Washington, Paris et Londres frappent Damas en représailles

Les Occidentaux ont bombardé des sites militaires et un centre de recherche, liés -au programme d’armes chimiques de Damas, une semaine après l’attaque de Douma.

 

La  » ligne rouge  » a-t-elle été rétablie ? La question restait entière au lendemain de la riposte occidentale, dans la nuit du 13 au 14  avril, au bombardement chimique imputé au régime syrien de la ville alors rebelle de Douma, le 7  avril, qui a causé la mort d’une cinquantaine de personnes et fait plusieurs centaines de blessés. Les frappes sont restées circonscrites et centrées sur la destruction de sites liés au programme chimique du régime.

Après quatre jours d’attente, électrisés ponctuellement par les messages contradictoires publiés par le président des Etats-Unis, Donald Trump, sur son compte Twitter, l’armée de l’air américaine est passée à l’action en début de soirée, à Washington, appuyée par des avions de combat français et britanniques.

Les  » crimes d’un monstre  »

Les bombardements de trois sites liés, selon le Pentagone, au programme d’armement non-conventionnel syrien à Damas et à Homs, ont été accompagnés par une intervention télévisée de Donald Trump au cours de laquelle il a évoqué des  » frappes précises  » et répété les justifications avancées depuis le début de la semaine.  » Il y a un an, – le président syrien Bachar Al- – Assad a  lancé une attaque sauvage aux armes chimiques contre son propre peuple. Les Etats-Unis ont réagi avec cinquante-huit frappes de missiles qui ont détruit 20  % de l’armée de l’air syrienne « , a assuré le président des Etats-Unis.

 » Samedi – 7  avril – , le régime Assad a de nouveau déployé des armes chimiques pour massacrer des civils innocents « , a-t-il poursuivi, qualifiant ces opérations de  » crimes d’un monstre «  qui ont rendu  » nécessaire le rétablissement d’une puissante dissuasion contre la production, la dissémination et l’utilisation de substances chimiques « .  » C’est d’un intérêt vital pour la sécurité nationale des Etats-Unis « , a ajouté Donald Trump.

Peu après, l’Elysée annonçait que le chef de l’Etat avait donné l’ordre aux forces armées françaises de participer à l’opération.  » Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute « , a estimé le chef de l’Etat dans un communiqué, soulignant que  » la ligne rouge fixée par la France en mai  2017 a été franchie « .  » Notre réponse a été circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l’emploi d’armes chimiques « , a-t-il poursuivi, insistant sur le fait que  » nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l’emploi d’armes chimiques, qui est un danger immédiat pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective « . L’état-major français a engagé plusieurs chasseurs Rafale et des Mirage 2000 et, pour la première fois, des missiles de croisière navals ont été utilisés.  » On ne peut pas garantir à 100  % qu’on ait frappé tous les stocks, mais les outils de production et de recherche l’ont été « , assure Paris.

A Londres, la première ministre britannique, Theresa May, a affirmé qu’il n’y avait  » pas d’alternative à l’usage de la force « , assurant que  » tous les recours diplomatiques «  avaient été explorés, en vain. Le ministère de la défense britannique a annoncé avoir frappé, à l’aide de quatre avions de chasse Tornado GR4 de la Royal Air Force.

Au cours des jours précédents, marqués par les rodomontades de Donald Trump, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, avait fait ouvertement part de son souci d’éviter un engrenage périlleux.  » Sur le plan stratégique, comment pouvons-nous empêcher que cela ne devienne incontrôlable ? « , s’était-il demandé, la veille, au cours d’une audition au  Congrès. Le nombre et la nature des frappes occidentales ont donné l’impression que sa volonté de limiter les risques a finalement prévalu. Cette préoccupation reste aussi celle des autorités françaises. Paris rappelle d’ailleurs, dans son communiqué, la nécessité de relancer  » les efforts aux Nations unies pour permettre la mise en place d’un mécanisme international d’établissement des responsabilités, prévenir l’impunité et empêcher toute velléité de récidive du régime syrien « .

 » Nous avons été très précis, et la réponse était proportionnée mais, en même temps, ce fut une frappe lourde « , a assuré James Mattis, selon lequel les forces américaines ont employé deux fois plus de munitions que lors de l’opération d’avril  2017, lorsque cinquante-neuf missiles de croisière avaient visé la base aérienne d’Al-Chaayrate, après l’attaque chimique du village de Khan Cheikhoun. Par son ampleur relative, cette réponse s’inscrit dans la continuité.

Alors que le président des Etats-Unis avait assuré, quelques instants plus tôt, que son pays était  » prêt à poursuivre cette réponse jusqu’à ce que le régime syrien cesse d’utiliser des produits chimiques interdits « , James Mattis a précisé que les  » frappes  » de vendredi étaient  » ponctuelles « . Le chef d’état-major américain Joseph Dunford a renchéri en précisant qu’elles avaient été conduites jusqu’à leur terme.

