« Chang est assis, il mange du riz. Ses yeux sont petits, riquiquis. » L’apprentissage d’une comptine chargée de clichés dans une école de la région parisienne relance le débat sur le racisme anti-asiatique en France.
Une photo de la comptine collée dans un cahier scolaire a été publiée mardi 26 décembre sur Facebook par le président de l’Association des Chinois résidant en France, Sacha Lin-Jung. En légende, celui-ci indique que des « parents asiatiques » ont été « horrifiés à la vue de la chanson qu’on enseigne dans la classe de leur enfant ».
Les paroles de la chanson, intitulée « Chang le petit chinois », sont illustrées par trois images : un personnage aux yeux bridés, la tête surmontée d’un chapeau triangulaire, un bol de riz dans lequel sont plantées des baguettes et une paire de tongs. La page est signée du nom d’une intervenante pour « Les ateliers du préau« , une agence d’activité périscolaire. L’année scolaire en cours, 2017-2018, est également mentionnée.
Une comptine « amusante » ?
Sacha Lin-Jung a affirmé à la rédaction des Observateurs de France 24 que cette photo était apparue mardi dans « un groupe militant sur WeChat », où se partagent des « informations sur l’insécurité et le racisme ». L’école en question se trouve, selon ses informations, en région Île-de-France.
Sa publication a été commentée et partagée des centaines de fois par des internautes dénonçant un racisme ordinaire anti-asiatique en France.
Mais d’autres se sont au contraire étonnés de cette indignation, jugeant les paroles « amusantes ». « J’aimerais bien qu’on m’explique où est l’hostilité », fait valoir un internaute sur Facebook. « Les Asiatiques ont les yeux bridés, les orangs-outangs vivent en Asie, les rizières sont très présentes en Asie, les tongs sont aussi dans les tenues traditionnelles d’Asie […] donc où est le problème ? […] », renchérit un deuxième.
« Le message que cette comptine véhicule est simple : un Chinois est forcément petit, aux yeux bridés, et à part du riz, il ne mange rien d’autre »
Pour comprendre notre désarroi, il faudrait vivre ce que l’on vit au jour le jour… Je suis Français d’origine sino-vietnamienne, né en France de parents immigrés, et donc totalement intégré à la société. Malgré cela, malgré mon accent parfaitement français, j’ai dû subir pendant une grande partie de mon enfance et adolescence, ce racisme quasi quotidien. La comptine incriminée est un condensé de tous ces stéréotypes raciaux insultants, et on voudrait l’inculquer aux enfants dès l’élémentaire ? C’est absolument inadmissible…
En bref, le message que cette comptine véhicule est simple : un Chinois est forcément petit à yeux bridés, à part du riz, il ne mange rien d’autre, et ne quitterait jamais ses tongs, sans compter les improbabilités de rimes avec « orangs-outangs » (animaux vivant en Malaisie et Indonésie) et « ping-pong » (sport anglais)… Ce que l’on peut constater ici, c’est la volonté de perpétuer l’image de l’indigène asiatique arriéré et docile que l’on retrouve dans les cartes postales des colonies françaises du début du siècle dernier. Ce qui est extrêmement offensant envers la communauté asiatique.
Je pense que la cause de ce racisme vient de la banalisation des clichés sur les Asiatiques dans les médias et le fait que la communauté asiatique n’ait pas réagi durant ces dernières décennies afin de ne pas créer de troubles au nom de l’intégration, a tout simplement offert un boulevard à toutes sortes de moqueries racistes et dénigrantes.
Mieux contrôler les textes proposés à l’école ?
Également contactés par notre équipe, Les Ateliers du préau ont confirmé l’authenticité de l’image et « regretté » le choix de cette comptine dont ils assurent ne pas être « l’éditeur ». « Elle a été choisie par l’un de nos intervenants en musique », assure l’organisme dans un communiqué envoyé aux Observateurs de France 24. « Dans ce cas précis, […] ce choix [de la comptine] n’a pas été porté à notre connaissance. Nous ne l’avons donc en aucun cas validé et reconnaissons qu’il associe des stéréotypes de façon assez grossière et maladroite », poursuit-il. Les Ateliers du préau soulignent que la comptine n’a été proposée « que dans deux classes d’une même école » et qu' »une communication spécifique sera adressée dès la rentrée via l’école aux parents des élèves des classes concernées ». L’agence entend désormais « renforcer les contrôles des textes associés aux musiques proposées ».
La rédaction des Observateurs de France 24 a par ailleurs retrouvé sur Internet plusieurs occurrences de cette chanson sur des sites spécialisés dans les comptines pour enfants. Des versions chantées et illustrées sont également disponibles sur YouTube.
Dans un communiqué publié mercredi 27 décembre, SOS Racisme a assuré être en contact avec le ministère de l’Éducation nationale, qui s’est engagé, selon le président de l’association, à saisir le rectorat de l’école où a été enseignée la chanson.
Un « humour » tenace
En France, le racisme contre la communauté asiatique est souvent difficile à admettre. Pourtant, dans les cours de récré comme à la télévision, les « petites blagues » sont légion. En décembre dernier, un sketch caricaturant les Asiatiques de Gad Elmaleh et Kev Adams, diffusé sur M6, avait suscité un vif débat. Dans cet extrait du spectacle des deux humoristes, Kev Adams écarquille les yeux, imite lourdement un accent chinois, lève ses sourcils et se déplace avec une gestuelle grotesque. Anthony Cheylan, rédacteur en chef du média Clique.tv, avait alors dénoncé « dix minutes de blagues racistes ».
Maëva Poulet
Source : Les Observateurs (France 24) – Le 28 décembre 2017
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