Gambie : Jamais plus Jammeh

Deux divines surprises pour la prix d’une. Non seulement le satrape gambien Yahya Jammeh, aux commandes de cet étrange pays ouest-africain aux deux millions d’âmes, doigt de gant fiché dans le flanc du Sénégal, a été terrassé dans les urnes hier jeudi.

Mais l’ex-colonel, parvenu au pouvoir en 1994 au prix d’un coup d’Etat politiquement fatal à son grand-oncle Dawda Jawara, a reconnu dès ce vendredi sa défaite. Elu en 1996, reconduit trois fois depuis lors, le colosse fantasque briguait donc à la faveur d’un scrutin à un seul tour un cinquième mandat. Et ne doutait pas en apparence du verdict des isoloirs. « Par la grâce de Dieu Tout-Puissant, avait-il claironné à l’heure de glisser son bulletin, boubou immaculé, lunettes noires, un Coran dans une main et un sceptre dans l’autre, ce sera le plus grand raz-de-marée de l’histoire de mes élections. » Raté. Crédité de 45,5% des suffrages, son rival, le néophyte Adama Barrow le devance de près de neuf points. Candidat d’une ample coalition d’opposition, ce cador de l’immobilier a suppléé le challenger habituel Ousainou Darboe. Et pour cause : au côté d’une trentaine d’opposants, Darboe, par ailleurs atteint par le limite d’âge, fut condamné en juillet dernier à trois ans de prison pour avoir pris part à une manifestation interdite.

En Gambie, ex-colonie britannique élevée voilà un an au rang de « République islamique », la démocratie est un jeu d’enfants. La preuve : on y vote avec des billes. En vertu d’un rituel unique au monde, l’électeur dépose son calot dans le bidon de son choix. En l’occurrence, cette fois, un fût vert pour le sortant, gris pour son tombeur et mauve pour Mama Kandeh, ancien député du parti au pouvoir en rupture de ban.

Le secret de ce quasi-miracle ? Il réside dans un cocktail de nature à inspirer maintes sociétés subsahariennes : l’unité autour d’un homme perçu comme neuf, une campagne intense et une participation élevée (65% des inscrits environ), le tout relevé d’une pincée de courage. Voilà des mois que les fantassins de l’alternance bravent la peur qu’inspirent l’appareil militaro-policier et la NIA, l’agence de renseignement maison, qu’il s’agisse de réclamer des réformes politiques ou d’exiger la lumière sur la mort en détention de Solo Sandeng, figure de proue de la contestation. Si tout reste à faire, la potion évoquée ci-dessus semble plus prometteuse que les breuvages, baumes et onguents que « Son Excellence Professeur El Hadj Docteur », l’un des titres revendiqués en toute humilité par Jammeh, administrait aux malades du sida ou aux hommes frappés de stérilité sous l’œil des caméras de la télévision d’Etat. C’est que Babili Mansa -le Bâtisseur de ponts en langue mandingue, autre surnom usuel de l’intéressé- se croit doté des pouvoirs mystiques du guérisseur traditionnel.

Les électeurs de Banjul et d’ailleurs viennent d’offrir à leur Diafoirus une retraite anticipée. Reste à prouver qu’ils trouveront en Barrow le médecin dont la patrie a besoin.

 

Vincent Hugeux

 

Source : L’Express (France)

 

 

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