Un coup d’Etat militaire qui s’arrête à mi-chemin, hésite au carrefour du coup de force et du round de négociation, appelle la rue au secours et, in fine, opte pour une pause à durée, elle-même, à déterminer ultérieurement. Indiscutablement, le Zimbabwe est politiquement situé sur une autre planète.
Le scénario n’a rien à voir avec l’évacuation de Bourguiba, du Palais de Carthage vers une résidence de Monastir. Un chef d’œuvre de changement en douceur, accompli par le Général Ben Ali, en 1987. Le crépuscule du régime de Robert Mugabe est moins accéléré que le dernier quart d’heure de Blaise Compaoré et moins brutal que la fin hâtée du mandat de Mohamed Morsi, en Egypte. Bref, c’est le putsch le moins expéditif du continent africain. Preuve que le Président Robert Mugabe n’est ni Henri Konan Bédié (renversé par le Général Robert Gueï) ni ATT (coulé par le Capitaine Sanogo) ; encore Ibrahim Baré Maïnassara, exécuté par le chef de la Garde présidentielle.
La singularité du processus laborieux de destitution du Président Mugabe plonge ou trouve ses racines dans la trajectoire historique du Zimbabwe et, bien entendu, dans l’épopée glorieuse du Parti libérateur, la ZANU-PF. L’analogie est assurément certaine entre le combat de l’ANC, en Afrique du Sud, et la guérilla ou les guérillas nationalistes dans l’ex-Rhodésie du Sud. Toutefois, la réalité d’une démographie composite et bigarrée, d’une part, et la balance des rapports de forces politico-militaires, d’autre part, ont imposé le phénomène voluptueux d’une « nation arc-en-ciel » confortée indéniablement par le génie personnel de Nelson Mandela. La différence est encore plus accentuée et consacrée entre le Zimbabwe (ex-Rhodésie du Sud) et la Zambie de Kenneth Kaunda (ex-Rhodésie du Nord), pourtant doublement jumelles dans la géographie physique comme dans la colonisation britannique.
Comme on le voit, analogie n’est pas identité. Par conséquent, le Zimbabwe a emprunté le chemin empierré d’une guerre sans merci contre l’armée blanche et raciste du Premier ministre Ian Smith. Une escalade militaire de quinze ans qui a débouché sur les Accords de Lancaster House, signés en 1980. Ce maquis dur et périlleux a trempé les combattants de la ZANU-PF, forgé un patriotisme ardent et, inévitablement, engendré une sorte de référence mémorielle qui est et reste encore la source d’une légitimité scrupuleusement respectée par tous les Zimbabwéens, exceptés les traitres, les renégats et autres collaborateurs. Voilà qui explique que Robert Mugabe – même réellement affaibli par l’âge et nettement isolé dans le Parti – cristallise encore courtoisie, respect et déférence, de la part de certains de ses compagnons des années de braise.
Au Zimbabwe, l’Etat n’est pas arrivé dans les fourgons du colonialisme. Il est né dans la brousse, construit par des maquisards qui ont dormi parmi les moustiques, bu l’eau des mares (pas d’eau d’Evian ni de Kirène) et fait le coup de feu… libérateur de la patrie. La liberté du Zimbabwe n’a rien de commun avec les décolonisations gracieusement accordées mais fatalement grosses de recolonisations. Le Président Senghor aimait dire : « J’ai rencontré le Général De Gaulle à Bayeux, il m’a donné l’indépendance, en 30 minutes de conversation ». En Algérie, en Angola, en Guinée-Bissau et au Zimbabwe, des hommes ont versé des hectolitres de sang, pour arracher l’indépendance. Par voie de conséquence, les observateurs et les analystes africains qui n’ont jamais vécu dans ces pays-là, ont du mal à comprendre les postures politiques farouchement réfractaires aux « valeurs démocratiques » vantées dans les discours, en provenance d’Occident. Dès lors, on saisit et cerne le discours violemment anti- Mugabe de l’Ivoirien Alassane Ouattara. N’est-il pas arrivé au pouvoir par la « licornocratie », c’est-à-dire la démocratie établie par les blindés de l’opération française dite Licorne ?
