»Coup de plume » : « Abolissons la noblesse ! »

« Quand est-ce que vous avez réduit les hommes en esclavage alors qu’ils sont nés libres ? » Il y a donc quinze siècles qu’Omar Benkhattab avait prononcé cette phrase en Arabie. 

 
Il y a au mois trois siècles que Jean-Jacques Rousseau avait écrit quelque chose de semblable : l’homme est né libre. Partout il est dans les fers. Le 8 août 2007, les députés de la Mauritanie ont adopté la loi incriminant et réprimant les pratiques esclavagistes. Nous sommes au vingt et unième siècle. Comme Etat nation, la Mauritanie n’a que quarante sept ans. Comme peuple, les Mauritaniens sont aussi vieux que l’empire du Ghana et le Wagadu-bida, que les almoravides et leur Ribat’, que les dynasties du Fouta et autres…sinon plus âgés que tout ça ! Du moins les ancêtres des mauritaniens d’aujourd’hui le sont-ils.
 
On peut avoir peur de dire que la Mauritanie est aussi vieille que l’histoire : il y a des intellectuels qui, par ici, sont capables de nous faire remonter à des origines raciales si incongrues que l’on risque de perdre de vue le fameux principe du « tous enfants d’Adam » dont le nègre de Surinam a subi le revers hypocrite puisque qu'il va se faire amputer par ses maitres pour avoir tenté d'échapper à leur impitoyable service . Plus de quarante cinq députés ont pris la parole le 6 et le 8 août pour dire que l’Islam ne fonde en aucune façon l’esclavage. Tous ont dit que les ‘victimes’ sont ‘leurs frères’, qu’il est inhumain de les tenir en esclavage. Ils ont sorti les contenus de l’islam pour convaincre.
 
L’on s’est souvenu que Ammar Ibn Yassir et les siens furent les premiers à payer de leurs vies le prix de l’adhésion à la religion de la paix. On aurait pu rappeler dans l’auguste assemblée que Bilal Al Habachi fut racheté aux mécréants qui le torturaient alors qu’il prononçait : "l’unique, l’unique…" Ce ne sont pas les arguments qui ont manqué. Deux ans et quelques semaines avant ce fameux 8 août 2007, pareille unanimité n’aurait pas été imaginable à l’assemblée nationale alors soumise à un système bien protégé par les féodaux de toutes communautés confondues en Mauritanie.
 
Donc, beaucoup connaissaient ces vérités. Mais beaucoup faisaient donc exprès de n'en rien dire. Autant dire que nos érudits nous ont longtemps  induits en erreur. Ils nous ont laissés persister dans la faute. Et nous avons entretenu l’illusion d’une noblesse que rien ne fondait.  La loi est censée émanciper les esclaves et leur permettre de rehausser la tête et de se hisser à la liberté Imaginons alors ce que seront la noblesse capricieuse, la ‘cherifité’, la ‘hassanité’, la ‘torodité’, la ‘marabouité’, le ‘debigoumakhou’, etc. Sans valeurs. Que seront les nobles sans leurs valets pour leur faire croire qu’ils sont les « phénix et les hôtes » de ce désert ? Rien du tout ! Alors, que faut-il attendre pour abolir la noblesse ? Pourquoi ne pas mettre fin à cette mystification aride qui vous a fait découvrir seulement maintenant que ceux qui étaient vos esclaves étaient vos frères ou vos sœurs « par le lait, par le sang », comme a osé dire un député ? Sans doute attendons-nous le jour où personne ne demandera plus à son semblable : « De quelle tribu es-tu ? » ou « Quel est ton patronyme ? »
 
Ce sont ces questions qui fondent l’inégalité et l’injustice parmi nous. A partir des réponses qu’elles engendrent, elles précisent les formes des rapports qui vous seront réservés…D’ailleurs, l’on prononcera toujours « Wakhiyart ! » cette formule laudatrice et flatteuse, même si l’on pense le contraire une fois l’origine tribale ou patronymique connue ! Et alors ?
 
Kissima Diagana
 
 
Article publié dans ma Chronique "Coup de Plume"  de La Tribune, le 14 août 2007
 
 
 
Source : Kissimadiagana.blogspot (Le 5 juin 2016)
 
 

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