Beethoven était noir, et autres légendes urbaines de la diaspora africaine

Les rumeurs, souvent inexactes, relayées sur Internet cherchent à redonner justice aux Africains et aux Afro-Américains oubliés par l'Histoire. Au risque de dévoyer la cause.

 

Le saviez-vous? Ludwig van Beethoven était métis. Né à Bonn en 1770, le grand compositeur allemand avait des origines flamandes, notamment par sa mère. Or, la Flandre était occupée par le royaume d'Espagne jusqu'au début du XVIIIe siècle. Et comme le royaume d'Espagne avait envahi le territoire maure sur la péninsule ibérique un siècle auparavant, il est fort à parier que la mère de Beethoven avait des racines africaines.

D'ailleurs, sa biographe Fransiska Giannatasio del Rio parlait à l'époque de «son nez large peu plat et son assez large bouche, ses petits yeux perçants et son teint basané…»

Le masque mortuaire de Beethoven, réalisé par Joseph Danhauser. Ed and Don / Flickr
Cette légende du «Beethoven noir» existe depuis plusieurs siècles, sans aucune preuve ni fondement. Les parents de Beethoven étaient flamands, le compositeur avait le teint basané, mais rien ne permet de retracer une éventuelle ascendance africaine (contrairement à Alexandre Dumas, par exemple). Mais cela n'a pas empêché de nombreux auteurs de reprendre l'histoire, jusqu'à aujourd'hui, comme l'explique Nicholas Rinehart, dans une publication de l'université d'Harvard. «Le mythe de l'ethnicité cachée de Beethoven persiste dans la culture contemporaine», écrit-il.
 
Surtout lorsqu'on s'en sert pour revaloriser l'histoire des Noirs et des Africains, souvent négligée. Au point de faire des comparaisons étranges, comme d'expliquer que la coupe de cheveux «à la Titus» de Beethoven ressemble à une coupe afro… ou de tomber dans l'anachronisme musical. «Essayer de démontrer un lien musicologique entre la sonate de Waldstein et le reggae, c'est une pure absurdité, rien d'autre», commente Nicholas Rinehart.

«Black stars»: la liste hétéroclite (et souvent fausse) des inventeurs noirs

La théorie capillotractée des origines noires de Beethoven est loin d'être la seule légende urbaine qui circule sur Internet et particulièrement sur les réseaux de la communauté noire dans le monde. À titre d'exemple, la fameuse liste des inventeurs noirs volontairement oubliés de l'Histoire, copiée-collée sur des sites identitaires, complotistes ou de «réinformation», et qui revient souvent en février, le «Black History Month» aux États-Unis. Dans cette liste de plus de cent personnalités (la plupart afro-américaines) dont on donne le nom, l'invention et la date précise, on retrouve tout et n'importe quoi.
 
Difficile de retrouver l'origine de cette liste, même si le livre d'Otha Richard Sullivan, Black Stars: African American inventors (1998) sert souvent d'illustration. Certaines inventions de la liste sont prouvées, comme la contribution de Norbert Rillieux, ingénieur créole de Louisiane, à l'amélioration de la production sucrière grâce à un procédé d'évaporation révolutionnaire en 1845, mais d'autres informations sont inexactes.
 
Prototype d'ampoule de Lewis H. Latimer, créé en 1883. Musée des sciences et de l'industrie de Chicago
Ainsi, Lewis Howard Latimer ne peut pas rigoureusement être considéré comme l'inventeur de la «lampe électrique», pour une raison simple: le prototype existait déjà depuis deux ans lorsqu'il a déposé son brevet en 1881. Mais grâce à ses travaux sur le filament de carbone à l'intérieur de l'ampoule, il a pu intégrer l'équipe de recherche de Thomas Edison, et lui être d'une grande aide. Mais la liste s'enfonce surtout lorsqu'elle confond la création d'un objet nouveau et son perfectionnement technique, une erreur commune. «99,9% des brevets déposés ne sont que des améliorations d'objets existants», comme le rappelle Mary Bellis, experte en inventions, dans un billet sur About.com. Alors, on comprend le problème lorsque la liste évoque notamment l'invention du réfrigérateur, des toilettes, ou du fer à cheval… en 1892.

