ATTENTATS – Il y a 15 ans, deux avions venaient se crasher dans les tours jumelles du World Trade Center. Depuis, bien d'autres villes ont vécu de telles tragédies. De Beyrouth à Karachi en passant par Tel Aviv, Gaza, Mumbaï ou Nairobi, Madrid, Londres ou Paris et, plus récemment, Nice, chacune a pansé ses plaies à sa manière, a dompté sa peur ou est encore en train de le faire.
Évidemment, comparaison n'est pas raison. Nombre de morts, lieux, commanditaires et modes opératoires, les attentats de Paris et ceux des trois grandes villes occidentales différent en de nombreux points. Cependant, les conséquences psychologiques que produisent ces tragédies sur la population peuvent être comparables. En ce sens, New York, Madrid et Londres ont certainement des leçons de résilience à nous apprendre, nous qui pensions avoir vécu le pire avec Charlie Hebdo puis le 13 novembre, mais qui avons dû faire face à Nice ou à Saint Etienne du Rouvray. "Des attaques de la sorte modifient la perception que nous avons de notre propre sécurité et de notre invulnérabilité", explique la psychologue madrilène Mónica Pereira interrogée par Le HuffPost et qui a travaillé sur les suites des attentats de Madrid.
Contrôles renforcés des bagages à la gare de Madrid, patrouilles de forces antiterroristes dans les rues de New York et brigades de police armées aux abords du stade de Wembley à Londres, après les attentats du 13 novembre, les mesures de protection visent autant à se prémunir du risque terroriste qu'à rassurer la population. "Nous ne sommes pas inquiets, modère le psychiatre Lloyd Sederer qui a travaillé pour la mairie de New York à la prise en charge des victimes des attentats du 11 septembre. Au mieux, sommes-nous vigilants et déterminés, à l'affût d'un possible danger".
Augmentation immédiate du stress
Dans toutes ces villes, les psychologues et médecins ont pu constater une augmentation du stress, même chez ceux qui n'ont pas été directement touchés par les attentats. "Le désarroi est une réaction normale à une situation anormale", explique au HuffPost Lloyd Sederer, psychiatre et directeur médical du New York State Office of Mental Health, spécialiste du sujet. "Les terroristes veulent perturber l'équilibre émotionnel et économique d'une communauté, d'une ville, d'une région ou d'un pays. C'est insidieux: leur but est bien plus large que les tragiques conséquences pour les familles des victimes", ajoute-t-il.
Même son de cloche du côté de Madrid. Comme l'explique au HuffPost Mónica Pereira, psychologue ayant travaillé sur les attentats du 11 mars 2004 à Madrid. "Dans les jours et les mois qui ont suivi les attentats, les Madrilènes en particulier, ont déserté les bars, les transports publics. Nous sommes devenus un peuple silencieux, stressé, méfiant. Notre naturel joyeux et sociable est venu à bout de notre peur."
Onze ans après ce jour où des membres d’Al-Qaida ont placé des bombes dans des trains, certains habitants de la capitale ont encore besoin d'un suivi psychologique et psychiatrique mais il s'agit surtout "des victimes directes des attentats (des passagers et des professionnels de secours) et des proches des victimes qui ont perdu des êtres chers ce jour-là, ajoute-t-elle.
De nombreuses études disent avec des chiffres ce que les psychologues ont pu constater avec leurs patients. Après les attentats de Londres, une étude publiée dans la revue British Journal of Psychiatry, réalisée par des chercheurs du King's College London, montrait que, sept mois après le drame, 11% des personnes interrogées se sentaient "énormément stressées" et que 43% pensaient que leur vie était en danger.
Troubles de stress post-traumatique
En 2015, soit dix ans après les attentats à la bombe, il faisait le point, sur le HuffPost UK, sur les troubles de stress post-traumatique (PTSD) affectant les Anglais. Sur les 217 personnes ayant eu besoin de soins intensifs, la majorité allait bien un an après la fin du traitement.
