Mauritanie : Rapport sans complaisance de Human rights watch

Pas facile d’être un défenseur des droits de l’homme en Mauritanie, constate le nouveau rapport de l’Ong Human rights watch (HRW) qui sort ce lundi et qui est consacré à ce combat dans ce pays où l’esclavagisme demeure une terrible réalité.

 

« Les défenseurs des droits humains en Mauritanie font face à la répression lorsqu’ils soulèvent les problèmes sociaux les plus sensibles du pays », exprime d’entrée l’ONG.

 

Le rapport intitulé « Ethnicité, discrimination et autres lignes rouges: la répression des défenseurs des droits de l’homme en Mauritanie », fait une septantaine de pages. Il se penche sur le cadre juridique qui permet au gouvernement mauritanien de refuser – trop facilement – la reconnaissance légale aux associations qui pourraient le déranger, en avançant des critères comme : « Propagande anti-nationale » ou « influence indésirable sur l’esprit du peuple ».

 

Sans reconnaissance légale, ces associations éprouvent les pires difficultés pour vivre au quotidien. Tout devient compliqué; de la location d’une salle pour une réunion à l’obtention de  l’autorisation de manifester pacifiquement, ou d’obtenir des financements de donateurs étrangers.

 

HRW met aussi en lumière le fait que si les autorités autorisent une certaine dose d’activime pour la défense des droits de l’homme (l’ONG a ainsi pu mener ses deux visites de travail pour la rédaction de ce rapport sans encombres), elles multiplient les obstacles et les poursuites dès que les militants tentent de s’attaquer aux problèmes sociaux les plus pressants du pays.

 

Pour illustrer ses propos, HRW évoque le cas du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, condamné pour apostasie. L’homme risquait la peine de mort parce qu’il critiquait l’utilisation de la religion pour justifier la discrimination.

 

Autres cas emblématiques : ceux de Abdallahi Saleck et Moussa Bilal Biram, militants d’un groupe anti-esclavagiste, condamnés à deux ans de prison après un procès clairement inéquitable.

 

La question de l’esclavagisme

 

HRW se penche inévitablement sur la problématique de l’esclavagisme, véritable fléau dans ce pays. Officiellement, la Mauritanie a interdit l’esclavage en 1981, a criminalisé sa pratique en 2007 et a créé des tribunaux spécialisés en 2015 pour poursuivre les cas d’esclavage.

 

Les autorités affirment que l’éradication de l’esclavage a été couronnée de succès. Pour elles, le défi aujourd’hui consiste à éradiquer les effets socio-économiques durables, ou les héritages de l’esclavage. Les deux principales associations non gouvernementales anti-esclavagistes du pays, SOS-Esclaves et Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), contestent ce discours officiel en affirment que l’esclavage continue à être pratiqué. Si SOS Esclaves a un statut légal et un discours plus modéré, l’IRA, plus agressif, fondé en 2008, a été privé de reconnaissance légale. Son président, Biram Bah Abeid, maintient que l’esclavage, loin d’être éradiqué, touche 20% de la population mauritanienne; il dénonce également la sous-représentation de Haratines et d’autres Noirs dans des postes de responsabilité au gouvernement…

 

 

Lire le rapport complet : mauritanie (Version anglaise)

 

Hubert Leclecrq

 

Source : La Libre.be Afrique (Belgique)

 

 

Ethnicité, discrimination et autres lignes rouges

Répression à l’encontre de défenseurs des droits humains en Mauritanie

 

Résumé

 

La population de la Mauritanie est largement hétérogène ; les questions de caste et d’ethnicité sont à l’origine de nombreux problèmes de droits humains parmi les plus délicats et les plus profondément enracinés dans ce pays.

Le présent rapport examine comment les autorités mauritaniennes traitent les organisations qui mènent des campagnes relatives aux questions de la discrimination ethnique et de caste, de l’esclavage et de son héritage ainsi que des abus du passé ayant ciblé des groupes ethniques spécifiques. Ce rapport évalue l’ampleur de leur liberté de s’exprimer, de s’assembler et de s’associer l’une à l’autre, ainsi que les mesures répressives et restrictives auxquelles elles font face. Ces dernières comprennent les lois et les politiques employées pour priver ses associations de leur statut juridique, restreindre leurs activités et, dans certains cas, emprisonner leurs membres. Ce rapport décrit également deux procès importants de Mauritaniens poursuivis en justice pour avoir dénoncé la discrimination et les atrocités du passé, des procès qui montrent le degré de sévérité que pourrait atteindre le châtiment frappant les personnes qui soulèvent ces questions délicates.