Eviter de toucher les forces russes

 

Le secrétaire à la défense a assuré que les cibles avaient été choisies en fonction de leur lien avec le programme d’armes chimiques développé selon lui par la Syrie, en violation à  l’accord de désarmement chimique conclu en  2013. Selon l’état-major américain, les forces occidentales ont visé trois cibles liées au programme d’armement chimique syrien, l’une près de Damas et les deux autres dans la région de Homs, dans le centre de la Syrie. Les Britanniques ont notamment indiqué avoir frappé un complexe militaire – une ancienne base de missiles – à 24 kilomètres à l’ouest d’Homs,  » où le régime est supposé conserver des armes chimiques « . Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), des centres de recherche scientifique,  » plusieurs bases militaires «  et des locaux de la garde républicaine à Damas et ses environs ont été pris pour cibles.

Les Américains comme les Français et les Britanniques ont choisi leur cible afin d’éviter de toucher les forces russes qui disposent d’une base navale à Tartous et d’une base aérienne à Hmeimim, près de Lattaquié, mais qui sont aussi déployées sur de nombreux sites militaires du régime. Moscou avait fait savoir qu’en cas de risques pour ses troupes, sa riposte ne manquerait pas,  » aussi bien contre les missiles que leurs vecteurs «  – les avions et navires occidentaux engagés. Un peu plus tôt dans la journée, Donald Trump avait invité la Russie et l’Iran à reconsidérer leur alliance avec le régime syrien.  » Quel genre de nation veut-elle être associée au meurtre de multitudes d’hommes, de femmes et d’enfants innocents ? « , s’était-il demandé.

La ministre française de la défense, Florence Parly, a assuré que les forces russes avaient été averties afin d’éviter que leurs hommes ne soient touchés et tout risque d’escalade.  » Aucun des missiles de croisière tirés par les Etats-Unis et par leurs alliés n’est entré dans la zone de responsabilité des défenses aériennes russes qui protègent les installations à Tartous et à Hmeimim « , a reconnu le ministère russe de la défense. Les Russes n’ont donc pas utilisé leur puissant système de défense antiaérien, notamment leurs missiles S-400. Les forces occidentales ne se sont heurtées qu’à la défense antiaérienne syrienne.

James Mattis a affirmé que les sites avaient été déterminés également pour éviter des risques collatéraux pour les populations civiles. Aucun bilan matériel ou humain de ces frappes n’était disponible samedi à l’aube. Interrogé à propos du produit utilisé à Douma le 7  avril, le secrétaire à la défense a fait part de ses certitudes concernant le chlore, abondamment utilisé ces derniers mois contre les zones rebelles, tout en se refusant d’exclure à ce point la présence d’un agent neurotoxique.

Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a appelé samedi, tous les Etats membres de l’ONU  » à faire preuve de retenue dans ces circonstances dangereuses et à éviter tous les actes qui pourraient entraîner une escalade de la situation et aggraver les souffrances du peuple syrien « . La veille, la Russie avait imposé la tenue d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité pour tenter de dissuader les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni de recourir à des frappes en Syrie qui paraissaient inéluctables.

Avant d’entrer en séance, Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU, a indiqué que Washington, Londres et Paris détenaient la preuve de l’utilisation de gaz toxiques à Douma.  » A un moment donné, vous devez faire quelque chose. Vous devez dire : c’en est assez « , a-t-elle justifié. Son pays a comptabilisé  » pas une, pas deux, mais pas moins de cinquante attaques chimiques  » menées par le régime de Damas. L’ambassadrice a aussi souligné les douze veto russes utilisés depuis le début de la guerre pour empêcher à ses yeux toute action de l’ONU en Syrie. Cette supposée attaque chimique  » n’est qu’un prétexte « , a balayé le représentant russe à  l’ONU, Vassily Nebenzya, qui a répété avoir reçu des rapports d’habitants de Douma qui  » n’ont rien vu « . Le bombardement chimique incriminé serait selon lui  » une provocation des services de renseignements de certains pays « .

 » Restaurer le droit « 

 

François Delattre, l’ambassadeur français à l’ONU a  indiqué que Paris n’avait  » aucun doute sur la responsabilité de Damas dans cette attaque « . Il a motivé la riposte occidentale par le risque d’effondrement du régime de non-prolifération, les nombreuses violations du droit international et de la convention sur l’interdiction des armes chimiques.  » Laisser se banaliser – les armes chimiques – sans réagir, c’est laisser le génie de la prolifération sortir de sa bouteille « , a-t-il plaidé avant d’estimer que  » le 7  avril, le régime a atteint un point de non-retour « . Ces frappes doivent permettre de  » restaurer l’interdiction absolue des armes chimiques qui est gravée dans le marbre des conventions internationales, et consolider ce faisant la règle de droit « .

Un certain nombre de diplomates ont souligné pourtant la contradiction de vouloir  » restaurer le droit  » tout en s’affranchissant des bases légales pour justifier une attaque : un mandat de l’ONU, la légitime défense selon l’article  51 de la charte des Nations unies ou l’invitation du pays hôte. La coalition qui a frappé en Syrie dans la nuit du 13 au 14  avril ne disposait d’aucune des trois, sans de surcroît être assurée de parvenir durablement à ses fins.

Marie Bourreau, Gilles Paris, et Marc Semo (à Paris)

 

Source : Le Monde

 

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