L'Egypte et la Syrie sont déçues, le Qatar rassuré. L'Arabie saoudite préfère le statu quo.
Il y a ceux qui ont manifesté leur soulagement très bruyamment, ceux qui se sont félicités avec quelque retard et plus de modération, et ceux qui se sont tus mais n'en pensaient pas moins. Les réactions des dirigeants du Moyen-Orient à l'échec du coup d'Etat en Turquie, dans la nuit du 15 au 16 juillet, sont révélatrices des lignes de fracture qui parcourent la région et de la polarisation suscitée par le président Recep Tayyip Erdogan.
L'Etat qui a le plus applaudi à l'écrasement des putschistes est le Qatar. Son émir, Tamim Ben Hamad Al-Thani, a appelé le chef d'Etat turc dès samedi matin pour lui témoigner son soutien. La presse officielle qatarie a couvert l'événement de façon -enthousiaste, sans un mot ou presque pour la dérive autoritaire du " sultan " Erdogan.
Ce traitement témoigne des affinités entre les deux pays, comme le soutien à l'islam politique et à la rébellion syrienne. Dans le régime islamo-conservateur d'Ankara, le Qatar a trouvé une sorte de grand frère diplomatique. Le renversement de M. Erdogan aurait été une catastrophe pour Doha, isolé sur la scène régionale depuis que le président égyptien Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, a été évincé du pouvoir par le général Abdel Fattah Al-Sissi, en 2013.
Les autres monarchies de la péninsule se sont également réjouies de la défaite des factieux turcs, mais avec moins d'effusion. L'Arabie saoudite a approuvé le " retour à la normale en Turquie sous la conduite du président et de son gouvernement élu ", tandis que les Emirats arabes unis (EAU) ont exprimé leur attachement " à une Turquie stable et sûre ".
Bête noire
La couverture des médias audiovisuels saoudiens et émiratis a cependant été un peu hésitante dans les premières heures du coup d'Etat. La chaîne Al-Arabiya, propriété de Riyad, et son homologue Sky News Arabia, financée par Abou Dhabi, ont participé à la propagation de la fausse rumeur alléguant que M. Erdogan aurait demandé l'asile en Allemagne. S'ils apprécient l'engagement anti-Assad d'Ankara, et le rôle de contrepoids à l'Iran que la Turquie joue à l'échelle régionale, les Saoudiens voient d'un mauvais œil sa proximité avec les Frères musulmans.
Deux Etats se sont distingués par leur assourdissant silence : la Syrie, bien sûr, mais aussi l'Egypte. La première reproche à M. Erdogan, son ennemi public numéro un sur la scène internationale, de soutenir les groupes armés rebelles ; la seconde ne tolère pas l'insistance du président turc à qualifier le renversement de M. Morsi de " coup d'Etat ". Au Conseil de sécurité des Nations unies, l'Egypte s'est d'ailleurs opposée samedi à une déclaration appelant toutes les parties à " respecter le gouvernement démocratiquement élu de Turquie ".
A Damas, dans la nuit de vendredi à samedi, peu après que les putschistes eurent annoncé prématurément leur victoire, des centaines de partisans du président Assad ont célébré ce qu'ils croyaient être la chute de leur bête noire. Au Caire, trois quotidiens, dont le vénérable Al-Ahram, visiblement pressés d'en finir avec Erdogan, ont proclamé dans leur édition de samedi le succès du coup d'Etat.
Même précipitation éloquente à la télévision égyptienne. " A chaque fois que l'armée turque lance une révolution, elle gagne ", clamait Ahmed Moussa, présentateur de l'un des talk-shows les plus regardés d'Egypte. Le dimanche, confronté au fiasco des putschistes, le quotidien syrien Al-Thawra trouvait la parade, en affirmant que le coup d'Etat est une machination destinée à salir la réputation de l'armée turque…
En Israël, le ministère des affaires étrangères a déclaré que l'Etat juif " respecte le processus démocratique en Turquie et est impatient de poursuivre le processus de réconciliation " avec Ankara. Longtemps à couteaux tirés, du fait du drame du Mavi Marmara – un navire turc, en route vers Gaza, dont l'arraisonnement par des commandos israéliens a fait neuf morts en 2010- –, les deux pays ont signé, fin juin, un accord visant à normaliser leurs relations. Selon le premier ministre Benyamin Nétanyahou, le coup d'Etat manqué ne devrait pas affecter ce rapprochement.
Benjamin Barthe
Source : Le Monde
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