Afrique : des Constitutions encore trop «gauloises»

Les textes fondateurs des Républiques africaines francophones ont été très inspirés par celui de la Ve République. Souvent, les dictateurs en place ont fait sauter la limitation de leur mandat. Sans qu’aucun dirigeant français ne s’en insurge.

 

Sur le continent africain, la révision constitutionnelle est une épidémie qui se transmet de palais présidentiel en palais présidentiel. L’un après l’autre, une minorité non négligeable de dirigeants cèdent aux sirènes de l’autocratie. Car la principale raison de la modification de la Loi fondamentale de leur pays est de pouvoir s’installer de manière durable au pouvoir (2033 pour Idriss Déby au Tchad et 2034 pour Pierre Nkurunziza au Burundi), en faisant sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Sauf que leur putsch institutionnel se heurte bien souvent à la résistance de populations excédées face à ce refus de l’alternance démocratique. Cette actualité est un bon prétexte pour s’intéresser à ces textes qui focalisent toutes les attentions.

Le constat est sans appel : la quasi-totalité des Constitutions d’Afrique francophone ressemblent comme deux gouttes d’eau à la Constitution française de 1958. Ainsi, des pans entiers du texte élaboré sous l’autorité de Michel Debré ont traversé la Méditerranée. Par exemple, l’article 53 de la Constitution hexagonale, relative aux traités internationaux, devient mot pour mot l’article 115 de la Constitution du Mali de 1992, les articles 137 et 138 de la Constitution du Togo de 1992, l’article 219 de la Constitution du Tchad de 1996. De plus, l’architecture du régime semi-présidentiel français est systématiquement copiée, avec les mêmes institutions.

Bien sûr, l’emprise aussi bien politique qu’intellectuelle qu’exerce encore la France sur ses anciennes colonies peut justifier ce mimétisme regrettable. Dans les années 60, ce furent d’ailleurs de jeunes auditeurs du Conseil d’Etat hexagonal qui se virent confier la rédaction des Lois fondamentales de ces pays tout juste affranchis du joug de la métropole ; et ils ne se firent pas prier pour façonner un droit on ne peut plus «gaulois».

Les pères des indépendances, les premiers présidents, applaudirent des deux mains. Il faut dire que la plupart d’entre eux avaient siégé au Palais-Bourbon sous la IVe République, et étaient encore imprégnés des réflexes institutionnels de l’ancien colonisateur. Même après le discours de La Baule de Mitterrand, en 1990, les nouvelles Constitutions, qui devaient sanctuariser le processus de démocratisation alors à l’œuvre en Afrique francophone, entretinrent une étroite filiation avec le texte fondateur de 1958.

Seule différence notoire, qui s’est accentuée au fil du temps : la nature du régime. Les vocations de Caligula de certains dirigeants africains les ont amenés à modifier la Constitution pour renforcer les prérogatives dévolues au président. En abrogeant la limitation des mandats (ou en adoptant après plusieurs décennies de règne une limitation non rétroactive), ils ont affiché leur intention de passer leur vieillesse sous les ors du pouvoir, avant de le céder à leur descendance. Là encore, à plusieurs reprises, des constitutionnalistes français ont agi en coulisses.

En 2005, Faure Gnassingbé succède à son père, Gnassingbé Eyadéma, ex-tortionnaire de la Coloniale en Algérie et président du Togo depuis 1967. Pour qu’il puisse prendre les rênes du pays en attendant l’organisation d’élections truquées, les militaires togolais font appel à Charles Debbasch, professeur de droit à l’université d’Aix-Marseille, pour orchestrer «un tripatouill age constitutionnel».

Dans une interview accordée en juin 2017, le président tchadien Déby assure avoir voulu céder sa place en 2006, mais selon ses dires, «la France serait intervenue pour changer la Constitution» en retirant la limitation des mandats. Contraint et forcé, Déby serait donc resté au pouvoir. Derrière le caractère sans doute outrancier de l’accusation, n’en demeure pas moins l’hypothèse d’une collusion entre l’Elysée et les potentats locaux pour modifier les Lois fondamentales à des fins non démocratiques. En 2015, le Congolais Denis Sassou-Nguesso a pu promulguer sa nouvelle Constitution à la suite d’un référendum des plus controversés, sans que François Hollande ne s’insurge. Emmanuel Macron, lui, reste muet sur les manipulations du même type en cours au Togo et au Tchad.

L’Afrique avait déjà été en avance sur l’Occident lorsqu’en 1222, l’Empereur du Mali, Soundiata Keïta, proclama la charte du Manden, une des premières déclarations des Droits de l’homme connues, bien avant 1789. Les textes constitutionnels d’aujourd’hui ne doivent plus être ce bout de papier déchiré à l’envi pour satisfaire la soif de pouvoir de quelques-uns. Les Lois fondamentales d’Afrique francophone doivent devenir le socle permettant à l’Etat-nation d’achever sa formation, en garantissant l’alternance démocratique.

Elles doivent, de plus, abandonner cette gémellité avec le modèle français pour s’adapter aux réalités locales. Les Sénats pourraient devenir le lieu de représentation des différentes composantes traditionnelles de la société, celles-là mêmes que les Constitutions d’inspiration coloniale ont ignoré. Pourraient notamment y siéger les chefs coutumiers et les autorités religieuses, qui jouent bien plus qu’un rôle spirituel, comme c’est le cas en république démocratique du Congo.

Quoi qu’il en soit, l’ensemble des institutions doivent être pensées en termes de légitimité et non d’opportunité pour un dirigeant d’y nommer ou d’y faire élire ses proches. Il est aussi nécessaire que l’indépendance des conseils ou cours constitutionnels soit garantie par un nouveau mode de désignation de ses membres, afin d’éviter que ne se reproduisent des scénarios à la gabonaise, où la présidente de la Cour constitutionnelle de la République du Gabon, et belle-mère de l’actuel chef d’Etat, Marie-Madeleine Mborantsuo, avait validé l’élection très décriée de son beau-fils en 2016.

En somme, l’accession pleine et entière des pays d’Afrique francophone à la souveraineté ne se fera pas uniquement en sortant du franc CFA ou en mettant fin à la Françafrique, mais aussi en adoptant des Constitutions qui aient leur propre identité. Une identité résolument africaine.


Thomas Dietrich
écrivain
Source : Libération (France)

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