L’étonnant salon du livre de riyad

En cette fin d'hiver, le Salon du livre de Paris n'a pas le monopole de l'actualité littéraire mondiale. A quelques milliers de kilomètres de là, une autre grande ville -célèbre la magie de l'écrit : Riyad.

Pour -les éditeurs du monde arabe, l'événement -organisé dans la capitale saoudienne est le rendez-vous de l'année.

C'est en effet dans le royaume le plus puritain du Proche-Orient qu'ils réalisent leur plus gros chiffre -d'affaires, bien plus qu'en Egypte (beaucoup plus peuplée mais trop illettrée) ou -au Liban (plus cultivé mais moins peuplé).

" On avait l'habitude de dire : “L'Egypte écrit, le Liban publie et l'Irak lit”, explique sur son stand le Beyrouthin Bachar Chebaro, patron de la maison d'édition Difaf. Ce n'est plus le cas. L'Arabie saoudite est devenue le marché numéro un. Ses habitants sont de plus en plus cultivés, et ils ont de l'argent ", ajoute-t-il en attrapant quatre romans de Patrick -Modiano traduits en arabe, " dont quelques -exemplaires sont déjà partis ".

L'accès au salon, installé dans un gigantesque hall d'exposition, se fait par des rampes distinctes selon que l'on est un homme ou une femme, conformément aux préceptes wahhabites qui régissent la société -saoudienne. A l'intérieur, l'espace dédicace et les postes de consultation informatiques -respectent aussi ce principe de ségrégation. Mais dans les travées mêmes du salon, -hommes et femmes déambulent côte à côte.

Hitler, Beauvoir, Peres…

Le stand de l'éditeur jordanien Al-Ahlia donne une bonne idée de l'éventail de livres disponibles. Le Mein Kampf, d'Adolf Hitler, -récemment réédité en Allemagne, côtoie Le Deuxième Sexe, la bible des féministes, -signée Simone de Beauvoir, et  The New -Middle East, récit des négociations d'Olso par Shimon Peres, l'ex-président israélien. Improbable trinité !

Les ouvrages des prédicateurs vedettes, comme le très fécond Aidh Al-Qarni, sont évidemment omniprésents. La tentative -d'assassinat raté, début mars, aux -Philippines, de ce cheikh aux douze millions d'abonnés sur Twitter avait causé un -immense émoi dans le monde musulman. Autre succès dans les allées du Salon de Riyad : les Mémoires des néoconservateurs -américains, comme ceux de l'ancien vice-président Dick Cheney ou de l'ex-secrétaire d'Etat Condoleezza Rice.

Même la pensée de gauche a sa place au -salon. L'éditeur libanais Dar Al-Adab, qui s'en est fait une spécialité, propose l'œuvre quasi complète d'Elias Khoury et plusieurs titres de Sonallah Ibrahim, deux auteurs phares de la littérature arabe, dont les écrits contiennent souvent des passages érotiques. Longtemps mis à l'index pour des raisons politiques, les pavés d'Abdul Rahman Mounif, le géant des lettres saoudiennes, sont en bonne place, de même que d'autres œuvres qui écornent les tabous de la société saoudienne, comme celles de Turki Al-Hamad.

Menace djihadiste oblige, la censure vise -davantage, ces temps-ci, les partisans -de l'islam politique : parmi eux, Salman -Al-Awdah, un religieux saoudien proche des Frères musulmans, dont les essais -d'interprétation du Coran ont été retirés il y a quelques mois de toutes les librairies du royaume. Il est tout aussi impossible de -dénicher plusieurs études au parfum de -soufre, comme After the Sheikhs, de l'universitaire britannique Christopher M.  Davidson, qui développe la thèse d'un effondrement inéluctable des monarchies du Golfe. Si la morale wahhabite tolère quelques écarts, la dynastie au pouvoir reste intouchable.

Benjamin Barthe

 

Source : Le Monde  (Supplépment Idées)

 

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