Les hauts responsables du gouvernement qui ont rencontré une délégation de Human Rights Watch ayant visité le pays en mars 2017, ont affirmé que l’existence de milliers d’organisations non gouvernementales (ONG) enregistrées dans le pays est une preuve du dynamisme de la société civile mauritanienne ainsi que du respect des droits humains par les autorités. « Il n’y a pas de restrictions imposées à la société civile ou sur ses activités, ceci tant que leurs conduites et leurs discours se conforment au cadre légal et procédural objectif », a ultérieurement écrit à Human Rights Watch le ministre de la Justice Brahim Ould Daddah (voir Annexe II).

Les cas regroupés dans ce rapport contredisent ces allégations de tolérance et révèlent qu’il y a des limites à la dissidence. L’un des instruments de la répression est la Loi relative aux associations promulguée en 1964, loi qui exige que les groupes obtiennent l’autorisation du ministère de l’Intérieur pour exister légalement et qui fournit au ministère des motifs généraux pour refuser une telle autorisation ou la retirer aux groupes tombés en défaveur. Selon cette loi, les motifs d’un refus comprennent la « propagande antinationale » ou l’exercice d’une « influence fâcheuse sur l’esprit des populations ».

Les associations non reconnues légalement peuvent opérer à l’intérieur de certaines limites mais se heurtent toutefois à des risques et obstacles majeurs. Par exemple, les hôtels et les lieux publics refusent généralement de leur louer des salles pour organiser des réunions, des bailleurs de fonds gouvernementaux comme l’Union européenne s’abstiennent de les financer et des militants ont parfois été condamnés à des peines d’emprisonnement pour la simple raison de leur appartenance à ces associations.

En 2016, le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi qui remplacerait la Loi de 1964. En cas d’adoption, le projet interdirait la création de toute association dont les activités « portent atteinte à l’unité nationale ». Les autorités mauritaniennes ont déjà eu recours à ce motif pour justifier leur obstruction des activités d’individus et d’associations, invoquant l’article 1 de la Constitution qui entérine le principe de non-discrimination en matière d’origine et de race et interdit « toute propagande particulariste de caractère racial ou ethnique.».

La diversité ethnique de la Mauritanie reflète sa localisation géographique qui en fait un pont entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest subsaharienne. La population se compose de trois groupes ethniques principaux, bien que des sous-groupes et des distinctions importantes nuancent chacun. Les deux premiers de ces groupes, qui représentent ensemble environ 70 % de la population, parlent le dialecte arabe local connu sous le nom de hassanya. Les Beydanes, qui constituent le premier des deux groupes parlant le hassanya, sont les descendants des conquérants arabes et berbères. Les Haratines sont le second et le plus grand groupe de ceux qui parlent le hassanya. Ce groupe se compose principalement d’anciens esclaves à la peau plus foncée et de leurs descendants. Le troisième groupe, dont les membres sont souvent désignés comme Afro-mauritaniens ou Négro-mauritaniens, est composé de plusieurs groupes ethniques dont les langues maternelles sont des langues africaines plutôt que l’arabe.

D’une manière générale, les activistes haratines ont tendance à se focaliser sur la question de l’esclavage et de ses séquelles, ce qui comprend les formes d’asservissement extrêmes, la pauvreté, l’exclusion et les efforts inadéquats de l’État pour résoudre ces problèmes. Quant aux Négro-mauritaniens, l’une de leurs préoccupations majeures est ce qui est désormais connu sous le nom de Passif humanitaire, terme euphémique désignant les agressions sponsorisées par l’État contre des membres de sa population entre les années 1989 et 1991 ; ces agressions comprennent des exécutions sommaires, des expulsions vers le Sénégal, des expropriations de terres ainsi que des discriminations et des exclusions qui persistent depuis cette période. De nombreux Haratines et Négro-mauritaniens ont des raisons communes de se plaindre d’un processus national en cours, lancé en 2011, qui vise à enregistrer officiellement les citoyens mauritaniens, un processus que certains accusent de favoriser les Beydanes qui dominent la vie politique et économique du pays. Le gouvernement nie que le processus d’enregistrement soit discriminatoire.

Les traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Mauritanie, les lois nationales qu’elle a adoptées pour protéger les droits humains, son engagement avec les mécanismes et les procédures spéciales des Nations Unies et du Système africain des droits humains ainsi que l’accès fréquent, mais non sans entrave, qu’elle a accordé aux organisations internationales de défense des droits humains suggèrent un engagement de la part des autorités mauritaniennes à respecter leurs obligations en matière de droits humains et qu’un examen approfondi de ces questions serait favorablement accueilli. Human Rights Watch n’a rencontré aucun obstacle lors de ses deux visites de recherche en Mauritanie en 2017 et s’est vu accorder les réunions gouvernementales sollicitées.

