Mort d’Elie Wiesel, cet Américain polyglotte qui n’écrivait ses livres qu’en français

DÉCÈS – La disparition d'Elie Wiesel, à l'âge de 87 ans, a été annoncée samedi 2 juillet. Le Prix Nobel de la paix de 1986, né en Roumanie, de parents juifs hongrois, vivant aux Etats-Unis, de nationalité américaine depuis 1963, qui a tourné autour du monde plusieurs fois pour appeler à la tolérance, se qualifiait lui-même de "marieur" de cultures.

Dans un long entretien avec deux professeurs de philosophie, publié en 2005, il disait: "J’aime être un marieur. J’aime réunir des gens, des hommes et des femmes. J’aime marier les cultures, les peuples, les nations. C’est ma vocation."

Le Français, sa langue de prédilection

Ces mariages, s'il y tenait tant, c'est avant tout avec la France qu'il les avait heureux. "La seule décoration que je porte, c'est la Légion d'honneur, par gratitude pour la France à qui je dois beaucoup", a-t-il confié à l'un de ses biographes.

Il parlait cinq langues, dont le hongrois, le yiddish, l'hébreu, l'anglais et le français, et c'est dans cette dernière qu'il était le plus à l'aise. A tel point qu'il écrivait tous ses livres dans la langue de Molière.

Le Monde raconte que "Même ses écrits consacrés à la pensée juive, à la tradition hassidique qu'il chérit tant pour ses chants, ses contes, son refus de la connaissance dogmatique et sa mélancolie mêlée de joie, sont écrits dans cette langue française qui lui oppose, dit-il, la résistance nécessaire pour remonter sa pente mystique."

Il n'écrit qu'en Français

Dans la biographie qu'André Durand a fait de lui, une de ses citations illustre l'intimité entretenue avec la langue:

"Le français est une langue cartésienne. Or, ce que j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, toutes mes aventures intérieures, c'était le contraire: je baignais dans le mysticisme. S'il y a une langue qui rejette le mysticisme, c'est le français (…) Je peux écrire un article en hébreu, pas un livre. Je peux écrire un article en anglais, pas un livre. Le livre vient d’une zone à part. Quand une langue ne vous convient pas, sous votre plume, elle ressemble à un chant étouffé. On ne peut écrire que quand la langue elle-même chante et, pour moi, la langue qui chante, c’est le français."

La biographie précise également que la langue de Molière "devint aussi sa langue de lecture: 'Aujourd’hui encore, je préfère lire les auteurs américains dans leur traduction française.'"

Sa place dans la culture française

Ecrivain prolixe, avec plus de 50 romans et essais à son actif, il nourrissait un attachement profond à la culture française. Le Monde rappellait en 2010 que "Wiesel revendique, aux côtés de ses attaches juives, 'sa place dans la culture française' et sa 'loyauté au style classique'. 'C'est cette langue qui m'a choisi', répète-t-il encore aujourd'hui."

Seul son premier livre, le plus autobiographique, celui qui relate son passé dans les camps a été d'abord rédigé en yiddish, sa langue maternelle. Quatre ans plus tard, il le traduisit en français. Intitulé La Nuit, il fait partie des témoignages de la Shoah les plus lus au monde, aux côtés de Si c'est un homme de Primo Levi.

Diplômé de la Sorbonne

Celui qui avait décidé de mettre des mots sur la Shoah a figuré parmi les premiers à dénoncer l'apathie des dirigeants alliés, alors que des photos aériennes des camps avaient été prises dès 1942, prouvant l'existence de la Solution finale.

elie wiesel mortPhoto prise lors de la libération du camp de Buchenwald, Elie Wiesel est le 7e homme couché sur la 2e rangée en partant du bas.

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, il est recueilli en France par l'Oeuvre juive de secours aux enfants qui l'hébergera jusqu'à la fin de ses études. Il rentre à la Sorbonne pour y suivre des études de philosophie et en ressort titulaire d'un doctorat.

Plusieurs années après, il est fait docteur honoris causa de cette université ainsi que de plus de cent autres à travers le monde, parmi lesquelles Harvard, Cambridge ou Genève.

"Aucune différence entre un Français et un Africain"

Cet admirateur de Molière et de Camus a longtemps été un proche de François Mitterrand, jusqu'à la révélation de l'amitié du président français avec René Bousquet, un haut responsable du gouvernement français collaborant avec les nazis.

Pour "empêcher l'oubli" de la Shoah et favoriser la compréhension entre les peuples, ce "messager de l'humanité", comme l'a qualifié le comité Nobel, a créé la Fondation Elie Wiesel pour l'Humanité, avec son épouse, et l'Académie universelle des cultures.

Cette dernière a été créée en 1992 à Paris, par Jack Lang et Mitterrand, et a pour vocation, raconte-t-il dans une interview, de "marier les cultures. (…) Afin de nous montrer notre vulnérabilité et tirer de cette conscience de vulnérabilité notre force, non seulement de la vaincre mais aussi de montrer ses limites et ses possibilités. (…) C’est cela la beauté de cette Académie: montrer que ce qui s’applique à une nation s’applique en fait à toutes les nations, ce qui vaut pour un groupe vaut pour tous les groupes. Il n’y a aucune différence entre un Français parce qu’il est né en France et un Africain parce qu’il est né je ne sais où, à Madagascar, ou un juif né à Jérusalem. Ce qui est intéressant est ce qui devient lien entre les êtres humains, qui souffrent du même destin après tout."

Cette académie n'est qu'une des multiples actions que le philosophe a entrepris en faveur de la paix. Engagé pour de multiples causes, il avait "fait un voeu après la guerre: que toujours, partout où un être humain serait persécuté, je ne demeurerai pas silencieux".

Annabel Benhaiem

Avec l'AFP

 

Source : Le HuffPost

 

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