L’Arabie saoudite veut réduire sa dépendance à l’or noir

Après Mohammed Ben Salman le chef de guerre, place à Mohammed Ben Salman le réformateur et le visionnaire.

Le fils du roi Salman, vice-prince héritier et ministre de la défense saoudien, déjà architecte de l’intervention militaire des monarchies du Golfe au Yémen, doit présenter, lundi 25 avril, son deuxième grand chantier : le « plan de transformation national », un programme de refonte du système économique et social saoudien.

En germe depuis la nomination, en janvier 2015, de ce jeune ambitieux de 31 ans, surnommé « MBS », à la tête de la commission interministérielle chargée du développement, ce plan aspire à sortir le pays, premier exportateur de pétrole au monde, de sa dépendance toxique à l’or noir. Une rente, qui finance 90 % des revenus de l’Etat, alimente un système d’Etat-providence extrêmement généreux, mais entretient un secteur public pléthorique et sclérosé, et décourage l’esprit d’entreprise.

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Surtout, dans le contexte de la chute des prix du brut, qui ont perdu 60 % depuis l’été 2014, et compte tenu de la surconsommation énergétique locale, cette manne pourrait ne plus suffire à faire fonctionner le pays. Dans un entretien fleuve avec l’agence Bloomberg, publié jeudi 21 avril, le prince Mohammed et son conseiller financier ont révélé la consternation mêlée de panique qui s’est emparée d’eux lorsqu’ils se sont penchés sur les comptes publics au printemps 2015.

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Risque de faillite

A cette époque, pour éponger ses pertes, conséquence de la dégringolade des cours, le gouvernement puisait chaque mois 30 milliards de dollars (26,7 milliards d’euros) dans ses réserves, alors estimées à 700 milliards. Ce qui aurait conduit l’Arabie saoudite à faire « complètement faillite » au bout de deux ans, assènent les deux hommes.

Dans la seconde partie de l’année 2015, des mesures d’ajustement drastiques ont donc été imposées : rapatriement d’avoirs investis à l’étranger, suspension de chantiers d’infrastructures, gel des embauches et des promotions, coupes dans les subventions sur l’eau, l’électricité et l’essence ; ce qui a permis de ramener l’effritement des réserves à 10 milliards par mois.

La monarchie saoudienne se prépare aussi à emprunter la même somme auprès de banques étrangères pour limiter le déficit budgétaire, qui devrait avoisiner encore 15 % du PIB cette année.

Mais aucune remontée en flèche du baril n’étant prévue à court ou moyen terme, l’omniprésent « MBS » a décidé de frapper un grand coup. La mesure phare de son plan de réformes, déjà esquissé dans la presse, devrait consister à introduire en Bourse 5 % du capital d’Aramco, le bras pétrolier du royaume, qui est la machine à cash la plus rentable au monde.

Mise en place d’une TVA

Les revenus tirés de cette opération et la réorganisation d’Aramco devraient alimenter un fonds d’investissement, dont le montant pourrait atteindre, selon le prince Mohammed, 2 000 milliards de dollars. Une somme astronomique, supérieure à la capitalisation cumulée de Google, Apple et Microsoft, destinée à être investie dans des avoirs industriels non pétroliers, puis reversée dans les caisses du royaume. « C’est ainsi que dans vingt ans, nous serons (…) un Etat qui ne dépendra plus principalement du pétrole », promet le prince.

Mohammed Ben Salman pourrait annoncer la vente d’autres actifs saoudiens, comme des terrains à La Mecque, l’une des villes dont le foncier est le plus cher au monde, et la privatisation de certains secteurs de services, comme la santé, les télécommunications et l’éducation.

L’instauration d’un indice de performance dans les ministères et la création de taxes sont également attendues. Véritable « super-premier ministre », Mohammed Ben Salman insiste en particulier sur la mise en place d’une TVA, prévue à l’horizon 2018 dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le club des pétromonarchies de la péninsule arabique.

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Auprès de la jeunesse urbanisée et diplômée, lasse des archaïsmes saoudiens, ce traitement de choc paraît alléchant. Cette génération, souvent passée par les campus occidentaux apprécie le style bûcheur et fonceur du nouvel homme fort du royaume, qui cite Steve Jobs, l’ex-grand manitou d’Apple, et se débarrasse dès qu’il le peut de son bisht, la cape brodée d’or que les Saoudiens portent dans les grandes occasions.

L’enthousiasme est d’autant plus fort dans les milieux libéraux que le prince laisse entendre que son élan modernisateur pourrait s’étendre au domaine social. « Nous croyons que les femmes ont des droits dans l’islam qu’elles ont encore à obtenir », a-t-il confié aux reporters de Bloomberg.

Moment de vérité

Certains observateurs lui attribuent la récente mise au pas de la police religieuse, le bras armé des ultraconservateurs, dont les prérogatives en matière d’arrestations et de poursuites ont été annulées.

Pour attirer davantage d’investissements étrangers dans le pays, le jeune réformateur pourrait être tenté de corriger quelques-uns de ses aspects les plus caricaturaux, comme l’interdiction faite aux femmes de conduire. C’est du moins ce que veulent croire les libéraux et ce que redoutent les religieux, qui ont croisé le fer ces derniers jours sur Twitter, le seul forum de débats non censuré du pays.

Outre le danger de s’aliéner le soutien des conservateurs, ravis de son entrée en guerre au Yémen, « MBS » qui se pique de « thatchérisme », doit jongler avec le risque d’être accusé de rompre le contrat social saoudien. Un pacte tacite, qui garantit aux habitants de jouir des dividendes du pétrole, en échange de leur allégeance à la famille royale.

Sur Twitter, beaucoup de Saoudiens ont critiqué la perspective d’une vente d’Aramco, joyau du patrimoine national, et protesté contre la hausse de leur facture d’eau, multipliée par dix voire plus, du fait de la levée des subventions. Au bout de quelques semaines, le prince a d’ailleurs annoncé une révision des nouveaux tarifs, précisant qu’il veillerait à ce que les plus pauvres ne souffrent pas de ses réformes.

Autant dire que le moment de vérité approche pour « MBS ». S’il parvient à mettre cette révolution structurelle en marche, il s’imposera plus que jamais comme l’homme-orchestre du royaume. Et il augmentera ses chances de succéder directement à son père, alors qu’il n’est que deuxième dans l’ordre de succession, en dessous du dauphin en titre, le ministre de l’intérieur, Mohammed Ben Nayef, de vingt-cinq ans son aîné.

En revanche, si ses nobles intentions s’enlisent dans la bureaucratie ou suscitent des résistances sociales insurmontables, son aura et ses ambitions en pâtiront immanquablement.

 

Benjamin Barthe, (Beyrouth, correspondant)
Correspondant au Proche-Orient
 

 

Source : Le Monde

 

 

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