Affaire Kevin Spacey : voulons-nous vraiment d’une chasse aux sorcières?

[BLOG] Ce qui vient d'arriver à l'acteur américain est l'exemple parfait de ce qui peut advenir si nous cédons aux sirènes des lapidations médiatiques.

Les temps sont à l'orage: on fouille dans les poubelles des années passées depuis bien longtemps, on exhume des histoires aux relents d'agression sexuelle, on pointe du doigt le responsable de ces forfaits et dans la foulée, sans le moindre discernement, sans prendre la peine d'éclairer les circonstances de l'incident, on exige de lui qu'il s'excuse là, maintenant, sur-le-champ, sans quoi il sera excommunié.

Ce qui vient d'arriver à Kevin Spacey est l'exemple parfait de ce qui peut advenir si d'aventure nous laissons prospérer une sorte de retour à un certain ordre moral où seuls seraient fréquentables ceux dont le comportement serait jugé par l'opinion publique comme étant irréprochable.

Kevin Spacey donc, présumé coupable il y a trente-et-un ans d'avoir tenté de s'attirer les faveurs d'un jeune acteur de 14 ans lors d'une soirée alcoolisée, tentative qui se serait tenue dans son appartement et se serait conclue par la fuite de l'adolescent, Anthony Rapp, lequel, au nom de la nécessaire solidarité avec les actrices éprouvées dans leur chair par les outrances sexuelles d'Harvey Weinstein, s'en est allé confier l'histoire de son agression avortée à un journal américain.

Kevin Spacey qui dans la foulée de cette révélation, afin de parer au plus pressé, publie au beau de milieu de la nuit, sur son compte Twitter, la déclaration suivante:

«Je suis horrifié par ce récit. Honnêtement, je ne me souviens pas de cette rencontre. Mais si je me suis réellement comporté comme cela, je m'en excuse auprès de lui pour ce comportement inapproprié et sous l'effet de l'alcool. Je suis désolé pour ce qu'il a dû endurer pendant toutes ces années.»

Avant de profiter de cette occasion, piqué par on ne sait quelle mouche, pour révéler, dans une déclaration pour le moins maladroite, son homosexualité.

Kevin Spacey, dont on apprenait hier dans l'après-midi que la série House of Cards où il tenait le premier rôle, s'arrêterait au soir de sa prochaine et sixième saison, décision qui selon Netflix aurait été prise bien avant ladite révélation.

Voilà où nous en sommes rendus.

Un acteur, hanté par une tentative d'agression sexuelle survenue dans son adolescence qui décide, trois décennies après les faits, par un effet de contagion, de révéler au grand public son traumatisme, un autre acteur, opportunément ou pas amnésique, contraint de bafouiller des excuses sur sa potentielle inconduite, un studio de télévision qui profite de l’événement pour annoncer sa décision d'arrêter là les frais, et cerise sur le gâteau, la première à avoir dénoncé le comportement odieux de Weinstein, Rose McGowan, qui s'empresse de déclarer sur Twitter: «Au revoir, Spacey, au revoir, à ton tour de pleurer.»

Même lors des purges staliniennes, on s'arrangeait pour donner aux simulacres de procès un semblant de vérité. De nos jours, grâce aux réseaux sociaux, plus besoin de se donner cette peine: en moins de temps qu'il n'en faut pour rédiger un tweet, vous pouvez, sans prendre la peine de vous prémunir d'une quelconque obligation de réserve, juger un homme, le condamner, et si d'aventure, il ne répond pas à vos injonctions, l'ostraciser à tout jamais.

Il n'est pas question ici de prendre la défense de Kevin Spacey.

J'ignore ce qui a bien pu se passer cette nuit où il aurait tenté d'agresser sexuellement un adolescent, ce qui de tout évidence, si les faits étaient avérés –mais le seront-ils un jour?– constituerait un acte hautement répréhensible que la consommation immodérée d'alcool ne saurait excuser.

Et après, une fois que nous avons dit cela, que faisons-nous? Allons-nous à chaque fois exiger des comptes, des excuses, des remords? Hurler à tout vent son indignation, son écœurement, sa révulsion? Clouer au pilori de l'opinion publique l'inopportun et l'inviter à rester chez lui?

Et à quel moment nous arrêterons-nous? Allons-nous fouiller la vie de chacun et décréter après un minutieux examen de son passé qui doit se retirer de la course et qui peut continuer à nous divertir? Allons-nous tous devenir des procureurs zélés qui jugerons sans états d'âme, condamnerons sans raison, sanctionnerons sans précaution? Surtout, avec notre morale d'aujourd'hui, allons-nous revisiter le lointain passé et, face à des comportements qui nous sembleraient amoraux et contraires aux principes de notre époque, jeter l'opprobre sur des individus morts et enterrés qui n'auront que leur silence à nous opposer?

Voulons-nous vraiment jouer cette partie-là avec toutes ces conséquences afférentes?

Ou bien, dans un dernier ressort, nous souviendrons-nous de Rimbaud, de l'éternel jeune homme, l'amant scandaleux de Verlaine qui écrivait dans l'un de ses plus célèbres poèmes:

Ô saisons, Ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts?

 

Laurent Sagalovitsch

 

 

Source : Slate

 

 

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