Le livre qui met le feu à la maison Trump

Mardi prochain devrait être publié l’ouvrage «Fire and Fury». Devrait, parce que Donald Trump et son avocat veulent empêcher sa parution. Son auteur, le journaliste new-yorkais Michael Wolff, décrit le chaos régnant à la Maison-Blanche et raconte des anecdotes croustillantes.

 

C’est le livre le plus explosif jamais publié sur Donald Trump et son administration. Censé paraître mardi prochain, Fire and Fury: Inside the Trump White House est un ouvrage sans concession, rédigé par le journaliste new-yorkais Michael Wolff, 64 ans, qui révèle la complète désorganisation de la Maison-Blanche, ses guerres intestines, les quolibets de collaborateurs très critiques de Trump, les manies d’un président visiblement peu intéressé par la gouvernance de la première puissance mondiale et très mal informé.

Le livre est si incandescent qu’un avocat privé, Charles Harder, a envoyé jeudi une missive au nom du président Trump à Michael Wolff ainsi qu’à son éditeur pour empêcher la publication de ce brûlot, menaçant de les attaquer pour diffamation. Selon la National Public Radio toutefois, Michael Wolff dispose de dizaines d’heures d’enregistrements qui prouvent la véracité des citations utilisées dans l’ouvrage. Sur Amazon, le livre est déjà en tête des ventes. Après la publication d’un long extrait dans le New York Magazine et d’un article dévastateur dans le Guardian mercredi, Donald Trump n’a pas arrêté de pester auprès de ses proches collaborateurs, qui ont cherché par tous les moyens à mettre la main sur une copie du livre.

L’épisode qui suscite le plus de réactions est celui racontant la rencontre, à la Trump Tower à Manhattan, du fils du président, Donald Trump Jr., de son beau-fils Jared Kushner, de son ancien chef de campagne aujourd’hui inculpé Paul Manafort avec trois Russes, dont l’avocate proche du Kremlin Natalia Veselnitskaya, qui avait apparemment des informations compromettantes sur Hillary Clinton, la rivale démocrate de Trump lors de la présidentielle. Selon le Guardian, qui s’est procuré le livre avant tout le monde dans une librairie de la Nouvelle-Angleterre, l’ancien chef stratège de la Maison-Blanche Steve Bannon, limogé l’été dernier, se confie à l’auteur. Cette rencontre était «assimilable à de la trahison ou était antipatriotique», explique Bannon, estimant qu’il aurait fallu immédiatement contacter le FBI ou organiser la rencontre dans un lieu perdu, en présence d’avocats.

Steve Bannon sape aussi la rhétorique de Donald Trump selon laquelle l’enquête sur les liens présumés entre la Russie et la campagne du républicain n’est que de l’acharnement: «Il y a zéro probabilité que le fils de Donald Trump n’ait pas emmené ces [Russes] dans le bureau de son père au 26e étage [de la Trump Tower].» Il pense aussi que la Maison-Blanche se trompe gravement en pensant que l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sera bientôt close. Toute l’enquête a trait au «blanchiment d’argent». C’est la raison pour laquelle, poursuit Bannon, Deutsche Bank a été sommée de fournir des documents sur les prêts de centaines de milliers de dollars accordés à l’empire immobilier Kushner. L’ex-chef stratège se dit choqué par l’attentisme de la Maison-Blanche: «C’est comme s’ils attendaient sur la plage pour essayer d’arrêter un ouragan de catégorie 5.»

«Perdre, c’est gagner»

Face à ces révélations, le sang de Donald Trump n’a fait qu’un tour. Avec son directeur de la communication, il a planché sur trois versions d’une riposte au vitriol dans laquelle il déclare que Steve Bannon n’avait aucun rôle important à la Maison-Blanche et qu’il a «perdu la tête».

Fire and Fury relève que Donald Trump et son équipe ne s’attendaient pas du tout à gagner la présidentielle. Tant le candidat new-yorkais que sa responsable de la communication Kellyanne Conway ou sa fille et son gendre Ivanka et Jared Kushner avaient tous le sentiment, selon Michael Wolff, que la victoire le 8 novembre 2016 leur était inaccessible, mais que la campagne électorale allait servir de tremplin pour leurs activités commerciales à venir. «Perdre, c’est gagner», estimait-on au sein de l’équipe Trump. C’est la raison pour laquelle, poursuit l’auteur, celui qui deviendra le conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, omettra de préciser qu’il avait été payé 45 000 dollars par les Russes pour un discours qu’il avait tenu. Donald Trump lui-même ne voyait pas l’intérêt de régler ses potentiels conflits d’intérêts avec ses affaires. «Pourquoi devrait-il le faire, explique Michael Wolff. Une fois la défaite consumée, il serait extraordinairement célèbre et un martyr de Crooked Hillary.»

Trump n’a pas aimé sa propre investiture. Il était fâché que des stars de premier plan aient snobé l’événement

Michael Wolff

Pour Ivanka Trump, qui décida d’accepter avec son mari un rôle officiel à la Maison-Blanche, ce serait une chance unique de nourrir une nouvelle ambition: devenir la première présidente des Etats-Unis quand l’opportunité se présenterait.

Peur d’être empoisonné

Le livre ne manque pas d’anecdotes croustillantes. On apprend ainsi que Donald Trump ne souhaitait pas emménager à la Maison-Blanche, une résidence «effrayante». Pas étonnant pour un magnat de l’immobilier qui a pu tout s’offrir. Au sujet de l’investiture, le 20 janvier 2017, l’auteur raconte: «Trump n’a pas aimé sa propre investiture. Il était fâché que des stars de premier plan aient snobé l’événement.» Donald et Melania Trump font par ailleurs chambre à part. C’est la première fois depuis John F. Kennedy qu’un tel cas de figure se présente.

