les chameaux vient de faire l’objet d’une étude publiée par la revue scientifique américaine Emerging Infectious Diseases.
Une forme similaire de la maladie de la “vache folle” qui avait provoqué une grave crise sanitaire mondiale, partie du Royaume-Uni en 1996, a été récemment découverte chez des dromadaires en Algérie. C’est une première, jusque-là personne n’avait encore jamais entendu parler de maladie à prion chez les chameaux.
Le travail de recherche qui a conduit à cette découverte est publié dans le numéro de juin 2018 de la revue scientifique Emerging Infectious Diseases, publiée par l’institution publique américaine: Centers for Disease Control and Prevention.
Ce travail a pu être effectué grâce à la vigilance et à la persévérance de deux chercheurs algériens: le vétérinaire Dr Baaissa Babelhadj de l’Université Kasdi Merbah de Ouargla et le chercheur en génétique moléculaire Dr Semir Bechir Suheil Gaouar de l’université Aboubakr Belkaid de Tlemcen.
Le HuffPost Algérie a contacté les deux scientifiques, Dr Semir Gaouar a expliqué dans quelles conditions ardues ont été faites leurs recherches.
Nous y reviendrons, mais d’abord de quoi s’agit-il exactement?
C’est une nouvelle forme de maladie à prion qui est en train de se répandre silencieusement dans les cerveaux des chameaux d’Afrique du Nord depuis des années et ce qui est probablement le plus préoccupant est que ces maladies ont pour caractéristique de pouvoir se transmettre à travers différentes espèces d’animaux, ce qui pose un risque potentiel aux consommateurs humains.
L’article scientifique “Prion Disease in Dromedary Camels, Algeria” conclut sur l’urgence – pour les pouvoirs publics – de mettre en place un dispositif de surveillance et d’évaluation des risques potentiels à la santé humaine et animale.
A l’origine de ce travail de recherche – qui a culminé en un formidable travail d’équipe entre chercheurs algériens et italiens – est le docteur vétérinaire algérien Baaissa Babelhadj qui a suspecté une forme de maladie du “chameau fou” dans l’abattoir de la ville de Ouargla, où il réside et travaille.
Le docteur Babelhadj a été intrigué par les symptômes qu’il a observés chez certains dromadaires destinés à l’abattage: tremblements, agressivité (mordant et donnant des coups) hyperactivité, mouvements distincts de la tête, démarche chancelante, perte de contrôle des membres, chutes occasionnelles et difficultés à se lever.
Le travail de laboratoire et de recherche scientifique qui a été effectué par la suite en Italie, notamment par l’examen des cerveaux de trois dromadaires parvenus à l’abattoir de Ouargla, a confirmé les suspicions de Baaissa Babelhadj: tous trois cerveaux portaient des signes évidents de dépôt de prions et de lésions causées par cette forme défectueuse de protéine.
Les prions ne sont ni des virus ni des bactéries, mais des protéines à la forme défectueuse qui sont les agents responsables, chez l’homme par exemple, de maladies telle que la maladie de Creutzfeldt-Jakob et chez les bovins de la “maladie de la vache folle” (l’encéphalopathie spongiforme bovine, ESB).
Pour rappel, l’épizootie de la vache folle au Royaume-Uni avait pris une tournure dramatique en 1996, transmissible à l’homme par le biais de l’alimentation en viande, 231 victimes humaines ont été atteintes de symptômes similaires à ceux de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Pour ce qui est des dromadaires de Ouargla qui ont été examinés, il se trouve un facteur encore plus préoccupant selon les scientifiques qui ont rédigé l’article, c’est la présence du prion non seulement dans le cerveau mais également dans le système lymphatique des animaux.
“La présence des prions dans les tissus lymphoïdes est une indication de la nature contagieuse de la maladie”, expliquent les chercheurs pour qui c’est là le signe que la maladie dont sont atteints les chameaux de Ouargla leur a été transmise par un autre animal.
Selon les chercheurs, 3.1% des dromadaires qui ont été envoyés à l’abattoir de Ouargla entre 2015 et 2016 étaient atteints de cette maladie.
