Et si on s’était trompé ? Depuis mardi, la polémique enflamme les réseaux sociaux : lors de sa rencontre avec les étudiants à l’université de Ouagadougou, Emmanuel Macron sollicité sur les problèmes de coupures d’électricité récurrentes sur le campus, s’exclame : «Vous me parlez comme si j’étais le président du Burkina Faso !» Exclamation aussitôt suivie d’une salve d’applaudissements nourris qui, visiblement, galvanise encore un peu plus le président français. Lequel en remet une couche dans la foulée : «Mais moi je ne veux pas m’occuper d’électricité dans les universités du Burkina Faso ! C’est le travail du Président !» Rires de la salle, alors qu’au même moment, Roch Marc Christian Kabore, le président du pays hôte, quittait la salle et était interpellé par son homologue français un peu survolté : «Reste là ! Du coup, il est parti réparer la climatisation.»

Désormais, tout le monde connaît cette séquence par cœur, qui risque de rester le moment clé de la tournée présidentielle qui s’achève ce jeudi au Ghana. Immédiatement, loin de l’Afrique, les réactions outrées se multiplient : «Humiliation», «bourde»… de l’extrême droite à La France insoumise, chacun y va de son petit commentaire virulent. «Aurait-il osé se comporter de cette façon avec Poutine ?» répètent fréquemment les pourfendeurs de cette posture jugée «néocoloniale». Certes, mais c’est parce qu’on imagine mal qu’un auditoire russe interpelle le président français sur les coupures d’électricité à l’université de Moscou.

Promesses

Vu d’Afrique, la vraie question est peut-être ailleurs. Mercredi soir, à l’issue du sommet Union africaine-Union européenne auquel assistait aussi le président Macron à Abidjan, capitale économique de la Côte-d’Ivoire, de jeunes Ivoiriens commentaient eux aussi l’échange désormais fameux qui cristallise les débats. «Ah oui, il a humilié Kaboré ! lance l’un d’eux dans le quartier des Deux-Plateaux. Mais tout le monde a applaudi, il a bien fait ! Il a raison, ce n’est pas à lui de remédier aux coupures d’électricité à l’université !»

Côte-d’Ivoire et Burkina Faso sont deux pays voisins qui ont parfois partagé une histoire commune, notamment en raison de la forte immigration burkinabée qui, bien que désormais ralentie, marque encore l’identité ivoirienne. Surtout, les jeunesses des deux pays partagent les mêmes frustrations : celles de l’échec des promesses d’une amélioration de la vie des plus pauvres. Ces promesses étaient pourtant au cœur des changements de régimes dans les deux pays concernés. Roch Marc Christian Kaboré, élu en décembre 2015, n’est pas un tyran sanguinaire. Même constat pour Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir en 2011 en Côte-d’Ivoire. Mais ni l’un ni l’autre n’ont réussi à répondre aux aspirations de leur jeunesse, dont le dénuement est désormais source de désespoir. Il est donc plus que probable que la jeunesse de ces deux pays ait plutôt apprécié le culot du président français, comme le prouvent d’ailleurs les applaudissements qui avaient suivi ses remarques dans l’amphithéâtre.

À lire aussi : Macron a-t-il causé «un incident diplomatique» lors de sa visite à Ouagadougou ?

Les séquences suivantes, pourtant moins commentées, étaient plus cocasses : mardi après-midi, Macron a enchaîné avec une visite dans une école de Ouagadougou. La seule ouverte ce jour-là dans la capitale. Par peur des manifestations, le gouvernement burkinabé avait en effet décrété la fermeture de tous les établissements lundi et mardi.

«Les écoliers forment souvent les troupes de ceux qui dirigent les manifestations contre le régime», reconnaissait un conseiller du président burkinabé, en justifiant cette mesure. Une raison suffisante pour présenter au dirigeant français un joli «village Potemkine» d’écoliers souriants ? Le matin même, dans la ville, les manifestants avaient tenté en vain de franchir les barrages de police avant d’être dispersés à coups de grenades lacrymogènes.

«Régime faible»

Mardi soir enfin, dans les jardins de l’ambassade de France à Ouagadougou, Macron a plusieurs fois évoqué la transition démocratique récente du Burkina Faso. Laquelle a eu lieu non pas «il y a deux ans», comme il l’a plusieurs fois affirmé, mais il y a trois ans : lorsque fin octobre 2014, le peuple burkinabé est descendu dans la rue pour chasser l’inamovible Blaise Compaoré, alors au pouvoir depuis trente-sept ans. Se félicitant à plusieurs reprises de cette transition, qu’il semble donc faire démarrer à l’élection de Kaboré en décembre 2015, Macron a également vanté à deux reprises «un gouvernement fort», devant la communauté française de Ouagadougou réunie à l’ambassade. Une façon de rattraper malgré tout sa saillie «humoristique» vis-à-vis de son homologue burkinabé à l’université ?

Sur place, le qualificatif de «fort» a fait parfois sourire. «En réalité, le régime de Roch est faible. Ce n’est pas un mauvais homme, mais il est mou, et ne maîtrise plus grand-chose, depuis la mort de Salif Diallo en août», explique un ancien diplomate burkinabé, en évoquant le décès inattendu, il y a trois mois, du président de l’Assemblée nationale, véritable pilier du régime, qui avait longtemps soutenu Blaise Compaoré, avant de le lâcher en janvier 2014. Loin des postures indignées comme des dénis diplomatiques, la vérité se trouve peut-être là : en visite dans deux pays fragiles, où le mécontentement gronde, Emmanuel Macron a, involontairement peut-être, mis les doigts dans la prise du malaise social. Un moment effectivement «électrique», qui risque de rester dans les mémoires.

 

Maria Malagardis

envoyée spéciale à Abidjan

 

 

Source : Libération (France)

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com