Nouvelles d’ailleurs : A messieurs les auteurs de l’anthologie de littérature mauritanienne francophone

Je me suis posé la question de savoir si je devais m'adresser à vous et si mes mots à venir valaient cette chronique. Non pas que les mots me fassent peur, vous me connaissez assez bien, en tant que femme en écriture, pour deviner que les mots et moi, c'est une longue histoire.

En premier lieu, laissez-moi préciser quelques petites choses qui ont leur importance : ce que je vais dire ne concerne pas les magnifiques auteurs que vous avez choisis. Certains, comme Ousmane Moussa Diagana, m'ont accompagnée, profondément.

Cette lettre s'adresse à vous, aréopage auto-désigné, qui vous êtes arrogés le droit de vie ou de mort littéraire en décidant qui est un écrivain francophone et qui ne l'est pas. Oui, oui, je sais, il paraît que c'est une question de dates et de publication sous forme de livre-papier. Ce qui fait que j'ai eu la surprise de constater que vous ne m'avez pas jugée digne d'être reconnue comme auteur mauritanien d'expression française. D'ailleurs, je remarque que vous n'avez choisi qu'une femme, ma sœur en écriture, Aïchetou Ahmedou. Quelque peu « mâle », comme attitude… De plus, sciemment, vous avez décidé de zapper la poésie féminine mauritanienne de langue française, m'excluant, donc, de fait, de votre liste des « reconnus ».

Expliquant donc, au Monde – je ne veux pas croire que vous pensiez votre anthologie en œuvre anonyme à laisser croupir sur un rayon poussiéreux de notre université – que, d'un, une seule femme est écrivain, dans notre pays, et que, de deux, il n'existe pas de femme poète. Outre le non-sens et l'absurdité meurtrière de cette affirmation, je trouve votre omission me concernant quelque peu cavalière et incompréhensible.

Ok, ok, je vois vos mines de censeurs dépités qui me parlent de publication sous format-papier et de date-butoir. Je n'ose vous rappeler à vous, éminents professeurs de littérature, ce que PUBLIER signifie : rendre public. Rendre public. Réduire les publications au seul papier fait un peu moine médiéval, non ? Le monde a avancé, depuis les moines copistes du Moyen Âge, et le papier n'est plus le seul outil de publication.

Je n'ose vous rappeler, aussi, ce que vous savez très bien me concernant : s'il s'agit de rendre public, je pense que j'ai bien fait le job, vu que je publie une chronique hebdomadaire, depuis 1995, au Calame. De deux, je tiens un blog, depuis 2008 ou 2009, où je publie tous mes textes et mes poèmes, « Mille et Un Je ». Ce qui fait que je n'ai pas de leçons à recevoir sur le mot PUBLIER et le sens de l'écriture.

Vous comprendrez (ou pas) mon étonnement, à la mise à mort littéraire que vous avez décidé pour moi. Décréter qu'il n'y a qu'une seule femme écrivain ici, est soit le reflet d'une ignorance de la production littéraire, soit la preuve d'une volonté délibérée de m'assassiner. Les mots sont durs mais je pense qu'il s'agit bel et bien d'un assassinat. Vous vous êtes auto-proclamés censeurs et juges, décidant de qui vit et qui doit mourir, de qui est « digne » de faire partie de votre monde et de qui doit en être exclu.

Votre anthologie est-elle le reflet de notre tout petit monde de la littérature mauritanienne d'expression française ou, simplement, un énième avatar de ce que notre pays peut produire, en terme de médiocratie ? A savoir que nous évoluons dans un système fortement injuste. Qui vous a donné le droit de décider que je ne suis pas une femme écrivain, poète, chroniqueuse ? Qui vous a donné le droit de décider que je n'avais aucune légitimité à être femme en écriture ? Qui vous a donné le droit de mentir ?