Quant à ce qui a causé l’apparition de cette maladie, les scientifiques affirment qu’il est encore trop tôt pour se prononcer mais une piste proposée par les deux Algériens de l’équipe semble être prise sérieusement en compte pour des investigations futures plus poussées: il se pourrait que le dromadaire atteint de cette maladie l’ait contractée en fourrageant dans les restes et déchets qui s’accumulent non loin des bases-vie où travaillent les pétroliers. A savoir en consommant des aliments contaminés par l’ESB (maladie de la vache folle).
“Nous ne sommes pas encore sûrs de cela, mais il se pourrait que ce soit le changement de régime alimentaire des dromadaires qui ait causé l’apparition de cette maladie, mon collègue le Dr. Babelhadj m’a envoyé des photos de chameaux, non loin d’une base-vie, en train de manger des saucisses… alors que nous savons tous que les chameaux ne mangent que l’herbe habituellement”, a expliqué Sémir Gaouar au HuffPost Algérie.
A la question de savoir ce que font les autorités publiques algériennes pour circonscrire cette maladie, la réponse du Dr Sémir Gaouar glace : lui-même ne sait pas exactement ce que fait le ministère de l’Agriculture, qui est l’autorité publique qui devrait aujourd’hui être en alerte sur ce dossier.
Pourquoi le ministère de l’Agriculture algérien ne travaille-t-il pas en étroite collaboration avec les deux chercheurs algériens qui ont détecté les symptômes? Eux qui ont surveillé et suivi les animaux depuis 2014? Et qui ont fait appel aux scientifiques italiens pour les aider à savoir si réellement il s’agit d’une maladie à prion?
Cela semblerait absurde et contre-productif de ne pas travailler avec ceux qui connaissent le mieux cette maladie et pourtant c’est bien ce qu’a décidé de faire le ministère de l’Agriculture.
Selon le Dr Sémir Gaouar, le ministère de l’Agriculture est même allé jusqu’à envoyer un avertissement au ministère de l’Enseignement supérieur, lorsqu’il a appris par les autorités publiques italiennes qu’une nouvelle maladie à prion touchant les dromadaires a été découverte en Algérie.
“On a proposé notre collaboration par le biais de notre ministère de l’Enseignement supérieur, mais jusqu’à présent nous n’avons aucune réponse. Ils sont en train de travailler tout seuls”, affirme encore Dr Gaouar qui se désole que tous ne joignent pas leurs efforts dans un même but d’efficacité. Lire l’entretien avec Sémir Gaouar ci-dessous.
Le HuffPost Algérie a contacté le ministère de l’Agriculture à plusieurs reprises, malheureusement il n’a pas encore été possible de parler au directeur du service vétérinaire.
Entretien avec le chercheur en génétique moléculaire, docteur Semir Bechir Suheil Gaouar (Laboratoire de physiopathologie et biochimie de la nutrition. Université Aboubakr Bélkaid, Tlemcen, Algérie)
Semir Gaouar: Le changement de régime alimentaire des dromadaires pourrait avoir causé la maladie du “chameau fou”
Le HuffPost Algérie: Vous avez découvert une maladie à prion chez les dromadaires à Ouargla, pourquoi est-ce une première?
Sémir Gaouar: Les maladies à prion sont présentes chez d’autres animaux mais c’est la première fois qu’on la découvre chez le dromadaire.
Lorsque le Dr Baaissa Babelhadj m’a dit qu’il soupçonnait l’apparition d’une maladie du “chameau fou”, je lui ai dit: mais non, c’est impossible. On avait commencé à en parler en 2014. Devant son insistance, on a extrait le cerveau d’un animal malade et on a pu voir les lésions.
A mon tour, j’ai contacté une équipe de chercheurs italiens avec qui j’ai travaillé auparavant sur la tremblote du mouton. Lorsque je leur ai dit que nous pensions avoir observé une maladie à prion chez les dromadaires, ils étaient plus que sceptiques, eux aussi.
Y a-t-il une possibilité que cette maladie puisse être transmise à l’homme, comme pour la vache folle?
Nous ne savons pas encore si cela peut se transmettre à l’homme, il faut d’autres examens.
Vos recherches continuent donc?
