Habile orateur, Emmanuel Macron charme les étudiants de Ouagadougou

Avec son franc-parler, le président français a brisé quelques tabous et convaincu son auditoire d’un renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique.

Tout n’était encore qu’esquissé jusque-là. Mardi 28 novembre, Emmanuel Macron a tracé les lignes de force de ce que devrait être sa politique africaine durant son quinquennat. « Il n’y a plus de politique africaine de la France ! Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face », a expliqué d’emblée le chef de l’Etat français, soucieux d’éviter la posture du donneur de leçons sur un continent qui n’en a que trop reçues.

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Orateur habile, M. Macron a su dès ses premiers mots, devant les quelque 800 étudiants massés dans l’enceinte de l’université de Ouagadougou, retourner une audience qui ne lui était pas acquise. Peu avant l’entrée en scène du président français, accompagné de son homologue burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, qui sera resté mutique durant les une heure quarante-cinq minutes de discours, Boubacar Ouattara, un leader étudiant, martelait qu’il était temps de « mettre un terme au pacte colonial » qui, selon lui, régule depuis les indépendances les relations de la France et de ses anciennes colonies africaines. Quelques instants plus tard, le jeune homme applaudissait à tout rompre après qu’Emmanuel Macron eut, dans ses mots d’introduction, cité et rendu hommage au capitaine et président Thomas Sankara, icône du Burkina Faso, assassiné en 1987.

Sur ce dossier sensible, le président s’est engagé à déclassifier l’ensemble des documents produits par les administrations françaises et couverts par le secret-défense alors que de grandes suspicions demeurent quant à une possible implication de Paris dans cet assassinat.

Connivence générationnelle

Avec un goût certain de la mise en danger, du franc-parler et des prises de position destinées à briser des tabous, le président a très vite cherché à instaurer une connivence générationnelle avec son auditoire. Alors que le débat sur le sujet demeure enflammé dans l’Hexagone, Emmanuel Macron se définit comme le représentant « d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». Cette génération qui ne serait plus tenue par les pesanteurs du passé porte en elle, selon le chef de l’Etat, la promesse d’une rupture régénératrice nécessaire pour retisser des liens entre la France et l’Afrique. « Je suis d’une génération de Français pour qui l’Afrique n’est ni un encombrant passé ni un voisin parmi d’autres », dit-il, paraphrasant quelque peu Lionel Jospin et sa doxa résumée d’une formule : « Ni ingérence ni indifférence. »

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Seulement, là où l’ancien premier ministre socialiste semblait vouloir établir une distance prophylactique, le nouveau président français joue à plein sur les sentiments, la proximité. « L’Afrique est gravée dans la mémoire française, dans la culture, dans l’Histoire, dans l’identité de la France et c’est là une force et une fierté que je veux cultiver, que je veux porter comme un atout de la France, pour la France et pour l’Afrique dans notre rapport au monde », dit-il.

Cette nouvelle relation qu’il souhaite instaurer doit se fonder, selon lui, sur un investissement dans la jeunesse africaine qui « réclame avec impatience de participer à la construction du destin de son pays et de la mondialisation » et sur une implication plus grande de la diaspora franco-africaine alors que de nombreux enfants d’émigrés se sentent encore déconsidérés dans le pays qui les a vus naître ou grandir. Et s’il promet de porter à 0,55 % du revenu national brut l’aide publique au développement à la fin de son mandat, Emmanuel Macron mise avant tout sur un soutien à l’entrepreneuriat privé.

L’Afrique, « continent incontournable »

Ni afro-optimiste ni afro-pessimiste, le président se veut du côté de « ceux qui portent un regard lucide sur l’Afrique. Ceux qui considèrent que l’Afrique n’est ni un continent perdu ni un continent sauvé. Je considère que l’Afrique est tout simplement le continent central, global, incontournable car c’est ici que se télescopent tous les défis contemporains ». Reste que la France n’a plus les moyens d’agir seule sur le continent et, pour parer à ses difficultés financières, Paris entend impliquer davantage l’Union européenne et la convaincre que les deux continents ont un destin commun. « C’est en Afrique que se jouera une partie du basculement du monde, dit-il. Si nous échouons à relever ces défis ensemble, alors l’Afrique tombera dans l’obscurité, c’est possible. Elle régressera, elle reculera. Mais avec elle, l’Europe aura les mêmes difficultés, parce que s’ouvrira une longue période de migration, de misère, des routes de la nécessité et de la douleur plus encore qu’aujourd’hui. »

S’il défend une rupture dans la méthode, Emmanuel Macron ne revient pas cependant sur les grandes lignes de la politique française en Afrique, en particulier au Sahel. La lutte contre le terrorisme djihadiste demeure, selon lui, « un impératif » et doit être menée à travers le G5 Sahel. Et lorsqu’une étudiante l’interroge, lors d’une séquence de questions-réponses, inédite pour un président français, sur le fait que Paris privilégie une approche sécuritaire, le chef de l’Etat rétorque : « J’aurais préféré vous envoyer nettement moins de soldats… Mais il faut les applaudir, les soldats français », eu égard à ceux tombés au Mali. Sur le franc CFA, de plus en plus ouvertement contesté, M. Macron s’inscrit également dans les pas de ses prédécesseurs, considérant que c’est aux chefs d’Etat africains concernés de se positionner sur le sujet. « C’est un non-sujet pour la France », dit-il sèchement.

Charmé, sans être envoûté, Abdoulaye Mandé, un étudiant en sciences politiques au tee-shirt barré d’un « pas un pas sans le peuple » qui donne quelques indices sur ses orientations politiques, estime que l’orateur du jour a été « impeccable, charismatique, éloquent et convaincant. Maintenant, j’espère qu’il est sincère ». Autour de lui, tous ses camarades acquiescent.

 

 Cyril Bensimon

(Ouagadougou (Burkina Faso)

 

Source : Le Monde

 

 

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