Bannie dans certains pays, toujours au cœur des débats, la fessée est-elle à proscrire? Les résultats d’une étude portant sur cinquante ans d’observation et 161.000 enfants révèlent les éventuelles conséquences de la pratique. Enfin la vérité?
Nombre de pays européens (et plus encore ailleurs dans le monde) ont interdit la fessée et tout autre punition corporelle sur les enfants, mais 40% des Français avouent la pratiquer sur leurs rejetons rebelles. Comme le rappelle un article du site I Fucking Love Science, un rapport de l’Unicef de 2011 estime que 70% des enfants sur la planète se voient administrer des fessées. Et si la Suède l’a interdite dès 1979, le Canada s’énervait toujours sur la question fin 2015 et 88% des parents néo-zélandais s’opposaient en 2009 à une législation anti-fessée, devant ce qu’ils considéraient comme l’absence de preuves fiables qu’une «tape administrée par un parent aimant engendre un goût pour la violence chez l’enfant».
En mars 2015, la France se faisait tancer par le Conseil de l’Europe. En cause, des lacunes dans le droit français, lequel «ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels». L’article 17 de la Charte européenne des droits sociaux, dont la France est signataire, exige en effet la protection «[d]es enfants et [d]es adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation».
Un an plus tard, les caisses d’allocations familiales proposent aux futurs parents un livret de quinze pages qui explique sans détours pourquoi «frapper un enfant (fessée, gifles, tapes, gestes brutaux) n’a aucune vertu éducative. Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer, mais génèrent un stress et peuvent avoir des conséquences sur son développement». À l’initiative de la CAF, des ministères des Familles et de la Santé et de la Sécurité sociale, ce petit fascicule au parti-pris inédit résulte de la promesse faite par Laurence Rossignol, la ministre des Familles, après cette condamnation symbolique. Un million de personnes recevra chaque année le livret, par ailleurs téléchargeable sur Familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr.
Discipline
La source des informations qui y sont présentées est une étude, rendue publique début avril 2016 dans le Journal of Family Psychology. Unissant leurs ressources, des équipes de chercheurs des universités du Texas à Austin et du Michigan ont analysé cinquante années de recherches, portant sur près de 161.000 enfants. Le couperet est tombé: les chercheurs n’ont jamais trouvé la moindre preuve d’amélioration du comportement par le biais d’une fessée.
Le docteur Elizabeth Gershoff, qui a dirigé l’expérience auprès de l’université du Texas à Austin, précise que l’étude s’est concentrée sur ce que «la plupart des Américains considèrent comme fessées et non sur des comportements abusifs». Seules fessée et tapes infligées «d’une main ouverte sur les fesses, bras ou jambes» sont entrées en ligne de compte. Une gradation dans les effets des punitions éducatives a été déterminée, ensuite comparée aux notes attribuées aux effets à long terme d’un comportement abusif et violences graves sur un enfant.
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Une des découvertes d’Elizabeth Gershoff est l’inefficacité irrévocable de la fessée: non, les enfants fessés ne sont pas plus dociles! «Nous avons découvert que la fessée était associée à des conséquences inattendues et non recherchées par les parents, et en aucun cas liée à un résultat de docilité –pas plus à court qu’à long terme–, ce qui est pourtant le but des parents qui souhaitent avant tout discipliner leurs enfants.»
À oublier aussi, insiste Gershoff, les excuses du type «Moi, je ne m’en suis pas plus mal porté(e)!»: non seulement les enfants ayant reçu de fréquentes fessées sont plus susceptibles que les autres de développer des troubles mentaux mais ils s’exposent également à éprouver des difficultés à trouver leur place dans la société. La notion de «fréquence» n’est cependant pas détaillée, même si Gershoff précise que les preuves accumulées pointent l’aggravation de ces phénomènes en cas de fessées récurrentes.
Vous estimez que donner une fessée et battre comme plâtre sont quand même deux actions fort différentes? Pas pour le docteur Gershoff, et cela va faire grincer quelques dents. «Notre société pense que fessée et abus physique sont deux comportements distinct, pourtant nos recherches montrent clairement que la fessée est liée à des conséquences aussi négatives, et les mêmes, que celle de l’abus –à un degré moindre, mais c’est tout.» Agressivité, problèmes sociaux et mentaux plus ou moins handicapants, lien familial dégradés sont parmi les conséquences. Vous pensiez être sévère mais juste? Non, à en croire Elizabeth Gershoff, vous êtes un tortionnaire.
Elodie Palasse-Lerou
Source : Slate
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