Oui nous continuons: deux doctorantes de mon équipe travaillent en ce moment sur les gènes des dromadaires. Elles travaillent en collaboration avec le docteur Gabrielli Vaccari et son équipe de l’Instituto Superiore di Sanità de Rome.
Nous sommes en train d’étudier le gène responsable de la résistance contre cette maladie pour savoir s’il y a des génotypes résistants pour informer les éleveurs afin qu’ils ne gardent que les animaux qui sont résistants. C’est le meilleur moyen de prévenir l’apparition de la maladie chez l’humain, parce qu’il y a un risque de transmission de la maladie du dromadaire vers l’homme.
Vous voulez savoir si nos dromadaires algériens pourraient développer une résistance à ce prion, c’est cela? Auquel cas, nous ne devrions pas nous inquiéter d’une quelconque épidémie qui menacerait les humains?
Oui, plus tard, dès la naissance des animaux, sur une simple prise de sang, on va analyser l’ADN et savoir quel est l’animal qui sera résistant de celui qui sera sensible et il s’agira d’éliminer les animaux sensibles très tôt et protéger ainsi la population humaine.
Avez-vous des indications qui montreraient que ce prion touche des dromadaires en dehors de Ouargla?
Non, jusqu’à présent, tous les cas qu’on a remarqués sont dans la région de Ouargla.
Vous avez fait des recherches partout ailleurs où il y a des dromadaires en Algérie?
Malheureusement non.
Vous n’avez pas lancé des alertes au niveaux de tous les abattoirs du pays?
Non malheureusement, le ministère de l’Agriculture nous a donné un avertissement donc on n’a pas pu travailler avec les abattoirs. On a proposé notre collaboration par le biais de notre ministère de l’Enseignement supérieur, mais jusqu’à présent nous n’avons aucune réponse. Ils sont en train de travailler tout seuls.
Mais c’est incroyable!….
Oui…. ils nous ont même donné un avertissement, parce qu’on a découvert cette maladie….
Ils vous ont donné un avertissement pour dire quoi?
Pour nous dire: pourquoi vous avez travaillé sur cette maladie sans concertation avec nous… “vous travaillez avec les Italiens”… “pourquoi vous avez découvert cette maladie sans nous le dire”, alors que nous, nous avons toujours essayé de travailler avec eux mais ce sont eux qui ne nous ouvrent pas les portes.
Je vais vous raconter comment cela s’est passé depuis le début:
On a commencé le travail, Dr Babelhadj et moi et comme on n’a pas les moyens d’être sûrs que c’est une maladie à prion, on a fait appel aux Italiens. C’est un groupe de chercheurs avec qui j’ai déjà travaillé auparavant. Ils nous ont donc aidés à identifier la maladie. Lorsque la maladie a été identifiée, le ministère de la Santé italien a prévenu le ministère de l’Agriculture algérien.
Cela les a mis en colère. Ils ont fait pression sur Babelhadj, ils ont voulu saisir son ordinateur.
Personnellement, ils ne m’ont pas contacté, ils ont contacté le ministère de l’Enseignement supérieur. Le recteur de mon université a été convoqué. Nous y sommes allés tous les deux, et nous avons été très bien accueillis par les responsables du ministère de l’Enseignement supérieur. Mais cette convocation faisait suite à l’avertissement lancé par le ministère de l’Agriculture au ministère l’Enseignement supérieur: pourquoi ces deux chercheurs ont préféré travailler avec les Italiens et divulguer la présence de la maladie?
Donc au lieu de nous encourager et de travailler avec nous, ils préfèrent faire des investigations tout seuls.
Mais alors, est-ce que vous avez les moyens de savoir si des dromadaires hors de Ouargla peuvent être atteints?
Jusqu’à présent on a lancé des petites enquêtes avec l’aide des doctorants, notre réseau de recherche, mais il est évident que le meilleur moyen de le faire est de travailler avec le ministère de l’Agriculture, lancer une alerte au niveau de tous les abattoirs et savoir si cette maladie existe ailleurs.
Est-ce que cela veut dire que les autorités publiques algériennes ne sont pas en alerte sur ce dossier?
Normalement ils sont en alerte, ils sont en train de faire des investigations, mais ils ne veulent pas nous donner d’informations.
Source : HuffPost Maghreb Algérie
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