Dès son arrivée, il a demandé deux postes de télévision supplémentaires pour en disposer de trois dans sa chambre à coucher. Ergotant avec la sécurité, il a exigé de pouvoir fermer sa chambre à clé. Il s’est même disputé avec le personnel de maison qui avait ramassé l’une de ses chemises par terre: «Si ma chemise est par terre, c’est que je veux qu’elle le soit», a-t-il lâché. Puis, ajoute Michael Wolff, personne ne doit toucher quoi que ce soit, surtout pas sa brosse à dents, Trump étant hanté par la peur d’être empoisonné.

«Trump ne lit rien»

Un courriel envoyé par un collaborateur de la Maison-Blanche en avril est dévastateur, car il représenterait, selon l’auteur, les vues du chef du Conseil économique national, Gary Cohn. Parlant de l’administration, l’auteur anonyme écrit: «C’est pire que ce que vous imaginez. Un idiot entouré de clowns. Trump ne lit rien, même pas une page de mémo, ni des argumentaires politiques. Rien. Il se lève au milieu d’une réunion avec des leaders mondiaux parce qu’il est ennuyé. Et son personnel n’est pas mieux. Kushner est un enfant gâté qui ne connaît rien.»

Que faut-il retenir du livre? Michael Wolff a mené plus de 200 interviews en dix-huit mois. Il avait un accès étonnamment libre à la Maison-Blanche. Installé dans l’hôtel Hay-Adams à Washington, il rencontrait régulièrement des collaborateurs de l’administration à proximité de la Maison-Blanche. Mais le journaliste est controversé. On l’accuse d’extrapoler certains faits voire d’en inventer. Il fit l’objet de sévères critiques pour son livre Burn Rate dans lequel il publiait de longs verbatim contestés par les personnes citées. Mais si son livre irrite autant Trump, c’est aussi parce que l’auteur a entretenu une étroite collaboration avec Steve Bannon. Aujourd’hui l’ennemi juré du président.


Michael Wolff, auteur controversé

Le journaliste américain Michael Wolff est un habitué des controverses. L’éditorialiste multicarte (Hollywood Reporter, Vanity Fair, New York Magazine…), âgé de 64 ans, affirme avoir gravité pendant dix-huit mois autour de la galaxie Trump, de la campagne présidentielle à la Maison-Blanche, et interrogé «plus de 200» personnes, du président à ses proches collaborateurs, pour son livre Fire and Fury.

Après l’élection surprise du candidat républicain, qu’il avait interviewé en juin 2016, il demande à Donald Trump un accès à la Maison-Blanche, que le président élu ne lui refuse pas. Le journaliste devient alors «une mouche sur le mur», se fondant dans le décor. Il fait le trajet New York-Washington chaque semaine pour devenir un habitué de l’aile Ouest, compilant dans son livre confidences des conseillers de la présidence et anecdotes croustillantes.

Natif du New Jersey mais installé de longue date à New York, Wolff est le double lauréat du Prix National Magazine, section commentaire (2002 et 2004). Son livre le plus connu, sorti en 2008, est consacré à un autre magnat, Rupert Murdoch (The Man Who Owns the News).

En 2004, un portrait dans le magazine New Republic évoque un personnage «en partie éditorialiste mondain, en partie psychothérapeute, en partie anthropologue social [qui] invite les lecteurs à être une mouche sur le mur du premier cercle des magnats».

Mais sa narration, basée sur des conversations ou des informations obtenues de source indirecte, a semé le trouble et provoqué des réactions furieuses.

«Il a parfois tout faux»

«Historiquement, l’un des problèmes avec l’omniscience de Wolff est que même s’il peut tout savoir, il a parfois tout faux», écrivait le critique littéraire David Carr dans le Washington Post en commentant le livre sur Murdoch.

La journaliste britannique Bella Mackie, ancienne du Guardian, a estimé sur Twitter que son nouveau livre sur la Maison-Blanche était «très divertissant» avant toutefois de mettre en garde que «si vous connaissez bien MW vous l’apprécierez mais ne prendrez pas tout pour argent comptant».

La porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, a fustigé le contenu du livre, affirmant qu’il contenait «beaucoup de choses complètement fausses», assurant que Michael Wolff n’avait eu qu’une «brève conversation» téléphonique de 5 à 7 minutes avec le président depuis son investiture et qui n’avait «rien à voir» avec la présidence.

M. Trump, par la voix de ses avocats personnels, a demandé jeudi à M. Wolff et au responsable des Editions Henry Holt & Cie la non-publication du livre, qui doit sortir le 9 janvier, menaçant de les poursuivre pour diffamation, atteinte à la vie privée et malveillance.

Ils se basent notamment sur l’introduction du livre, où Michael Wolff admet que «beaucoup d’informations sur ce qu’il s’est passé à la Maison-Blanche de Trump sont contradictoires; beaucoup, dans le style trumpien, sont simplement fausses». Ces contradictions ou cette prise de liberté avec la vérité constituent «le fil» du livre, dit-il, ajoutant avoir publié «la version des événements que je croyais vraie».

 

Stéphanie Bussard

Avec l’AFP

 

Source : Le Temps (Suisse)

 

 

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