Nous voilà entrés dans l’ère du mensonge

Bienvenue dans une nouvelle époque, où la vérité devient une opinion parmi d’autres.

 

Il existe des textes visionnaires, auxquels les historiens rendent hommage des décennies plus tard. Des textes qui semblent avoir compris, bien avant les autres, la catastrophe ou les changements à venir. Comme l’éditorial du 15 mars 1968, écrit par Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde, intitulé «Quand la France s’ennuie…», et qui apparut aux chercheurs, avec le recul, comme le diagnostic précis d’une mélancolie latente du pays, qui allait finir par exploser. Il est difficile de dire aujourd’hui si le texte sur la fin de «l’ère de la vérité», écrit par l’éditorialiste au New York Times Roger Cohen, aura la même postérité. Mais il a le souffle d’un texte visionnaire. Et fait l’effet, à la lecture, que ferait une solution d’acide ascorbique dans laquelle on aurait plongé la photo du monde, après de longs moments dans le noir et le désarroi le plus total. Un effet révélateur.

Notre époque ressemble à ces moments où l’humanité est comme hypnotisée par une force que personne ne peut contrer, explique l’éditorialiste. Une époque dans laquelle les mots n’ont plus d’impact, et où l’écriture est aussi impuissante qu’un canoë pendant la tempête. Pire, les avertissements précipitent la chute:

«Les alertes sur le danger à venir ont l’air des derniers gémissements des profiteurs d’un système décadent, en train de se désagréger. La réponse est dans le mouvement. Le mensonge est la nouvelle vérité. La chorégraphie est plus importante que le contenu. Le monde est sens dessus dessous.»

Il nous faut dire au revoir à tout cela. Au revoir à ce monde né des cendres de la Seconde Guerre mondiale, où dominaient les traités, de nouvelles institutions, et qui a vu la naissance de l’Union européenne, prophétise le New York Times. À la place s’est levé un tyran à la face cramoisie, orchestrateur d’hystéries collectives, qui promet qu’il nous protégera de Daech comme des migrants, écrit l’éditorialiste.

A lire aussi : Donald Trump est le larbin de Daech

Les faits, de «petits désagréments»

La fin de cette ère a d’abord été signalée en 2014, lorsque le président russe Vladimir Poutine annexa le Crimée, en violation de l’article 2 de l’ONU sur le respect de l’intégrité territoriale des Etats. Une violence accompagnée de nombreux mensonges, dans le plus pur style soviétique dont Poutine est le digne héritier. «Deux plus deux égalent cinq» était le slogan de l’Union soviétique en 1931, fait remarquer le New York Times.

Le deuxième signal de la fin de cette époque aura été donné par le discours d’investiture de Donald Trump à Cleveland, le 21 juillet 2016. Un discours truffé d’erreurs, de mensonges et d’approximations, qu’il a débuté par cette promesse en forme de doigt d’honneur: «Il n’y aura aucun mensonge.» Deux plus deux égalent cinq. Ce qui fait dire à Roger Cohen que «les faits ressemblent à cette charmante sensation de gueule de bois, au lendemain d’une époque où le discours rationnel dominait. Des petits désagréments dont on se débarrasse facilement».

Lire aussi : Trump a dit à propos des femmes qu’«il faut les traiter comme de la merde» et 140 autres inepties du candidat républicain

Trump pourrait gagner

Mais il n’y a pas que Trump et Poutine. Il s’agit d’un mouvement global qui affecte tous les esprits, pense Roger Cohen. Et dont le Brexit est le troisième révélateur. «Jamais, dans l’histoire politique de la Grande-Bretagne autant de gens n’ont passé autant de temps à parler de choses qu’ils savaient parfaitement fausses», a commenté le journaliste et romancier britannique John Lanchester . Bienvenue «dans l’ère de la politique post-vérité», se lamentait la nouvelle rédactrice en chef du Guardian.

De quoi a besoin le totalitarisme pour prospérer, selon Orwell? De «l’altération continue du passé et, à la longue, de ne plus croire en l’existence même de la vérité», rappelle le New York Times:

«Avec la cacophonie technologique qui désoriente l’être humain, la désagrégation de sociétés de plus en plus inégalitaires, la frustration de millions de personne dont la vie quotidienne est devenue une lutte contre la précarité, la pression exercée par la mondialisation des échanges et les déplacements de migrants, le racisme qui augmente, le terrorisme qui se répand, et cette dévaluation croissante de la vérité, les germes d’un nouvel autoritarisme sont nés.»

A lire aussi : Trump est déjà un cauchemar. Mais pensez à celui qui pourrait venir après

C‘est sur ce terrain que Donald Trump prospère. Et c’est pourquoi nous ne devrions pas sous-estimer ses chances d’emporter la présidentielle américaine, estime Roger Cohen. Comme le craint aussi Michael Moore, qui pense que Donald Trump va gagner, tout en disant n’avoir jamais autant dans sa vie «souhaité se tromper». Oui, Hillary Clinton a 76% de chances de gagner, estiment les modèles de prédiction politique du quotidien. Mais c’est oublier que nous sommes dans une époque qui déjoue les calculs rationnels. Une époque où deux plus deux égalent cinq.

 

Repéré par Aude Lorriaux

 

Source : Slate (France)

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page