Cinéma – “I Am Not a Witch”: il était une fois, en Zambie, une petite sorcière…

I Am Not a Witch sort en salle le 27 décembre, en partenariat avec Courrier international. Ce premier film de Rungano Nyoni suit le parcours d’une fillette zambienne accusée de sorcellerie. Entre humour et absurdité, la réalisatrice nous livre un joli conte sur le sort des femmes dans la société africaine. 

 

La réalisatrice Rungano Nyoni m’explique comment les femmes qu’elle a rencontrées dans un camp de sorcières au Ghana ont fini là. “L’une d’elles a été accusée de sorcellerie par une femme qui, de retour d’une corvée d’eau, avait laissé tomber son seau alors qu’elle avait déjà parcouru plusieurs kilomètres, raconte-t-elle. D’autres l’ont été sur la base d’un rêve fait par quelqu’un, une autre encore après qu’un enfant est tombé malade.”

Nyoni, 35 ans, a vécu dans ce camp pendant un mois pour préparer son film, I Am Not a Witch [“Je ne suis pas une sorcière”]. Ce qui l’a beaucoup étonnée, c’est à quel point ces femmes (toutes âgées de plus de 60 ans) semblaient “normales” : “Je m’attendais à ce qu’elles souffrent de troubles mentaux. Au lieu de cela, elles étaient très indépendantes.”

Le courage de défier les règles

L’idée du film – qui raconte l’histoire de Shula, une fillette de neuf ans enfermée dans un camp similaire en Zambie – est née de la fascination de la réalisatrice pour “les règles que nous imposons à d’autres êtres humains et notre capacité à nous accommoder de ces règles, même quand elles sont absurdes”.

Remettre en cause les coutumes est une habitude dans la famille de Nyoni. Sa grand-mère a vécu sous la domination coloniale britannique en Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie), où les relations interraciales étaient interdites. Or le grand-père de Nyoni est espagnol. Lorsque leur histoire a été découverte, son grand-père a été déporté ; sa grand-mère a alors pris un amant néerlandais.

Elle réparait également des camions et a été arrêtée parce qu’elle portait des pantalons pour travailler : “J’ai toujours confronté son courage à la façon dont la plupart d’entre nous nous plions aux règles de la société.”

La sorcellerie, une affaire de misogynie

Nyoni est née en Zambie mais sa famille a déménagé à Cardiff lorsqu’elle avait huit ans. Son nom lui sied bien : il signifie “conteuse d’histoires”. La plus grande difficulté pour tourner son film a été de trouver une petite fille pour jouer le rôle de Shula. Son mari faisait office de régisseur général (“Cela peut paraître affreux, mais nous ne pouvions pas nous permettre d’engager quelqu’un”) et avait pris des photos dans le nord de la Zambie où l’on voyait une petite fille en train de jouer. C’était Maggie Mulubwa. “Elle dégageait quelque chose de spécial.” Nyoni a auditionné un bon millier d’enfants, mais elle ne cessait de penser à Maggie. Deux semaines avant le début du tournage, elle s’est mise à sa recherche et a fait appel à un chef de tribu de la région qui avait servi dans l’armée de l’air zambienne. Il lui a conseillé de “demander à tout le monde, même aux ivrognes dans la rue”.

Maggie a fini par être trouvée et amenée sur le plateau. Nyoni se souvient :

Elle était très timide, mais elle m’a avoué plus tard que c’était parce qu’elle avait peur. Les habitants du village lui avaient dit de ne pas venir parce que nous allions la tuer, la découper en morceaux et l’utiliser pour faire de la sorcellerie. Elle est quand même venue parce qu’elle espérait que nous l’enverrions à l’école. Elle ne savait pas que c’était pour faire du cinéma.”

L’un des sujets abordés dans le film est la tension entre le monde moderne et le monde mystique. “La Zambie est une marmite où l’on trouve de tout. Il y a beaucoup d’accusations de sorcellerie à Lusaka et la police les prend au sérieux. Les policiers amènent les gens au poste et les interrogent.” Son film traite la sorcellerie d’une façon qui peut paraître ambivalente : il ne la défend pas et ne s’en moque pas non plus. “Je ne sais pas où se trouve la vérité, précise la réalisatrice. C’est peut-être vrai que des gens utilisent la magie noire pour faire du mal. Tout ce que je sais, c’est que la sorcellerie est liée à la misogynie et à l’exploitation.”

Des rubans, pas des chaînes

La réalsatrice Rungano Nyoni. Photo QUINZAINE DES RÉALISATEURS

Selon elle, l’obsession pour les sorcières vient de la peur du pouvoir des femmes. “Les hommes se sentent menacés par les femmes. Lorsqu’on se sent menacé par quelque chose, une des réactions possibles est de vouloir le détruire.” Les femmes (souvent celles en situation de vulnérabilité, comme les veuves) deviennent alors des boucs émissaires responsables des maux de la société. “Les endroits [où il y avait des camps de sorcières] avaient tous un point commun : ils avaient été touchés par une grave sécheresse. L’hiver entraînait le même phénomène en Europe [par le passé] : quand la nourriture se faisait rare, les accusations de sorcellerie apparaissaient.”

Dans le film, on voit les “sorcières” traitées comme des animaux de zoo. Les touristes prennent des photos pendant qu’un guide invente des histoires. Il dit que les femmes s’envoleraient et se mettraient à tuer si elles n’étaient pas attachées par des rubans [noués dans leur dos, qui les empêchent de s’éloigner]. “Je voulais explorer l’idée de l’oppression et la manière dont nous l’acceptons, explique Nyoni. C’est pourquoi j’ai choisi des rubans, pas des chaînes. Les femmes peuvent s’échapper si elles le veulent, il leur suffit de couper ce ruban. Je voulais également montrer que tout le monde est complice, personne n’est irréprochable.”

Un film plein d’humour

Elle s’inclut elle-même dans le lot. “Dans cette scène avec les touristes, je porte aussi un jugement sur moi. Dans l’un des camps, j’ai demandé à des femmes si je pouvais prendre des photos. Elles ont dit : ‘Ils prennent tous des photos, et après ils s’en vont.’ Je faisais la même chose. J’étais là pour écrire un scénario et partir, alors que la vie de ces femmes continuait.”

Le sujet est grave, mais le film drôle. Nyoni explique qu’il est truffé d’humour zambien, qui peut sembler cruel aux étrangers. “En Zambie, on ne peut pas rire de tout le monde, alors on rit de tout le reste. Même des choses les plus sinistres. Aux enterrements, les gens plaisantent. Ils disent des choses comme : ‘Ce cadavre est gonflé, non ? Je le trouve gros.’ C’est notre façon d’affronter la tragédie. Au plus fort de l’épidémie de sida, j’allais à des funérailles toutes les deux semaines pendant les vacances d’été.”

Elle fait une pause, l’air pensif. Et ajoute :

Je voulais communiquer l’humour zambien, mais mon but n’était pas de me moquer des croyances. Le problème lorsqu’on parle de l’Afrique est que les réactions tournent tout de suite à la pitié. J’essaie de casser cela, et j’ai choisi l’humour pour le faire.”

Rosamund Urwin
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