Le Passif humanitaire et les associations de défense de victimes

 

Les autorités mauritaniennes reconnaissent d’une manière vague et générale que des agents de l’État ont commis de graves abus pendant le Passif humanitaire. Toutefois, elles soutiennent avoir rendu la justice et octroyé des réparations aux victimes d’une façon adéquate en se conformant à la Loi d’amnistie de 1993 et en prenant depuis lors des mesures pour indemniser les victimes et les survivants, mesures entérinées par un geste visant à la guérison de la nation accompli par le président mauritanien.

Les associations de défense des victimes qui continuent de dénoncer la Loi d’amnistie, loi qui accorde l’immunité aux auteurs de n’importe quelle grave violation des droits humains commise pendant le Passif humanitaire, et qui exigent davantage en matière de responsabilisation, d’indemnisation et de réhabilitation, risquent de se voir imposer des mesures restrictives. Les dirigeants du Collectif des victimes de la répression (COVIRE) et du Collectif des veuves des victimes militaires et civiles des événements de 1989 – 1991 ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités ont entravé à plusieurs reprises leurs efforts pour commémorer les massacres, les exécutions et les disparitions forcées perpétrées pendant cette période en leur refusant les permissions requises pour organiser des réunions ou en interrompant leurs manifestations.

Affaires judiciaires relatives à la liberté d’expression

 

Deux poursuites judiciaires récentes pour délits d’expression illustrent la lourde répression à laquelle les autorités sont prêtes à recourir pour punir ceux qui critiquent la discrimination au sein de la société mauritanienne.

Un blogueur mauritanien, Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, est en prison depuis janvier 2014. En décembre de la même année, un tribunal inférieur l’a reconnu coupable d’apostasie et l’a condamné à mort, une peine confirmée par la Cour d’appel. Après que la Cour suprême a ordonné un nouveau procès, une cour d’appel, le 9 novembre 2017, a réduit sa peine à deux ans de prison, une période qu’il a déjà purgée, et à une amende. Le procureur a fait appel de cette décision, et depuis le 25 novembre 2017, Mkhaitir est encore apparemment détenu, mais en un lieu inconnu. Le délit de Mkhaitir, qui appartient à une caste inférieure connue sous le nom de lem’almin لمعلمين (les forgerons), fut d’avoir écrit un article critiquant les mauritaniens qui, a-t- il affirmé, citent des exemples de la vie du prophète Mahomet pour justifier des discriminations raciales et de caste ayant cours actuellement.

Oumar Ould Beibacar, qui a pris sa retraite en tant que colonel de la Garde nationale en juillet 2015, est depuis deux années sous contrôle judiciaire et fait face à des accusations en vertu de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme uniquement pour avoir prononcé en novembre 2015 un discours dénonçant la réponse des autorités face aux atrocités commises pendant le Passif humanitaire. Beibacar a déclaré que les graves répercussions qu’il a subies sont dues au messager qu’il est autant qu’à la nature de son message : il est l’un des rares Beydanes et – plus rare encore – officiers de l’armée à demander aux autorités de fournir plus d’efforts pour reconnaître les exécutions sommaires, il y a un quart de siècle, d’officiers négro-mauritaniens et pour faire amende honorable.

Le 9 juin 2017, l’Assemblée nationale a adopté une nouvelle loi visant à lutter contre la discrimination qui contient des dispositions pouvant servir à emprisonner des personnes pour des discours de nature non violente. L’article 10 dispose : « Quiconque encourage un discours incendiaire contre le rite officiel de la République Islamique de Mauritanie est puni d’un an à cinq ans d’emprisonnement. »  Un critère aussi vague pourrait s’appliquer à des individus qui critiqueraient pacifiquement l’islam tel qu’il est pratiqué en Mauritanie, ce que certains militants contre l’esclavage et la discrimination ont déjà fait.

Associations luttant contre l’esclavage

 

La Mauritanie n’a aboli l’esclavage qu’en 1981 et elle a criminalisé cette pratique en 2007 puis créé en 2015 des tribunaux spécialisés pour les crimes d’esclavage. Les autorités affirment que l’éradication de l’esclavage a été couronnée de succès et que le défi actuel consiste à s’attaquer aux séquelles socio-économiques durables ou « héritage » de l’esclavage.