Aux Etats-Unis, un nombre important de cas de PTSD a été décrit, cinq à six ans après le 11 septembre. 30% des habitants de Manhattan montraient par exemple encore des signes de dépression. Sur les 10.000 personnes ayant dû bénéficier d'un suivi, 3600 étaient encore en psychothérapie dix ans après les attentats. Mais pour le psychologue Yuval Neria, psychologue au département de psychiatrie de l'université Columbia, ces résultats sont à nuancer. Selon une étude réalisée en partie par lui, la plupart des personnes touchées de près par les attentats n'ont pas développé de PTSD. Il serait en fait compliqué d'attribuer ces symptomes uniquement aux attentats quand d'autres facteurs peuvent entrer en compte. Une zone trouble constatée aussi par Mónica Pereira: "Si la demande d'aides psychologiques augmente aujourd'hui, c'est pour des raisons qui découlent de la crise économique", analyse-t-elle.
En France, les effets cumulés des attentats?
A Paris et dans le reste de la France, il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences de ces attentats, d'autant plus qu'ils ne semblent pas s'arrêter. Mais les retombées de tels événements sont bien évidemment craintes: "De 25 à 50 % des victimes d'un événement traumatique majeur (par exemple, combats militaires, génocides, attaques terroristes, viols) peuvent développer cette pathologie (PTSD, ndlr)", souligne dans une tribune sur Le HuffPost Aline Desmedt, maître de conférence à l'Université de Bordeaux, spécialiste de la mémoire associée au stress (mémoire de peur normale et traumatique).
Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'après les attentats de Charlie Hebdo, certains psychologues annonçaient déjà une "onde de choc collective". Entre le vendredi 9 janvier (deux jours après le drame) et le mardi 13, les Français ont acheté 18,2% de boîtes d'anxiolytiques et de somnifères en plus que d'habitude.
Une étude a été menée en France, afin de connaître l'impact sur la santé mentale des Français suite aux attentats de janvier. Il s'agit de l'enquête épidémiologique I.M.P.A.C.T.S (Investigation des Manifestations traumatiques Post Attentats et de la prise en charge Thérapeutique et de Soutien), pilotée par la Cire Île-de-France (cellule de l’InVs en région) avec l’appui de l’Agence Régionale de Santé Île de France. Celle-ci a notamment montré que six mois après les attentats de Charlie Hebdo, 4 personnes sur 10 touchées (victimes, endeuillés, intervenants, témoins) présentaient encore au moins un trouble de la santé mentale tel que stress post-traumatique ou dépression. Les auteurs de l'étude insistent donc sur le fait de prendre en charge toutes les victimes, de près ou de loin.
Un peu d'espoir
Onde de choc, séquelles psychologiques, certes mais aussi fraternité nouvelle, voilà une conséquence inattendue de ces tragédies. "Les habitants de New York sont devenus encore plus solidaires après les attaques, remarque LLoyd Sederer. Les gens étaient davantage prêts à venir en aide et à faire attention aux autres. Même si la cohésion a diminué au fil des années, je crois qu'il en reste encore des effets."
Arriverons-nous à passer à autre chose? "De nombreux New-Yorkais savent ce qu'il s'est passé ce jour-là, y compris les jeunes, mais ils ne pensent au 11 septembre qu'une fois par an, pour l'anniversaire", affirme LLoyd Sederer. C'est ce que confirme aussi Mónica Pereira, "en général, après la première année, la grande majorité des Madrilènes ont repris leurs habitudes." En matière de résilience, il n'y a pas de raison que les Parisiens ou les Niçois diffèrent de leurs voisins américains, espagnols ou londoniens. Mais le problème, désormais, n'est pas seulement de laisser derrière soi un attentat, mais bien de composer avec l'idée que d'autres drames peuvent se produire.
Marine Le Breton & Sandra Lorenzo
Source : Le HuffPost
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