Qui vous a désigné pour pondre cette anthologie dont même un membre de votre comité de sélection est juge et partie ? Qui vous a donné le droit, tout confits que vous êtes, derrière votre sacrosaint papier, que l'écriture en blog n'était pas publication ? Et qui vous a donné ce droit de mort sur moi ? Je ne sais plus qui a dit un jour que les critiques littéraires étaient des écrivains ratés. De grâce, ne donnez pas raison à cette expression…

En m'ignorant délibérément, en me rejetant publiquement dans l'obscurité, en refusant de me reconnaître comme femme écrivain, vous faites mal à notre pays, à notre mémoire, à notre image. Vous déshonorez la littérature et l'avez rendu rance et suspecte. Vous avez insulté l'intelligence des milliers de gens qui me lisent depuis des années. Et vous m'avez blessée, profondément blessée. Ne suis-je pas de ce pays ? Qui êtes-vous pour me dénier cette petite chose qui s'appelle mon écriture ?

Mais vous n'auriez fait que m'assassiner moi, j'aurais pu m'en consoler. On se console de tout, même de la bêtise et de la méchanceté la plus crasse, surtout de la méchanceté et de l'ignorance. Mais quid des autres ? Comment, par exemple, un Habib ould Mahfoudh n'a-t-il pas été jugé assez bon pour figurer dans votre anthologie ? Comment, COMMENT, parler de littérature mauritanienne francophone sans citer Habib ?

Ne me dites pas, chers censeurs et moines copistes, que l'art de la chronique n'est pas littérature. Je ne vous ferai pas l'injure de vous soupçonner de tant d'ignorance. Et tous les autres ? Antonia Barbosa, El Kory Sneiba, Ly Djibril, Bâ et consorts ? Oui, oui, je sais, foutue question de dates et d'édition papier… Vous aviez préparé votre réponse, bien mâchée, bien remâchée. Imparable, cette question de dates butoirs. Imparable… Très jésuite attitude…

Alors, oui, je suis en colère après vous, après ce groupe autoproclamé, qui a sabré dans le monde littéraire mauritanien et qui attribué les bons points, comme on offrirait un tengal à un gosse. Oui, je suis en colère et indignée. Comme tout bon littéraire, vous savez manier le verbe. Difficilement attaquable, votre excuse bidon. Pourtant, je la dénonce.

Je ne vous remercie pas de m'avoir exclue de votre monde élitiste et nombriliste. Je ne vous remercie pas d'avoir exclu Habib et les autres. Je ne vous remercie pas d'avoir « accepté » juste une femme, renvoyant les autres, dont votre servante, à ses fourneaux, la poésie, dans notre pays, étant, apparemment, exclusivement un mode masculin. Je ne vous remercie pas d'avoir coopté un des vôtres, sans honte. Je ne vous remercie pas d'avoir menti au monde en niant ma place et le fait qu'il existe bel et bien une poésie féminine de langue française chez nous.

Oh, vous étiez beaux, lors du lancement de votre anthologie : bien rasés, bien mouchés, bien habillés.

Mais si la honte devait étouffer… Alors, je vous rappelle qui je suis : je m'appelle Mariem mint Derwich, je suis femme (désolée), j'écris (re-désolée), je suis lue (re-re-désolée), les gens m'aiment bien (oups !), je suis la chroniqueuse la plus lue de ce pays (j'aggrave mon cas, là), j'ai un blog visité (aïe, je ne fais pas exprès), je suis poète ET femme (faut que j'arrête de dire ce genre de choses, ça vous énerve), et je suis orgueilleuse : je suis une foutue bonne écrivain.

Alors, c'est dommage que votre parti pris et votre volonté de m'annihiler, ainsi que les autres non retenus, rende presque suspects les écrivains choisis. Ils n'ont eu aucun tort et méritent leur place dans toute anthologie digne de ce nom. Mais quand le tronc est pourri, c'est tout l'arbre qui meurt… Messieurs les Professeurs, tout calés que vous êtes, vous n'en restez pas moins de cette société où beaucoup de choses sont sales. Je vous aurais cru au-dessus des basses manœuvres.

J'avancerai sans vous. Je continuerai à écrire, nonobstant votre ostracisme. Restez donc dans votre entre soi. C'est confortable, la malhonnêteté intellectuelle. Je m'appelle Mariem mint Derwich et j'écris. Et je vous salue bien bas : vous venez de me libérer… et de vous ridiculiser. Salut.

 

Mariem mint Derwich

 

Source  :  Le Calame  (Le 2 juin 2016)

 

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