Ce qui se passe au Zimbabwe est, en effet, surréaliste et inédit en Afrique. Les images sont parlantes, à cet égard. Le Président Mugabe a prononcé son discours anti-démission dans les locaux de la Télévision pourtant encerclés par les chars et les soldats de l’armée qui déroule son coup d’Etat. Mieux, son auditoire immédiat était, hier soir, constitué d’officiers supérieurs en tenues de combat qui ne l’ont pas dégagé manu militari. On n’humilie pas quelqu’un qui a passé dix années de sa vie, dans les prisons rhodésiennes et autant de temps, au combat ou en exil. En vérité, Robert Mugabe est le chef historique – usé mai vénéré – d’une phalange soudée dans et par d’inoubliables épreuves endurées collectivement : la vaillante fratrie de la ZANU-PF. Dans le système zimbabwéen, le Parti, l’Etat, l’Armée et la Sécurité s’entrelacent et s’enchevêtrent de façon inextricable.
J’ai observé de très près, durant mes séjours en Angola, ces formes d’organisations pré-étatiques puis étatiques, en côtoyant les cadres de la SWAPO, du MPLA et, accessoirement, quelques amis de l’UNITA. Il s’y ajoute qu’au sein des Forces de Défense et de Sécurité, Robert Mugabe a créé un noyau dur à la nord-coréenne. Il s’agit de la Garde présidentielle. Ses éléments – forcément loyaux – sont triés sur le volet, recrutés parmi des orphelins de la longue guerre de libération, avant d’être expédiés en Corée du Nord, pour subir un endoctrinement démentiel et une solide formation militaire. Pour Mugabe (leur Dieu et leur Créateur), ces orphelins en uniforme sont prêts à tout : tuer comme perdre la vie. Il est clair que des réglages sont en cours entre Garde présidentielle, Armée nationale et Services secrets. C’est la raison pour laquelle, l’ancien Vice-Président Emerson Mnangagwa reste, malgré sa popularité et sa fraiche réélection au Comité central, dans la clandestinité.
Dans tous les cas de figure, l’épilogue de la crise zimbabwéenne portera plusieurs empreintes. D’abord, la triple marque de Pretoria, de l’UA et de la SADC qui sont, toutes les trois, porteuses d’agendas décalés mais solidairement anti-coups d’Etat. Cependant, la ferme défense des principes constitutionnels ne signifie guère un soutien aveugle et inconditionnel à Robert Mugabe. Donc, il existe une marge dans laquelle les médiateurs étrangers et les protagonistes de la crise peuvent se mouvoir fructueusement. Ensuite, la sauvegarde de l’unité de la ZANU-PF – gage du fonctionnement harmonieux des institutions militaires et sécuritaires – est vital et salvateur. Enfin, l’équation matrimoniale (la trépidante et ambitieuse Madame Grace Mugabe a rompu les équilibres internes) requiert une solution souple et humaine, au regard de la santé du mari grabataire qui a bien besoin d’une conjointe, notamment, dans le rôle d’infirmière. Manifestement, ce coup d’Etat se déroule dans les couloirs du Pouvoir. L’opposition étant spectatrice. Sûr que le peuple regrette la défunte et effacée épouse de Robert Mugabe, la Ghanéenne Sally. C’est durant les années de lutte et d’exil que Robert Mugabe l’avait rencontrée à Takoradi (ville portuaire du Ghana), avant de l’épouser avec la bénédiction du Président Kwame Nkrumah.
PS : Au-delà de l’avenir de Robert Mugabe, c’est le destin d’un réfugié hors du commun qui oscille à Harare. En effet, le sort de l’ancien dictateur éthiopien, le Colonel Mengistu Haïlé Mariam est étroitement lié au futur de son hôte. Si Robert Mugabe tombe, l’épée de Damoclès d’une extradition vers Addis-Abeba planera au-dessus de la tête de l’auteur de la « Terreur rouge » des années 70 (des milliers de morts) qui culmina avec l’assassinat du prestigieux Empereur Haïlé Sélassié. Ce père fondateur de l’OUA et vainqueur de l’armée fasciste de Mussolini, fut tué comme un rat dans un sous-sol du Palais impérial. Des sources bien informées indiquent que la destination prochaine de l’ex-chef de la Junte éthiopienne serait Pyongyang, en Corée du Nord.
Babacar Justin Ndiaye
Source : Dakaractu (Le 20 novembre 2017)
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