«Pour certaines personnes, c’est très satisfaisant de croire»

Socialement, la mise en avant de scientifiques et d'inventeurs noirs veut dire beaucoup. «Il y a eu une longue période pendant laquelle les contributions des Noirs ont été ignorées, négligées, dont certains inventeurs blancs se sont attribué le mérite», explique Patricia Turner, doyenne et vice-rectrice de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Granville T. Woods, un des ingénieurs afro-américains les plus prolifiques (plus de cinquante brevets déposés, en mécanique et en téléphonie notamment), a dû batailler deux fois en justice afin d'obtenir la légitimité de ses brevets, y compris contre Thomas Edison.
 
Granville T. Woods (1856-1910), inventeur de plusieurs modèles de téléphones, d'un frein à main ou d'un incubateur d'oeufs.

Et comme il a fallu attendre la naissance des études afro-américaines après les années 1960 pour que la recherche se penche sur eux, la défiance vis-à-vis des universitaires a grandi. «Pour certaines personnes, c’est très satisfaisant de croire, explique Patricia Turner. On donne plus de crédit à quelqu’un qui n’a pas une éducation académique, mais qui défend une cause.» Ce phénomène, appelé biais de confirmation, est bien connu par les démystificateurs sur Internet. Une information sera biaisée selon qu'elle rejoigne ou non les idées préconçues du récepteur. Au risque de décrédibiliser la cause elle-même.
 
Dans les sphères identitaires blanches, on se moque facilement de ces erreurs que l'on met sur le dos de la propagande: «cette liste peut tromper l'Africain de base qui ne réfléchit pas, et auquel on a fait croire que toutes les causes de son échec venait (sic) du racisme des Blancs», écrit notamment L'Occident, blogueur d'extrême droite. Les suprémacistes blancs dénoncent aussi souvent la confusion à propos du physicien noir Henry Sampson, inventeur d'une cellule gamma électrique (gamma electric cell en anglais) pour produire de l'énergie à partir de sources de radiation, et non du premier téléphone portable (cell phone en anglais). De son côté, le site parodique La Désencyclopédie possède un article spécialement réservé à la «mélanophantie», le fait de proclamer que quelqu'un était noir sans preuve.

«De combien de preuves avez-vous besoin?»

Bien sûr, il serait également faux d'imaginer qu'aucun inventeur noir ou africain n'a marqué l'Histoire. Le docteur Charles Drew (pionnier de la conservation du sang en 1940, cité par l'historien Howard Zinn dans Une Histoire populaire des États-Unis), Benjamin Banneker (astronome et créateur d'une des premières horloges mécaniques en bois aux États-Unis), ou George Washington Carver (agronome qui a permis de mieux exploiter l'arachide pour diversifier son usage) sont des exemples. Encore aujourd'hui, beaucoup d'inventeurs africains contribuent à la recherche et au développement de nouvelles technologies, comme Thérèse Izay, ingénieure kino-congolaise dans le domaine de la robotique.
 
«Les légendes existent dans toutes les communautés ethniques», rappelle Patricia Turner. Aux États-Unis, la communauté juive, irlandaise ou WASP a aussi ses théories. «La vraie question, c'est: de combien de preuves avez-vous besoin pour y croire?», explique Gary Fine, sociologue spécialiste des rumeurs. Avant Barack Obama, la rumeur prétendait que les présidents Abraham Lincoln ou Warren Harding étaient noirs. «La seule preuve, c'était que quand Harding était petit, les gens l'appelaient "Nig" (nigger, nègre en anglais). Mais il n'en faut pas beaucoup pour faire des affirmations», conclut Gary Fine.
 
Surtout lorsqu'elles sont enrobées d'un message politique ou d'un contexte émotionnel fort. On raconte par exemple que du temps de l'esclavage, certains Noirs utilisaient leurs couettes pour communiquer et s'enfuir. «C'est une histoire très forte, les gens se disent qu'ils étaient courageux, note Patricia Turner. Mais nous n'avons aucune preuve historique à ce sujet…» Ce qui n'a pas empêché la rumeur de devenir, au fil du temps, une histoire crédible.
 
 
Paul Verdeau
Journaliste à Slate Afrique
 
 
 
Source :  SlateAfrique
 
 

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