Pour que votre couple survive aux vacances, voyagez séparément

Le meilleur moyen de ne pas se disputer consiste à se retrouver sur le lieu de vacances.

Tout a commencé lorsque Billy Budd a été inscrit sur la no-fly list. Billy Budd est un chien, un cairn terrier qui appartient à ma mère. Lorsqu’il prend l’avion, il est très angoissé et développe une force phénoménale. Sa périlleuse évasion de sa caisse de transport lors d’un vol Southwest d’Oregon au Texas, en 2013, eut pour conséquence, entre autres indignités, de voir ma mère sortie de l’avion sous escorte policière.

Mon père, pendant ce temps, prenait un autre vol, car il avait solennellement juré de ne jamais poser un pied dans le même avion que ce chien. Mon père aussi est nerveux à l’idée de prendre l’avion; quinze minutes de retard sur le tarmac suffisent à le stresser, alors voir sa femme et son chien tomber sous le coup de la loi de l'air –ce qu’il avait prédit, d’ailleurs– n’était absolument pas envisageable.

Ce fut à l’occasion de ce vol de la Southwest que mes parents voyagèrent pour la première fois séparément vers la même destination, et cela fonctionna à merveille. Ma mère eut une histoire à raconter jusqu’à la fin de ses jours; mon père lut le New Yorker pendant trois heures.

Aujourd’hui, mes parents ne prennent pratiquement plus jamais l’avion ensemble. Ils partent beaucoup en vacances tous les deux, mais en général ils voyagent séparément. Cela permet à mon père et à son New Yorker d’ignorer parfaitement les excentricités de ma mère (abandonner sa carte d’embarquement au Starbucks, laisser son ordinateur sur le comptoir de l’agence de location de voitures, oublier son portefeuille à la maison. Elle a même réussi à passer le contrôle de sécurité à l’aéroport avec pour tout document d’identité un flacon de médicament sur ordonnance à son nom et un exemplaire du magazine The Nation libellé à son adresse). Et quand le brouillard envahit San Francisco et que ma mère rate sa correspondance, elle obtient tranquilou une nouvelle réservation sans que mon père réagisse à un avion manqué comme si c’était la crise des missiles de Cuba.

 

Mes parents viennent de partir pour un tour de deux semaines de l’Europe à vélo, et ils ont réussi à faire le voyage en avion d’Eugene, dans l’Oregon, à Milan le même jour, avec deux compagnies aériennes différentes, sans se croiser une seule fois. Ça fait actuellement une semaine qu’ils sont partis, et ils s’éclatent.

Facteur de stress

En cette période de vacances, je me suis demandé: pourquoi davantage de couples n’optent-ils pas pour cette solution? J’ai lu nombre d’histoires de couples qui prenaient différents avions, afin que si l'un des deux s'écrase, leurs enfants ne soient pas totalement orphelins. (Je me pose la question: est-ce qu’ils conduisent séparément aussi, vu qu’ils courent bien davantage de risques de mourir sur la route?)

J’ai aussi vu de nombreux autres couples qui ne partaient pas du tout en vacances ensemble et qui s’en portaient parfaitement bien –mais pourquoi ne pas simplement se séparer le temps du trajet en avion, en train et/ou en voiture, et se retrouver après pour passer du bon temps? Après tout, mes parents sont loin d’être les seuls à ne pas se montrer sous leur meilleur jour lorsqu’ils voyagent. Une étude de 2014 montre que «se rendre à l’aéroport, en revenir et y passer en transit» est le premier facteur de stress aux États-Unis, gâche les vacances et va parfois jusqu’à sonner le glas du couple.

Les querelles d’amoureux en transit sont un danger si courant, en fait, que ceux qui veulent éviter une rupture tweetée en direct de l'avion peuvent trouver une flopée de conseils en ligne pour minimiser les inévitables disputes conjugales aériennes en vacances. L’autorité ultime en la matière est sans doute un couple connu sous les noms de Dave et Deb, derrière le blog de voyage populaire Planet D; ils voyagent ensemble depuis huit ans et m’ont envoyé un mail des Maldives pour apporter leur pierre à l’édifice. «Il semble que les plus grandes disputes aient lieu pendant les moments de “transit”» raconte Deb, en expliquant qu’elle et Dave ont «des engueulades épiques en essayant d’attraper des correspondances et en descendant aux mauvais endroits. À un moment on est descendus d’un bus trop tôt au milieu de nulle part, et on était tellement furieux l’un contre l’autre qu’on a refusé de marcher côte à côte.» Évidemment, ils étaient aussi perdus, ils ne pouvaient donc pas se séparer. «Alors on a marché à 100 mètres l’un de l’autre pour ne pas être obligés de se regarder.»

