Calimero sur les bords, le Portugais se vivait comme un incompris par une foule, pensait-il, aveugle face à son talent et à ses performances. « C’est parce que je suis riche, beau et que je suis un grand joueur qu’on me siffle. Les gens sont jaloux de moi. Je ne vois aucune autre explication », lâchait-il après un match du Real Madrid à Zagreb en 2011, blessé par les sifflets du public croate et les « Messi, Messi » descendant des tribunes.
Passé le temps de la stupéfaction engendrée par son second but, le public turinois a lui applaudi celui qui venait sans doute de ruiner les chances de qualification de son équipe pour les demi-finales. Il y a bien sûr la magie de l’instant et l’intelligence émotionnelle d’une foule, mais on peut y voir aussi une parabole sur la nouvelle perception générale du joueur et du personnage. Ronaldo a forcé cette admiration par ses statistiques affolantes, bien sûr, mais aussi par sa volonté de fer de refuser son déclin physique ou en se réinventant sur le terrain. Mais cela ne dit pas tout.
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Parce qu’il travaillait plus que les autres — ce que tous ses entraîneurs et coéquipiers reconnaissent — Ronaldo pensait que l’amour et le respect du public allaient automatiquement de pair. Il ne comprenait pas pourquoi le mauvais rôle lui revenait dans cette rivalité qui l’obsède avec Lionel Messi, quand l’Argentin donne le sentiment de flotter au-dessus avec l’indifférence et le mutisme qui le caractérisent.
Un garçon qui pleure
Alors que Messi est une page blanche sur laquelle on ne sait jamais trop quoi écrire, en dehors de son génie sportif, Ronaldo a toujours été un livre ouvert. Les joies, les peines, les caprices : tout est raconté et surligné. Le natif de Madère est à la fois ce coéquipier apprécié de tous, un philanthrope discret mais généreux, un cadet prévenant ouvrant un musée à sa gloire à Funchal, pour mieux le confier à son frère aîné, qui se bat contre la toxicomanie, mais il est aussi un contribuable fâché avec le fisc espagnol et capable dans le même temps de se plaindre auprès du magazine Forbes d’avoir… sous-estimé sa fortune.
Dans le fond, le personnage est touchant par ses contradictions et par sa maladresse, qui contrastent avec cette armure de muscles forgée avec les années. Reviennent alors en mémoire ses larmes qui jalonnent sa carrière depuis la finale perdue par son Portugal (à domicile) contre la Grèce, en 2004, jusqu’à celles après sa sortie prématurée face aux Bleus douze ans plus tard. « J’ai le visage qui brille ? C’est normal, j’ai beaucoup pleuré aujourd’hui », s’excusera-t-il après la victoire. Il avait passé les dernières minutes de cette finale sur le banc de touche, un genou bandé, à haranguer tel un possédé ses coéquipiers, laissant le rôle de héros de la nation à Eder, qui passait par là.
Ce soir-là, à Saint-Denis, au milieu d’une nuée de papillons, le monde découvrait une star touchante, altruiste, un « millionnaire en short » peut-être, mais heureux comme un gamin d’avoir donné à son petit pays de 10 millions d’habitants ce moment de bonheur.
Le lendemain, Cristiano Ronaldo partait pour Lisbonne avec sur le siège voisin le trophée du vainqueur et postait sur son compte Instagram une photographie avec ce commentaire : « Te amo. » Difficile de complètement détester cet homme-là.
Alexandre Pedro
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