Les deux principales associations non gouvernementales mauritaniennes qui luttent contre l’esclavage, SOS-Esclaves et l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), contestent ce discours officiel en affirmant que l’esclavage est encore pratiqué, ceci bien que ces deux associations diffèrent dans leurs approches du problème. SOS-Esclaves, l’association la plus ancienne, possède un statut légal et son discours est plus modéré. L’IRA, fondée en 2008, est plus agressive ; la reconnaissance légale lui a été refusée. Son président Biram Dah Abeid maintient que l’esclavage, loin d’être éradiqué, touche 20% de la population mauritanienne ; il dénonce également la sous-représentation des Haratines et autres communautés Noirs du pays aux postes gouvernementaux de haut niveau.

Tout en affirmant qu’elle adhère à une politique de non-violence, l’IRA emploie souvent un langage et des tactiques provocateurs. Par exemple, ses communiqués qualifient le gouvernement actuel de « raciste et esclavagiste ». En 2012, Biram Dah Abeid a publiquement brûlé des livres de jurisprudence islamique qui, a-t-il affirmé, étaient interprétés en Mauritanie d’une manière qui sert à justifier l’esclavage.

Alors que les autorités réagissent rarement d’une manière directe aux déclarations enflammées faites par l’IRA à la fois en Mauritanie et durant les fréquentes visites de Biram Dah Abeid à l’étranger, elles ont cependant exercé une politique répressive à l’égard de Biram et de l’IRA qui a sérieusement entravé l’activité de l’association tout en lui permettant de fonctionner à un certain degré. Les autorités ont refusé de traiter la demande d’inscription officielle de l’IRA, paralysé ses efforts pour parrainer des conférences et des ateliers et dissous, en 2016, une ONG de développement qui permettait aux membres de l’IRA d’utiliser ses bureaux. Depuis 2015, les tribunaux ont à deux reprises emprisonnés des dirigeants de l’IRA à l’issue de procès non équitables ; deux de ses membres purgent des peines de prison au moment de la rédaction du présent rapport.

Expliquant leur refus d’accorder un statut légal à l’IRA, les ministres mauritaniens de l’Intérieur et de la Justice ont tous les deux déclaré à Human Rights Watch que l’IRA « divise l’unité nationale ». Le premier a ajouté que l’IRA aurait dû choisir entre être une organisation de la société civile ou un parti politique et qu’elle ne pouvait pas être les deux à la fois : en 2014, Biram Dah Abeid s’est présenté comme candidat à la présidentielle et est arrivé en deuxième position derrière le président en exercice Mohamed Ould Abdel Aziz.

Obstacles à l’obtention de la pleine citoyenneté

 

En janvier 2008, les gouvernements de la Mauritanie et du Sénégal ont lancé le processus officiel de rapatriement de certains des Mauritaniens expulsés par les autorités ou ayant fui au Sénégal entre les années 1989 et 1990 durant le Passif humanitaire et dont le nombre est estimé à 60 000. En mai 2011, les autorités mauritaniennes ont lancé un recensement à l’échelle nationale visant à inscrire tous les membres de la population du pays dans une base de données biométriques, standardiser les cartes d’identité et finaliser les listes électorales.

L’association Touche Pas à Ma Nationalité (TPMN) a été fondée en réponse au recensement de 2011 et au processus d’enregistrement national ultérieur, qui, selon TPMN, vise à saper les droits de citoyenneté des Mauritaniens noirs. Des ministres du gouvernement ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités ont refusé d’accorder un statut légal à TPMN parce que, à l’instar de l’IRA, elle « divise l’unité nationale ». Ils ont qualifié de « sans fondement » l’allégation de TPMN selon laquelle le processus d’enregistrement est ethniquement discriminatoire. Human Rights Watch n’a pas vérifié le bien-fondé de cette allégation. Cependant, les rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur le racisme et l’extrême pauvreté ont décrit le processus d’enregistrement en cours comme étant discriminatoire à l’égard des Haratines et des Négro-mauritaniens.

Au début, lorsque TPMN a organisé des rassemblements en 2011 pour protester contre le nouveau processus d’enregistrement, les autorités ont parfois dispersé ses membres par la force, blessant certains et tuant un jeune manifestant par des coups de feu dans la ville de Maghama le 27 septembre 2011. Les dirigeants de TPMN ont déclaré qu’ils n’ont pas tenté d’organiser des rassemblements de masse depuis lors, mais qu’ils ont néanmoins pu organiser des manifestations à plus petite échelle comme des sit-in.

 

Lire le rapport complet

 

 

Source : Human Rights Watch

 

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