Et le phénomène ne concerne pas juste les couples de globe-trotters au milieu du désert de Gobi (où Dave a piqué une telle colère un jour qu’il est sorti de la voiture et est parti à pied). Faye Lane, artiste et hôtesse de l'air, m’a raconté que «les couples partent en vrille sans arrêt, à l’aéroport et dans l’avion» et oui, même pendant les petits vols intérieurs ordinaires. Parfois, dit-elle, ils arrivent à éviter les ennuis à 1.000 mètres d’altitude en refusant de s’asseoir côte à côte (solution également préconisée par Dave et Deb). Un jour, elle a proposé à un mari de faire asseoir sa femme à côté de lui, mais «avant que les mots aient franchi mes lèvres, il s’est mis à secouer violemment la tête tout en faisant le geste de se trancher la gorge.»

Parfois hélas, lorsque le couple monte à bord il est déjà trop tard –entre les embouteillages sur le chemin de l’aéroport et la file d'attente pour passer les contrôles de sécurité, les vacances (et le couple) peuvent être foutues avant que le signal lumineux demandant d’attacher sa ceinture ne soit éteint. Et parfois ce n’est vraiment pas drôle. Lane raconte avoir vu un jour un avion revenir à la porte d’embarquement «parce qu’un mari dans un siège du milieu s’était levé, retourné et avait envoyé une beigne à sa femme, qui était dans le siège du milieu derrière lui.» J’espère que ce couple a divorcé et que le mari est en prison –mais ça aurait été mieux s’ils avaient commencé par prendre deux avions différents.

Jouer «contre soi-même»

Ni Lane ni aucun des autres professionnels de l’aviation, voyageurs fréquents, blogueurs ou auteurs de voyage que j’ai contactés n’a jamais entendu parler de gens qui prenaient le même genre de mesures que mes parents. Mais pour Lane, ce n’en est pas moins une très bonne idée. «Si voyager en avion est stressant pour les deux, pourquoi ne pas prendre des vols différents et ne pas se retrouver à destination? Moins de stress et plus d’aventure.» Après tout, sans un certain vol transatlantique fatidique, la plus grande histoire d'amour de notre temps se serait peut-être terminée autrement.

Je me rends bien compte que cette solution ne va pas à tout le monde (et s’il y a des enfants à gérer, c’est totalement injouable). Mais adhérer à l’esprit, à défaut de la lettre, peut éventuellement contribuer à éviter des explosions susceptibles de gâcher un voyage, voire toute une vie de couple.

Un des couples à qui j’ai parlé, par exemple, a choisi de se rendre à l’aéroport chacun de son côté –ce qui lui permet, à lui, d’arriver une heure et demie avant l’embarquement, comme un humain raisonnable, et à sa partenaire de rappliquer trente minutes avant le décollage, à la James Bond. Un autre couple à qui j’ai parlé, dont les accrochages annuels tournaient toujours autour du copilotage de leur voiture de location, a décidé de consacrer une partie de leur budget vacances à la location d’une voiture avec chauffeur.

Croyez-le ou pas, ce genre d’évitement anticipé des disputes a un nom. Selon Kevin Zollman, théoricien des jeux préféré de Slate et voyageur régulier, on appelle cela jouer un jeu «contre soi-même». Il explique que nous faisons ça tout le temps –lorsqu’on n’achète pas de bonbons pour ne pas en manger; quand on choisit un plan de financement de retraite par l’employeur pour ne pas dépenser l’argent. «Il y a le vous d’aujourd’hui qui ne veut pas se disputer», explique-t-il, et puis «le vous de demain qui voudra se disputer parce qu’il sera stressé. Donc le vous d’aujourd’hui agit pour minimiser les risques que le vous de demain ne déclenche une engueulade».

Si vous êtes un voyageur facilement stressé, il est peut-être déjà trop tard pour que le vous d’aujourd’hui ne prenne une des mesures les plus draconiennes pour empêcher le vous de demain d’être l’Elaine de votre Puddy. Mais si vous n’avez pas encore réservé votre vol, voyez plutôt: mes parents viennent de fêter leur 48e anniversaire de mariage en s’envoyant des calzones bien mérités sous le soleil toscan, après avoir pédalé sur 45 kilomètres de collines pour le plaisir. Alors que s’ils avaient passé une minute de leur trajet de quinze heures et trois vols à respirer le même air, ils seraient sans doute en train de rédiger les papiers du divorce et de partager la garde du chien et l’abonnement au New Yorker.

 

Traduit par  Bérengère Viennot

 

Source : Slate

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