Pour Human Rights Watch, « passages à tabac, électrochocs et simulacres d’exécution » infligés par l’armée sèment la peur chez de nombreux Rwandais.
Jeudi 23 et vendredi 24 novembre, le Rwanda est à l’ordre du jour d’une séance ordinaire du Comité contre la torture des Nations unies, un organe chargé de surveiller la manière dont les pays appliquent la Convention internationale contre la torture. Ce sera l’occasion pour les experts indépendants du comité d’interpeller le gouvernement rwandais sur sa propre mise en œuvre du traité, ratifié par Kigali en 2008, et d’examiner des allégations selon lesquelles ce dernier viole la convention. Le comité va avoir du pain sur la planche.
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Depuis au moins sept ans, l’armée rwandaise a fréquemment arrêté, détenu et torturé des individus, leur faisant subir toutes sortes de mauvais traitements : passages à tabac, asphyxie, électrochocs et simulacres d’exécution. En octobre, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport documentant ces abus commis dans des camps militaires situés autour de Kigali et dans le nord-ouest du pays. La plupart des détenus avec qui nous nous sommes entretenus étaient maintenus au secret, c’est-à-dire sans contact avec leur famille, leurs amis ni un avocat. Beaucoup d’entre eux étaient ainsi détenus depuis des mois. La plupart étaient des civils soupçonnés de collaborer avec des groupes armés, bien que certains étaient d’anciens miliciens.
« J’ai cru que j’allais mourir »
Des détenus ont été torturés dans l’objectif de leur extorquer des aveux ou des accusations à l’encontre d’autres personnes. Ernest*, l’un des anciens détenus que nous avons interrogés, a expliqué comment des militaires l’avaient torturé à Kami, un camp bien connu situé près de Kigali. Il a expliqué qu’on lui avait demandé d’avouer appartenir aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé réputé pour avoir commis des abus dans la République démocratique du Congo (RDC) voisine et dont certains membres ont participé, en 1994, au génocide au Rwanda.
Ernest a affirmé que, face à son refus d’admettre cette appartenance, les militaires ont « apporté un sac en plastique, mis la tête dedans et commencé à me questionner. Au bout de quelques minutes, quand ils ont vu que j’étouffais, ils ont cessé ». Il a ajouté qu’ils lui avaient fait à nouveau subir ce simulacre d’asphyxie à quatre reprises, jusqu’à ce qu’il fasse ses besoins sur lui. « J’ai cru que j’allais mourir », nous a dit Ernest.
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Dans des dizaines de cas, d’anciens détenus ont indiqué qu’ils avaient fini par dire à leurs tortionnaires ce que ces derniers voulaient entendre, pour que cessent ces souffrances. Certains détenus ont été remis en liberté après avoir été retenus pendant des semaines, voire des mois, dans les camps militaires. Mais beaucoup d’autres ont été transférés dans des prisons civiles, puis jugés. Les aveux qui leur ont été extorqués ont été utilisés à charge.
Lorsque les accusés ont décrit les tortures et la détention illégale qu’ils avaient subies avant leur transfert dans les prisons civiles, les juges et les procureurs ont rejeté leurs allégations, alors qu’ils auraient dû ordonner l’ouverture d’enquêtes. Un juge a dit à l’une des victimes : « Ne revenez pas sur [cette question de] la torture. Vous n’avez aucune preuve. » Telle a été la réponse habituelle à ceux qui ont osé s’exprimer devant le tribunal.
Obstructions du gouvernement
Ces cas de torture documentés constituent des violations des obligations du Rwanda au regard de la convention, et le gouvernement rwandais devrait prendre ces allégations au sérieux plutôt que de les ignorer.
Malgré le recours persistant et systématique du gouvernement à la torture, le Rwanda a ratifié le Protocole facultatif de la Convention contre la torture en juin 2015. Ce protocole exige des pays signataires qu’ils mettent en place un système destiné à empêcher l’usage de la torture à l’échelon national et autorisent le Sous-Comité pour la prévention de la torture, un organe onusien, à visiter les lieux de détention.
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Le gouvernement rwandais n’a toujours pas créé ce mécanisme, alors qu’il était tenu de le faire dans les douze mois suivant sa ratification du protocole. Récemment, une visite du sous-comité a en outre été une réelle source de préoccupation. Fin octobre, ses membres ont dû interrompre leur visite et quitter le pays plus tôt que prévu, se plaignant des obstructions du gouvernement rwandais et craignant que les personnes qu’ils avaient interrogées ne subissent des représailles. C’était seulement la troisième fois en dix ans que le sous-comité était ainsi amené à suspendre l’une de ses missions.
Tactique de représailles
Le gouvernement rwandais refuse depuis des années à HRW un accès aux centres de détention et aux prisons militaires. Plus inquiétant encore, nous continuons de documenter des représailles à l’encontre des personnes qui osent évoquer en public des violations des droits humains commises contre eux ou contre des membres de leurs familles.
De nombreux anciens détenus nous ont affirmé avoir été mis en garde contre l’idée de parler des tortures qu’ils avaient subies. S’ils persistaient, ils risquaient d’être renvoyés dans les camps militaires. Il s’agit là d’une tactique courante au Rwanda concernant les violations les plus sensibles des droits humains. Au cours de ces derniers mois, des personnes qui nous ont parlé d’exécutions extrajudiciaires dans l’ouest du pays ont été menacées, voire arrêtées, et se sont entendues dire qu’elles allaient « voir ce que le gouvernement allait leur faire ».
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Le gouvernement rwandais a annoncé qu’il « envisageait certaines options en ce qui concerne le Protocole facultatif », qui pourraient inclure un retrait pur et simple. Mais alors que le sous-comité ne s’est pas exprimé publiquement, se contentant de publier un communiqué de presse, il était probablement sur le point de confirmer ce que de nombreux Rwandais savent mais ne peuvent pas dire : le recours systématique à la torture est une réalité et sème la peur chez de nombreux Rwandais.
Le Comité contre la torture devrait tenir le Rwanda pour responsable de son usage de la torture et de ses violations de la convention. Alors que le gouvernement rwandais continue de boycotter des organisations comme HRW ou d’empêcher des enquêtes sur le terrain par des organes comme le sous-comité, le Comité contre la torture pourrait bien être le dernier espoir de confronter publiquement ce fléau au Rwanda.
* Le prénom a été changé.
Bénédicte Jeannerod
est directrice France de Human Rights Watch
Source : Le Monde (Le 23 novembre 2017)
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