Pour certains chercheurs, le but premier des organisations terroristes est d'exister… médiatiquement.
Le 31 octobre dernier, la ville de New York a été victime, seize ans après le 11-Septembre 2011, d'une nouvelle attaque terroriste, faisant 8 morts et 12 blessés. Après Paris, Nice, Londres, Marseille, Las Vegas, ou encore Mogadiscio, en Somalie, les attentats semblent se multiplier et devenir de plus en plus fréquents.
Cette répétition incontrôlée, ce va-et-vient permanent, cette antienne de la peur ne serait finalement que le résultat d'une mondialisation organisationnelle des activités terroristes. Daech, mais aussi al-Qaïda et ses branches régionales comme al-Qaïda au Maghreb islamique seraient devenues des coopérations internationales cherchant d'abord à s'imposer sur un marché global concurrentiel avant d'imposer une idéologie mortifère.
On a appris à vivre avec
Si le but premier ne serait donc plus de faire peur, de faire apparaître un sentiment de crainte permanent auprès des populations ciblées, mais d'exister. D'après les chercheurs Amarnath Amarasingam et Colin P. Clarke, dans leur article Le terrorisme ne nous fait plus vraiment peur, «la stratégie de Daech est une stratégie d’usure –celle du maintien d’un rythme régulier d’attentats à travers le globe, et particulièrement en Occident, afin que la menace du terrorisme apparaisse universelle».
Autrement dit, il ne faut pas faire peur mais montrer que tout le monde peut être touché, à n'importe quel moment. D'ailleurs, la science économique admet que les individus s'adaptent aux circonstances et apprennent du passé. L'angoisse, par exemple, pourrait être contrôlée et diminuée, par l'effort et la cadence. Ce qui anéantirait de fait la quête d'une organisation terroriste.
Depuis longtemps, des études ont montré que la répétition accélérée d'actes terroristes annihilait le sentiment de crainte. La première analyse sérieuse date de 2011. Le Prix Nobel d'économie Gary Becker et l'économiste israélienne Yona Rubinstein ont analysé l'impact des attaques terroristes, dans le cadre du conflit israélo-palestinien dans les années 2000, et les conséquences sur les habitudes de vie. À travers une étude économétrique et psychologique, ils ont montré que les gens étaient capables de s’adapter et de contrôler leurs émotions, qu’ils étaient plus forts que la haine et des atrocités. En novembre 2015, j'expliquais ainsi dans cet article de Slate:
«Par l’apprentissage et l’expérience, l’agent s’adapte. Les consommateurs réguliers, s’ils revivaient les mêmes attaques terroristes, étaient capables de faire résilience et de réduire l’effet de la peur. De plus, une fois que l’agent réussissait à surmonter ce sentiment et à le dépasser, l’impact d’un nouvel attentat se réduisait psychologiquement.»
Ce postulat a été inspiré par le politologue australien Grant Wardlaw qui, dans son livre écrit en 1989, Political Terrorism: Theory, Tactics and Counter-Measures, considérait que la répétition des attaques conduirait à créer l'indifférence totale de la société. En clair, on n'en parle plus et/ou on n'a plus peur.
Le but est surtout d'exister médiatiquement
Mais finalement, sachant cela, les terroristes n'auraient plus cet objectif en ligne de mire. Lorsque Daesch revendique plus de 54 attentats à travers le monde, ce n'est pas pour gagner en crédibilité ou imposer la fabrique de la peur. L'organisation veut aussi qu'on parle d'elle et que sa «marque» s'impose dans le concert médiatique. Elle veut remporter le «marché terroriste», face à ses opposants que sont al-Qaïda et al-Qaïda au Maghreb islamique.
C'est en tout cas l'une des théories de l'économiste Américain Bryan Caplan. Dans son article Terrorism: The relevance of the rational choice model, le professeur à la George Mason University montre que les terroristes sont conditionnés par un calcul coût-avantage dépendant essentiellement d'un gain potentiel médiatique.
L'économiste ne fait ici qu'appliquer la théorie du choix rationnel, propre à l'école néoclassique, en admettant une rationalité relative des terroristes. Ces derniers agiraient en fonction de 3 éléments:
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Les coûts d'opportunité, liés à la valeur du renoncement au choix alternatif («que m'apporterait de ne pas agir de la sorte»).
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Les frais d'organisation.
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Les gains de médiatisation et de notoriété.
D'après Caplan, il y aurait attentat si et seulement si le gain lié à la médiatisation est d'abord réputationnel. «Il faut qu'on parle de nous, de notre action, de notre cause, quoiqu'il arrive», pourrait-on entendre. Caplan admet qu'il existerait des objectifs intermédiaires, liés à la notoriété et à la reconnaissance des revendications, qui aboutiraient ensuite à la réalisation d'objectifs finaux: changement de régime, affirmation d'un idéal, d'une idéologie, etc.
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Cette situation expliquerait bien la stratégie actuelle de Daech, à revendiquer tous les attentats, même ceux qui n'auraient aucun lien direct avec elle. Ce qui compte, c'est que les médias associent à chaque fois l'attaque avec l'organisation État Islamique.
L'importance des médias
On se retrouve dans la même situation que dans ce film plus qu'oubliable, Bastille Day, sorti en 2016, avec l'acteur anglais Idris Elba. Dedans, le méchant, joué par Thierry Godard, après un attentat raté, lance à ses troupes: «peu importe l'endroit où la bombe a explosé et peu importe le nombre de morts. Ce qui compte c'est qu'elle ait explosé et qu'on en parle»
L'idéal serait donc de ne pas médiatiser l'acte et de ne pas en parler. Si les organisations terroristes espèrent d'abord la reconnaissance publique, la notoriété, avant la réalisation de l'objectif final, il convient tout simplement de ne pas leur donner ce qu'ils désirent. C'est en tout cas la revendication de Gary Becker et de Yona Rubinstein, en conclusion de leur article sur le terrorisme:
«Lorsque les médias font l'impasse sur le traitement de l'attaque, lorsqu'ils n'en parlent pas, nous constatons une diminution considérable du sentiment de peur et un maintien des habitudes de vie. Personne ne semble avoir été touché par l'attentat et la vie continue comme si de rien n'était. […] C'est précisément cela qu'il faut viser. Les médias ont un impact significatif sur le sentiment de notoriété des organisations terroristes. Ils doivent le prendre en considération et s'adapter en fonction des risques futurs.»
Ou alors, nous pourrions tout simplement arrêter de regarder les chaînes d'information en continu et éteindre la télévision. De quoi, en tout cas, nourrir le débat effleuré sur France Inter par Nicolas Demorand et l'humoriste et chroniqueuse Nicole Ferroni.
Pierre Rondeau
Source : Slate
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