Sur les pelouses du Palais des nations, des paons font la roue sous le soleil genevois, indifférents à la présence dans l’immense bâtiment des Nations unies des quelque 3 500 délégués des 194 Etats membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont beaucoup de ministres de la santé, réunis du 23 au 28 mai pour la 69e assemblée annuelle de l’institution.
A l’intérieur du bâtiment, c’est une autre parade, plus ou moins discrète, celle des trois candidats déjà déclarés comme briguant le poste de directeur général, que le docteur Margaret Chan quittera dans un an.
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Une course de fond, qui se conclura par un vote final lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé en mai 2017, afin de prendre la tête d’une organisation à la fois célébrée et critiquée. Saluée comme indispensable cadre d’élaboration de normes et de recommandations sanitaires, elle pâtit de pesanteurs bureaucratiques proverbiales et d’une incapacité à avoir réagi à temps lors de l’épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest au printemps 2014. Une lenteur qui a mis au jour à la fois les responsabilités de l’OMS – le responsable du département des urgences est resté sourd aux alertes remontant du terrain, avant d’être remplacé – et celles des Etats membres, qui avaient, l’année précédente, imposé des coupes budgétaires ayant précisément affecté ce département.
Si pour être le champion de la santé mondiale l’OMS a besoin d’un véritable leader à sa tête, elle est avant tout ce que ses Etats membres veulent en faire. Un seul exemple, la lutte contre le virus Zika. L’OMS avait évalué les besoins financiers pour le premier semestre à 56 millions de dollars (50,4 millions d’euros), dont 25 millions pour elle et 31 millions pour d’autres acteurs dont des ONG. Fin mars, elle n’avait reçu que 3 millions de dollars.
Une organisation normative
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Pour son programme de travail 2016-2017, l’OMS a prévu un budget total de 4,38 milliards de dollars, en augmentation de 236,6 millions (8 %) par rapport à celui de 2014-2015. Sur ce total, seuls 21 % proviennent des contributions fixées pour chaque Etat membre en fonction de la taille de leur population et de leur revenu. Les 79 % restants sont constitués de contributions volontaires d’Etats et de donateurs privés – au premier rang desquels la Fondation Gates –, le plus souvent fléchées vers des programmes spécifiques.
Une proportion qui est allée croissant au cours des dernières décennies : lors de la période budgétaire 1998-1999, la proportion était de 53 % de contributions volontaires pour 47 % de contributions fixes. Le budget de l’OMS a grimpé en flèche (il était de 1,4 milliard de dollars en 1990-1991), alors que les contributions fixées ont stagné à moins d’un milliard de dollars.
Quand on sait que les fonds apportés par le trio Etats-Unis, Royaume-Uni et Fondation Gates représentent la moitié du budget total de l’OMS, on devine à quel point l’institution dépend des choix de ses donateurs. S’exprimant le 6 décembre 2012 devant son conseil exécutif, la directrice générale actuelle, Margaret Chan, l’avait avoué sans fard : « Les pratiques financières actuelles font de l’OMS une organisation fondée sur les ressources et non sur les résultats. L’argent dicte ce qui est accompli. » Pour la présidente internationale de Médecins sans frontières, le docteur Joanne Liu, « la santé doit demeurer un bien public, et les Etats devraient s’engager à continuer à financer la santé publique ». « C’est à eux d’en fixer l’agenda, pas à des fondations privées. »
Cette question du financement renvoie à une véritable question existentielle sur ce qu’est et doit être l’OMS. Longtemps, elle a été avant tout une organisation normative, établissant des valeurs de référence pour les consommations alimentaires souhaitables (sel, sucre), les seuils pathologiques des constantes biologiques (tension artérielle, glycémie), les traitements de première et de seconde ligne (antituberculeux ou antirétroviraux, par exemple), les critères de mise sous traitement…
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« C’est son rôle le plus important, et il faut que l’OMS soit correctement financée, car elle est la seule à pouvoir le remplir, estime Suerie Moon, directrice de recherche à l’Institut de la santé mondiale et à l’Ecole de santé publique de Harvard (Boston). Face aux épidémies, l’OMS est la seule institution avec laquelle les gouvernements peuvent partager des informations, mais dès qu’une épidémie prend trop d’ampleur, l’OMS ne peut plus agir seule mais en association avec d’autres institutions des Nations unies. En revanche, il faut renforcer l’indépendance de l’OMS par rapport à la capacité des Etats à l’influencer politiquement. Lorsqu’il s’agit de déclarer une urgence de santé publique de portée internationale, ce qui doit guider, ce sont les principes scientifiques. »
Critiquée dans de multiples bilans établis par des commissions indépendantes internationales pour ses insuffisances face à Ebola, après la controverse sur sa gestion de la pandémie grippale de 2009-2010, l’OMS a mis en route une réforme d’ampleur touchant à la fois à la gouvernance, aux missions et aux moyens. Cette 69e Assemblée mondiale de la santé a adopté un nouveau programme des urgences sanitaires. Il vise à aider les pays à mieux répondre aux épidémies et aux crises humanitaires, qu’elles résultent de causes naturelles ou humaines, y compris celles dues à des conflits. Le programme aura à sa tête un directeur exécutif – nouveau poste créé dans l’organigramme –, lui-même sous l’autorité du directeur général, et sera doté d’un budget propre de 494 millions de dollars pour les deux années 2016-2017, soit 160 millions supplémentaires par rapport à la dotation existante du département des urgences.
« L’OMS est aussi une agence politique »
Une décision que souhaitait la présidente internationale de Médecins sans frontières, le docteur Joanne Liu, dans les jours précédant l’Assemblée : « Nous avons besoin que l’OMS incarne le leadership médical au niveau supranational et place le patient au centre de la réponse médicale. Il faut une bonne adéquation entre le siège et les bureaux régionaux et redynamiser cette relation. » Pour Jeremy Farrar, le président de la fondation caritative Wellcome Trust, « l’OMS est certes une agence technique, mais elle est aussi une agence politique, et il faut l’accepter ». « Un directeur général doit avoir confiance dans les experts techniques et être aussi capable de se confronter aux Etats et aux diverses pressions. »
Cela peut notamment être le cas dans la mise en œuvre du Règlement sanitaire international, qui impose aux Etats de notifier les menaces sanitaires sans délai, et pour l’accès aux médicaments dont le coût est trop élevé. Ou encore pour stimuler la recherche et le développement face à des problèmes insuffisamment pris en compte (maladies tropicales négligées, résistances microbiennes aux antibiotiques) pour lesquels l’assemblée de l’OMS a accompli quelques pas en avant. Les défis ne manquent assurément pas.
L’un des moindres ne sera pas celui de la réforme de la gouvernance de ce que German Velasquez, conseiller spécial santé et développement au South Center (Genève), appelle « un monstre à sept têtes », comprendre le siège genevois et les six bureaux régionaux de l’OMS, « passablement déconnectés et autonomes par rapport aux instances que sont le conseil exécutif et l’Assemblée mondiale de la santé. Ebola a montré que cette chaîne de commandement était rompue ». C’est l’une des nombreuses tâches qui attend le futur directeur général.
Journaliste au Monde
Source : Le Monde
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