Ne me racisez pas

Un camp d'été «décolonial» a accueilli pendant quatre jours à Reims des débats et une «formation à l'antiracisme». A cette occasion, le terme de «racisé» a souvent été employé pour définir les personnes non-blanches. Mais que veut dire ce terme?

A l’occasion de l’organisation d'un camp décolonial à Reims, c’est-à-dire excluant les «Blancs», le grand public a pu lire le terme «racisé», «racisé» étant le contraire de blanc. Un terme équivoque.

Peu importe que le concept de race ait été depuis longtemps démenti par la science; il est encore présent dans la tête de pas mal de gens avec des préjugés qui font froid dans le dos. Ces préjugés et leurs effets peuvent être documentés par des travaux d’universitaires: c’est le cas quand une ethnologue s’intéresse à la manière dont les familles parisiennes choisissent leurs nounous, avec des a priori sur les types d’éducation et de maternage liés aux origines, ou encore quand les sociologues de l’éducation –Georges Felouzis ou Françoise Lorcerie– ont montré que l’origine ethnique joue un rôle dans les processus d’orientation scolaire.

Ces études, comme d’innombrables témoignages, montrent comment les individus sont ramenés à des présupposés liés à des caractéristiques visibles (couleur de la peau, nom). C’est ce qu’exprime le terme «racisé». On est «racisé» par des gens qui vous attribuent des caractéristiques propres à un groupe dont vous êtes censé faire partie. C’est comme cela que le terme a été forgé.

Un terme qui met mal à l'aise

«Le camp d’été est réservé uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État», lit-on sur le site du camp d'été décolonial. A l'occasion de cet événement, il s’agissait de partager, si j’ai bien compris, l’expérience des «racisés». Et, de fait, quand on n’est pas blanc, on perçoit bien que, dans l’imaginaire collectif, blanc est toujours perçu comme normal/banal/commun, et reste une caractéristique qui n’a pas besoin d’être précisée quand on parle d’un homme, d’une femme ou d’un enfant.

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En cette fin du mois d'août 2016, j’ai la peau encore bien plus mate que d’habitude. Je suis passée de café au lait clair à marron foncé. Je lis des comptes-rendus sur ce fameux camp décolonial. Et je me dis que j’aurais tout à fait pu participer à ce camp, il a l’air de s'y être dit des choses intéressantes. Mais le terme de «racisé» me met profondément mal à l’aise. Parce que je suis métisse. Métisse mais pas avec une moitié d’un truc et une moitié d’un autre truc. Métisse avec des quarts, des huitièmes et des seizièmes…

De quelle couleur suis-je? Au plus profond de mon cœur, je m’en bats l’œil. Pourtant, je ne suis pas blanche. Remarquez, j’ai des choses à dire. Ne pas être blanche en France, c’est quelque chose: on me pose très souvent la question de mes origines, il y a eu des moqueries à l’école, il y a parfois eu certaines manières de se comporter dans les transports, de me faire attendre dans une boutique… La chose qui me choque le plus profondément, c'est lorsque je refais faire une pièce d’identité et qu’on me demande quatre fois si mes deux parents sont français.

La couleur

Je me souviendrai toute ma vie de cette fonctionnaire qui, alors que nous avions perdu nos passeports avec un ami, m’a jetée au visage: «Rien ne me prouve que vous êtes française.» Scandaleux mais, honnêtement, les moments problématiques représentent très peu de temps à l'échelle de ma vie.

En discutant avec des amis, je me suis pourtant aperçue que, pour d'autres, blancs ou non blancs, il allait de soi que la couleur, ma couleur était le premier truc que l'on voyait chez moi… Je n'arrive pas à me rendre à cet avis: je suis aussi une fille, magnifiquement/très mal habillée, une mère avec ses enfants, une journaliste avec des grosses lunettes. Me faut-il penser que c'est d'abord ma couleur qu'on rencontre avant de me voir moi? Et, si je reconnais cela, et si j'en prends conscience, ne vais-je pas perdre du temps et de l'énergie à me demander en quoi ce qui n'est qu'un aspect de moi influence le regard des autres?

Car je m’appelle Louise, je n’ai pas l’air d’être d’une origine immédiatement identifiable et, surtout, je n’ai pas l’air d’appartenir à un milieu populaire. Cela réduit beaucoup, voire énormément, la «racisation» que je pourrais subir.

Et puis, ça me fait bizarre qu’il y ait un regroupement où je puisse me rendre mais où ma mère et l'un de mes frères –nous avons les mêmes parents–, mais pas l’autre, seraient exclus. J’ai deux enfants, sont-ils «racisés»? Pour moi, non, je les vois blancs. Mais j’ai découvert stupéfaite un soir qu’une de mes amies les voyait plutôt comme moi… colorés. Alors, c'est comme ça, d’un coup d’un seul, on se faisait raciser? Je ne m’étais jamais posé la question. J’ai demandé autour de moi, sur nos couleurs, les avis sont assez variés. Ma couleur de peau n’a aucun sens.

Mais, d’ailleurs, pourrais-je emmener mes enfants dans un «camp post-colonial» ? Ou seulement mon fils, qui est plus foncé de peau? Alors, «racisé», pas «racisé», qui décide? Ou alors, il faudrait le dire à la naissance d’un enfant suivant qu’on trouvera une tache bleue dans le bas de son dos ou non? Qui aura le droit d’entrer dans le club des «racisés»?

Toutes les origines

Peut-on se considérer comme «racisé» si on n’a pas d’origines précises ou si elles sont lointaines (par exemple si les «origines» racisées remontent à plusieurs générations?). Peut-on se considérer comme «racisé» si on est socialement privilégié et qu’on ne souffre jamais d’exclusion? Les jeunes garçons d’origine juive séfarade, dont certains ont les cheveux foncés et frisés, la peau mate et qui se font contrôler au faciès dans le métro doivent-ils être considérés comme «racisés»? Si votre mère est noire mais que vous êtes très clair de peau, vous sentirez-vous «racisé»? Pourquoi on ne dit pas victime de racisme ou d’antisémitisme?

Surtout, à force de parler de racisation, n’oublie-t-on pas que le malheur, c’est essentiellement de naître pauvre et de vivre dans un quartier victime de ségrégation, pas avec certaines caractéristiques physiques?

Je ne trouve pas inintéressant que l'on s’interroge sur une manière renouvelée d’aborder les questions de racisme, d’intégration ou de féminisme, et il est urgent de libérer la parole. Mais je me demande si les débat actuels n’en reviennent pas à plaquer des schémas essentialistes sur ce que cela signifie d'avoir certaines origines dans son arbre généalogique ou une certaine couleur de peau. Le déterminisme et l'attachement à une identité définie uniquement par les origines –j'inclus l’origine «française/ européenne/blanche», appelez-ça comme vous voudrez– restent l’ennemi de l’émancipation, la vraie. Celle qui permet d’avoir tous les espoirs, les désirs et les rêves quels que soient son sexe, la couleur de sa peau ou son origine sociale.

Mais peut-être que je pense tout cela parce que je viens d’un monde où l'on pensait qu’on allait progresser sur ce genre de sujet et, qu’un jour, la couleur de la peau n’aurait plus d’importance. J’y ai cru et j’y crois encore. Et c’est justement parce que c’est loin d’être arrivé que le terme «racisé» va passer dans le langage courant.

Source : Slate

 

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