Les lettres africaines sont à l’honneur ce 17 mars au Collège de France avec l’installation du talentueux Alain Mabanckou à la Chaire de création artistique.
Romancier et professeur de littératures de langue française à l’université de Californie, aux Etats-Unis, le Franco-Congolais s’est imposé au cours des dernières années comme l’un des auteurs majeurs de la littérature africaine d’expression française. Une littérature dont l’émergence et l’évolution feront l’objet des cours que le nouveau professeur de création artistique va dispenser tout au long de l’année 2016.
Avec ses tout premiers titres parus dans les années 1920, la littérature africaine de langue française sera bientôt centenaire. Née dans les ténèbres de la colonisation, elle raconte le parcours vers la modernité de l’Afrique à travers un siècle semé de chausse-trappes et de moult obstacles. Riche de sa production exubérante et de l’extraordinaire diversité des sensibilités qui l’animent, elle s’est imposée comme une des grandes littératures de notre temps. Son univers peuplé de traditions millénaires et de combats contemporains pour l’émancipation, irrigue l’imaginaire de la langue française et l’enrichit.
Une littérature d’instituteurs
La littérature africaine francophone est le produit de la rencontre coloniale franco-africaine. Elle est écrite dans la langue de l’hexagone que le colonisateur avait imposée à travers l’école et l’administration. Les premiers romanciers africains (Mongo Beti, Camara Laye, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono, Cheikh Hamidou Kane, Sembene Ousmane) mettent en scène des drames historiques, ethnographiques ou psychologiques dont l’objectif était de raconter de l’intérieur la vie dans les sociétés africaines.
Les pionniers des lettres africaines étaient les produits de l’école française et en particulier de l’Ecole normale de William Ponty à Dakar. Ils calquaient leurs écritures sur les modèles des romans français du 19e siècle qu’ils avaient étudiés en classe. La critique parle de « littérature d’instituteurs », respectueuse de la norme linguistique fixée à Paris. Il faudra attendre les années 1970-80, avec l’entrée en scène des Amadou Kourouma, des Sony Labou Tansi ou des Henri Lopes, des romanciers de la seconde génération, pour voir émerger une littérature plus subversive et originale. L’arrivée sur le devant de la scène de cette deuxième génération d’auteurs africains coïncide avec l’avènement des indépendances.
Ecrire le désenchantement et le désespoir
Exit le colonisateur et la colonisation qui étaient les cibles de la contestation véhiculée par la littérature africaine de l’époque coloniale. Cette contestation de l’Occident qui allait de pair avec le souci des intellectuels africains de renouer avec les valeurs du passé précolonial étaient à l’origine du mouvement poétique de la négritude lancé dans les années 1930 par le trio Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas. La poésie de la négritude représente un moment fort et fondateur de la littérature africaine, mais elle perd sa pertinence avec l’accession des pays africains à l’indépendance.
Or les indépendances déçoivent terriblement. La littérature postcoloniale met en scène les impostures des nouveaux pouvoirs africains et la lente dérive des pays vers la dictature et la guerre civile. Les romanciers et les poètes qui écrivent après les années 1960 font le bilan de la faillite des régimes nés de la décolonisation. Si le contexte change profondément et les thèmes aussi, l’engagement social des écrivains africains ne change pas. « L’approche des écrivains africains demeure essentiellement socio-politique, explique Florence Paravy, professeur de littérature africaine à l’université Paris-Nanterre. Ils croient profondément aux vertus transformatrices de la littérature. C’est ce qui explique qu’il n’y a pas de grand roman d’amour en littérature africaine, comme on peut en avoir des myriades en Occident. La préoccupation majeure jusqu’à présent, ce sont des questions de société au sens large. »
Ce qui distingue les écrivains de la deuxième génération de leurs prédécesseurs, c’est aussi l’abandon progressif du français littéraire et académique. Les nouveaux écrivains s’attachent à « décoloniser » la langue en prenant leur distance par rapport aux normes. Kourouma parle de « malinkiser » le français, en faisant appel à la structure et aux images véhiculées par sa langue maternelle, le Malinké. Le français devient ainsi une « langue épousée » plutôt qu’une langue imposée, et surtout une langue métissée, en adéquation avec la réalité africaine. Le premier roman d’Ahmadou Kourouma Les Soleils des indépendances (Seuil) est emblématique de cette démarche.
Fragmentaire et fantasmée
Enfin, Kourouma comme les autres écrivains africains de la deuxième et la troisième génération – dont les plus connus ont pour nom Alain Mabanckou, Tierno Monenembo, Kossi Effoui, Koffi Kwahule, Fatou Diome, Abdourahmane Waberi, Nimrod, Sami Tchak (pour ne citer que les plus connus) – , se caractérisent par leur écriture sophistiquée, à la fois fragmentaire et fantasmée, à mille lieux de la sobriété et classicisme des premiers grands romanciers africains. « Le grand tournant s’est produit, au début des années 1970, explique l’Africaniste Florence Paravy. La première tendance était le roman d’inspiration réaliste. Cette littérature naissante s’est inspirée des modèles français dominants du XIXe siècle. Et puis à partir des années 1970, avec des auteurs tels que Kourouma, Sony Labou Tansi et d’autres, on a vu jaillir de nouvelles écritures singulières, sans doute influencées davantage par la littérature latino-américaine. »
Chef de file de sa génération, Alain Mabanckou qui fait rentrer l’Afrique dans l’enceinte du vénérable Collège de France, est l’auteur d’une œuvre majeure, à la fois poétique et romanesque, mais toujours résolument moderne. Elle est travaillée en profondeur par les préoccupations thématiques et esthétiques de la littérature africaine contemporaine. Une littérature dans les pages delaquelle l’« écritude » prime désormais sur la négritude.
Tirthankar Chanda
Source : RFI
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