9 août 2001, 9 août 2016, voilà quinze ans que le Professeur Ousmane Moussa Diagana a quitté nos yeux. Mais poète et linguiste émérite, son œuvre demeure plus jamais parmi nous.
Elle est comme ça, la vieille dame
Elle agit sans prévenir
La mort
L’héroïne poussière qui n’en fait qu’à sa fête
Reine des deuils
Mais il est des héros
Dont elle tient la main
pour l’éternité
car leur mort, un brûlant vers à leur Nation
servie sans égoïsme ni haine
Les poètes de la vieille dame, une clairière
Ces vers, au-delà d’une solidarité poétique, sont ceux d’une reconnaissance. Des lignes modestes d’un disciple à son maître absent : Professeur Ousmane Moussa Diagana décédé le 9 août 2001 ! A titre posthume, il a laissé un Dictionnaire soninké-français[1]. Avant, Chants traditionnels en pays soninké[2] (Mauritanie, Mali, Sénégal, pour lequel il avait obtenu le prix Robert Delavignette de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer) et La langue soninké, Morphosyntaxe et sens[3]l’avaient imposé dans la communauté scientifique. Rien d’usurpé. Car, après sa thèse de doctorat d’Etat en 1984 (Université René-Descartes, Paris), il s’était dévolu à la recherche tout en regagnant sa terre natale. Associé au laboratoire Langage, Langues et Cultures d’Afrique Noire (LLACAN ), il voue sans réserve sa vie aux langues. Et c’est à partir du terreau fertile de sa région qu’il plonge les racines. La matière nourricière est là, dans les recherches qu’il initie sur les langues soninké, pulaar, wolof, bambara et même … l’azer, jadis parlé en Mauritanie et qui était le fruit du métissage entre des parlers négro-africains et berbères. Ils sont nombreux, les étudiants et chercheurs à avoir bénéficié de ses accompagnements. Votre serviteur, inscrit à l’université de Nouakchott en philosophie-anthropologie a bénéficié de sa codirection pour son mémoire Enfance et jeunesse en milieu pulaar du Guidimakha. Puis d’un Avant-propos à son livre De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie[4]. Par sa passion pour la linguistique, Diagana a été un bras pour la langue soninké. Pas seulement. Son legs à la Mauritanie et à la communauté universitaire est énorme. Les personnes ayant travaillé sous sa direction, ou avec lui, reconnaissent toutes son dévouement. Il œuvrait avec l’amour du désintérêt, mu par la seule science.
Ce même amour pour les langues et les mots, l’intimité des sens j’allais dire, le conduira à la poésie. L’enfant de Kaédi, dans le Sud de la Mauritanie et sur les berges du fleuve Sénégal, est… amoureux. Il prendra la monture des mots, syllabes sensorielles, pour le dire. Il dissimule savamment dans Notules de rêves pour une symphonie amoureuse[5] et Cherguiya, Odes lyriques à une femme du Sahel[6] son amour à l’aimée, et pas seulement. Ousmane c’était le poète attentif, avec un quotidien nourri de perles poétiques de Sid’Abdallah, Adebba, la belle Azer, les murmures du lêlé, de Leïla, et des nuits confidentes des femmes Messoufa de Oualata. Et quand il prenait la plume, c’était pour s’adresser à l’Autre, dont « la fragrance de la chair/ A l’indécence de feu » hante ses nuits et guide son sillon « Sur le pollen des vents »[7]. Aucune résistance à « Badiner avec l’épi de ta main dont les arabesques rutilantes de henné et de parfum suave barattent le désir/ Sentir les fourmillements nés de l’entrecroisement de nos doigts sur lesquels s’anime la géométrie énigmatique de la guezra maure et des mudra indiens. »[8] Devant l’ambre des sentiments, le poète cède : « Ta main qui noue et dénoue/ Ta main qui palpe et caresse/ respire ma main […], O Cherguiya»[9]. Les mots se dissipent devant l’ardent désir de rejoindre l’Autre dans « Cette façon à toi/ D’envelopper la tombée du soir/ De tes formes mouvantes/ Sur les courbures des dunes ». Le ton est au rythme de « Cette façon à toi/ De t’étendre/ Sur l’insolence riante d’arabesques »[10]. Et, attentif à la « Danse d’une Juive et d’un fils de Cham »[11], le poète plante son regard « dans la respiration ample du soulèvement de tes dunes jumelles »[12].
Notules et Cherguiya sont des odes à l’aimée, à la Mauritanie que le brillant professeur n’a jamais voulu quitter, malgré les nombreuses sollicitations des universités étrangères. Pour lui l’œuvre utile était ici, au pays de la « perle discrète » ! Dans une interview qu’il m’accorda, en 1999, pour la Revue Sépia[13] je lui posais la question : « Jusque là vous avez écrit des essais et de la poésie. Est-ce qu’on vous verra prochainement écrire un théâtre ou un roman? » Réponse, avec son singulier sourire : « Pas évident. Je suis quelqu’un qui se disperse difficilement. Je porte difficilement des masques… à travers d’autres personnages. » C’était ça Ousmane Moussa Diagana : des amours, humaines et mauritaniennes, sans masques !
Bios Diallo
[1] Dictionnaire soninké-français (Mauritanie) par Ousmane Moussa Diagana, Editions Karthala, 2011
[2] Ed L’Harmattan, 1991
[3] Ed L’Harmattan, 1995
[4] Bios Diallo : De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie, Ed Karthala, préface de Cheikh Hamidou Kane, 2004
[5] Notules de rêves pour une symphonie amoureuse, Editions Nouvelles du Sud, 1994
[6] Cherguiya, Odes lyriques à une femme du Sahel Editions Le Bruit des Autres, 1999
[7] Cherguiya, p 10
[8] Notules, p 36
[9] Cherguiya, p 17
[10] Cherguiya, pp 18-19
[11] Cherguiya, p 21
[12] Cherguiya, p 20
[13] Sépia le N°29, 1999
Source : Traversees Mauritanides
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