La folle histoire de Leicester consacre le modèle de la Premier League

Avec son triomphe annoncé du Petit Poucet face au Big Four, le championnat anglais confirme son rôle de meilleure vitrine du football européen. Et le bien-fondé de ses choix économiques.

Peu importe ce que chacun peut penser du niveau technique de la Premier League, comparativement notamment à la Liga et aux trois grands d’Espagne –FC Barcelone, Real et Atlético de Madrid. Le championnat anglais est en train de vivre l’un des moments plus émouvants d’une histoire merveilleuse qui sera peut-être encore racontée dans cinquante ans et qui consacre au passage son modèle économique.

Comment Leicester, club qui avait lutté jusqu’au bout l’an dernier pour son maintien parmi l’élite d’outre-Manche, peut-il se retrouver aujourd’hui en passe de décrocher le graal en faisant peut-être aussi la fortune des rares parieurs ayant misé sur ses chances à quelque 5.000/1 lorsqu’a démarré la saison 2015-2016?

Sacré dès ce week-end?

Avec trois matches à jouer et sept points d’avance sur Tottenham, Leicester, ville située à une heure de route de Birmingham, a l’occasion d’être consacrée ce week-end dès la 36e journée. En effet, si le leader s’impose sur le terrain de Manchester United, dimanche 1er mai, le conte de fée aura alors définitivement sa place dans les livres d’histoire du football et du sport anglais.

Et si la victoire n’est pas au rendez-vous à Old Trafford, le titre tombera peut-être dans son escarcelle dès le lendemain en cas de mise en échec de Tottenham à Chelsea. Quels que soient les scénarios statistiques de cette prochaine journée, il faudrait vraiment que les Foxes, abonnés au bonheur –ils n’ont plus perdu une rencontre de championnat depuis le 14 février contre Arsenal– soient frappés soudain par le malheur pour laisser s’envoler leur improbable couronne.

Le règne européen des gros

Partout ailleurs en Europe, comme c’est le cas depuis quelques années, les grands clubs ont fait la loi chez eux avec beaucoup d’autorité. Le Paris Saint-Germain est champion de France depuis le 13 mars et pour la quatrième année consécutive. La Juventus de Turin vient d’être consacrée en Serie A pour la cinquième saison d’affilée. Face à Mönchengladbach, samedi 30 avril, le Bayern de Munich, qui a sept points d’avance sur Dortmund et 27 sur le troisième, Leverkusen, devrait confirmer son règne sur la Bundesliga qui ne lui a plus échappée depuis 2013. Quant à la Liga, elle a été écrasée par ses trois clubs étendards –FC Barcelone, Real et Atlético Madrid– au coude à coude pour la première place.

Tous ces résultats confirment, en quelque sorte, une logique sportive attendue comme inscrite dans le marbre alors que la Premier League a pris tous les observateurs par surprise. Le championnat le plus riche d’Europe, soumis depuis 1996 à l’hégémonie exclusive du «big four» –Manchester United/City, Chelsea et Arsenal–, est au bord d’être remporté par un club qui, au mois d’août, s’était fixé un seul et unique objectif: se maintenir.

Transferts judicieux

Dans une actualité sportive marquée ces derniers temps par des scandales en tous genres de la Fifa à l’IAAF en passant, entre autres, par le contrôle positif de Maria Sharapova, Leicester est une magnifique bulle d’oxygène née d’une improbable formule magique dans laquelle se mélangent l’enthousiasme juvénile d’un entraîneur italien –Claudio Ranieri–, le talent sublimé en quelques mois de joueurs n’ayant rien prouvé jusqu’alors au plus haut niveau –l’Algérien Riyad Mahrez, 25 ans, élu meilleur joueur de Premier League, l’Anglais Jamie Vardy, 29 ans, ou le Français N’Golo Kanté, 25 ans– et l’espèce d’alchimie qui a fait le lien entre les uns et les autres pour délivrer une potion revigorante qui s’est diffusée comme un philtre d’amour pour ce club à travers le monde.

Qui ne veut pas le triomphe de Leicester? Qui n’a pas envie que le «pauvre», même s’il est la propriété d’un milliardaire thaïlandais, se paye la tête des riches?

En renversant la table et les clubs anglais les plus fortunés de la sorte, Leicester est évidemment une exception –et le restera– en raison notamment du fait remarquable que ses deux fers de lance, Mahrez et Vardy, ne lui ont pratiquement rien coûté lors de leurs transferts en provenance du Havre (500.000 euros) en 2014 et de Fleetwood (1.300.000 euros) en 2012. Mais le club, très loin de sortir des bas-fonds, profite aussi du modèle économique performant de la Premier League qui, bien qu’assommée d’argent en raison des droits télé qu’elle génère dans le monde, a su garder la tête froide et une forme de lucidité pour répartir équitablement les fruits de ses ressources.

Un système de répartition plus égalitaire

Depuis qu’elle est née en 1992, la très visionnaire Premier League a développé une stratégie marketing agressive qui l’a catapultée au sommet des ligues européennes et où elle est promise à demeurer longtemps encore. Mais elle n’a pas seulement rempli les caisses de quatre ou cinq clubs, elle a aussi alimenté généreusement le compte en banque de tous les autres grâce à sa pole position et grâce à un système de répartition relativement égalitaire d’une dotation issue de la manne télévisuelle domestique et internationale.

Lors de la saison 2014-2015, Chelsea, le champion, avait ainsi reçu un total de 136 millions d’euros quand le 20e et dernier, Queens Park Rangers, avait engrangé 89 millions, Leicester héritant de son côté de 98 millions pour sa 14e place. La différence entre le premier et le dernier au classement sportif établissait donc un ratio de 1,5, soit mieux que l’Allemagne et son ratio déjà raisonnable de 2. Sur la même saison, la moins lucrative L1 avait garanti à son champion, le PSG, 45,5 millions d’euros et 13,5 millions au RC Lens, 20e et dernier, soit un ratio de 3,4. Dans le même temps, la Liga étalait, elle, l’inégalité de son système sans mécanisme de vente centralisée avec 160 et 156 millions pour le FC Barcelone et le Real de Madrid quand l’Atlético de Madrid, troisième, se contentait de 41 millions et Cordoue, 20e, de 17 millions (ratio de 9,5). Pour remettre de la justice économique et sportive dans son championnat, l’Espagne a d’ailleurs décidé de passer à une vente centralisée de ses droits (pour des périodes de trois ans), mais il faudra du temps pour en mesurer les conséquences.

Une manne, des choix, et après?

Le système anglais, par sa richesse créée et par son sens de la justice entretenu, a donc profité à tous les clubs de son championnat qui ont pu acheter de bons joueurs et de bons encadrants et, pour certains, mieux rivaliser avec ceux qui avaient l’habitude de tenir le haut du pavé. Mais avoir de l’argent ne signifie pas savoir le dépenser convenablement pour former une bonne équipe. De manière presque irrationnelle, Leicester a réussi avec audace et talent au-delà de toutes ses espérances quand Aston Villa, déjà relégué, et Newcastle, en passe de l’être, ont jeté leurs livres sterling par les fenêtres de manière inconsidérée à cause de mauvais choix. À l’ombre de Leicester, West Ham, 6e, et Southampton, 8e, ont tiré également leur épingle du jeu en faisant partie des clubs moins attendus qui se sont affirmés lors des mois écoulés et qui peuvent désormais rêver à l’horizon 2016-2017.

Il reste à savoir si Leicester est un club fait pour durer aux hautes altitudes de la Premier League ou s’il retournera rapidement à la deuxième partie de tableau à laquelle il est plus habitué. Sera-t-il à la taille de la Champions League? Parviendra-t-il à conserver le même état d’esprit solidaire une fois la gloire conquise? Le «big four» ne va-t-il pas se venger cet été en dépensant à tout-va? Ce sera l’objet de la suite du passionnant feuilleton de la Premier League avec Leicester comme nouvelle tête d’affiche pour stimuler encore plus son attractivité. Sachant que les contes de fées sont parfois cruels comme le racontait Charles Perrault avec son Petit Poucet cher à l’imagerie du football: «Le Petit Poucet avait semé partout où il avait passé; mais il fut bien surpris lorsqu'il ne put en retrouver une seule miette: les oiseaux étaient venus, qui avaient tout mangé…»

Yannick Cochennec

 

Source : Slate

 

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