Jeunesse sahraouie : Naître, vivre et mourir dans un camp

Naître réfugié, vivre dans des camps, poursuivre ses études à l’étranger et revenir non pas au pays, mais au camp.

C’est la vie que mènent des milliers de jeunes Sahraouis depuis quarante ans. Ces derniers mettent beaucoup d’espoir dans la visite, demain, de Ban Ki-moon.

«Vous croyez que tous les Saharas se ressemblent ? Dunes à l’infini, clair de lune, chants et thé à la menthe ? Détrompez-vous, ici il n’y a rien si ce n’est la détresse d’un peuple. Un peuple oublié par tous, car réfugié depuis quarante ans en Algérie. Nous avons un pays, nous voulons y retourner.» Abdelbasset, 31 ans, est né dans les camps de réfugiés.

Il a mené une partie de ses études à Alger et se remémore souvent, dans nos discussions, la Grande Poste d’Alger et le marché d’El Biar. «Parfois, j’essaie d’oublier mes souvenirs, car ça me fait mal de me souvenir que, l’espace de quelques mois, j’ai eu une vie normale, confie-t-il. Je crois que c’est le cas de tous les Sahraouis partis étudier à l’étranger. Nous revenons à notre réalité avec l’idée de ne jamais s’habituer au confort quand les nôtres souffrent.» A Rabouni, dans la wilaya de Tindouf (sud-ouest), où vit Abdelbasset, le soleil «tape deux fois plus fort qu’ailleurs». Pour s’occuper, ce diplômé de l’université d’Alger répare des téléphones portables et fabrique des briques en terre pour sa future maison.

Il avoue que son frère qui vit en Espagne l’a aidé pour financer ce projet : «Je ne peux pas me permettre de construire une grande maison, une pièce suffira pour le moment.» Alors que demain le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, rencontrera le secrétaire général du Front Polisario à Rabouni et se rendra au camp de la Minurso (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental) à Bir Lahlou, les militants de la cause sahraouie gardent espoir, d’autres ne croient pas à un changement de la situation.

École obligatoire

Pour Ibrahim, 26 ans, la nouvelle de cette visite a changé la vie dans les camps. «Elle est annonciatrice d’espoir», dit-il. Pour lui, naître dans les camps n’est pas une fatalité. Il relativise et estime que «les aides que nous avons eues jusqu’à présent nous ont permis de nous construire.» «Cela doit en complexer plus d’un de savoir qu’un Sahraoui perdu dans un camp maîtrise au minimum deux langues étrangères ! La majorité des diplômés vivant dans les camps ont fait leurs études en Algérie, à Cuba, en Espagne…

Le taux d’alphabétisation est supérieur à 90%. Ici, l’école est obligatoire pour les filles et les garçons, je ne connais aucune famille pour qui l’école est secondaire.» Les camps de réfugiés sahraouis sont répartis sur près de 6000 km2 dans le sud-ouest du pays, à Tindouf. Il faut savoir que chaque camp porte le nom d’une wilaya du Sahara occidental : Boujdour, Dakhla, Smara, Laâyoune et Aousserd.

Aussi, Rabouni, à proximité de Boujdour, sert de «capitale administrative et politique» où sont installés les différents ministères. Les camps ont leur propre structure administrative. Soit, au total, 29 daïras et plus d’une centaine de quartiers. Les premiers réfugiés se sont établis en 1975 dans les camps de Smara, Laâyoune et Dakhla (le camp de l’Aousserd a été créé en 1986). Seule la situation du camp de Boujdour est différente puisque dès la fin des années 1970, «des femmes s’y sont installées pour organiser des activités de formation spécifiquement pour les femmes sahraouies.

Ce n’est qu’au fur et à mesure des années qu’un véritable campement s’y est installé», précise Dahi Abdelaziz, responsable au Croissant-Rouge sahraoui. «La vie dans les camps est bien entendu difficile. Cependant, ce qui est encore plus difficile, c’est de devoir trouver l’équilibre entre toutes les forces de la région», commente Ibrahim Ould Balhi, universitaire et politologue mauritanien spécialiste des conflits dans le grand Sahara.

Aura

Mardi 23 février, une importante délégation étrangère composée d’humanitaires, de journalistes et de leaders locaux, dont la ministre de la Culture sahraouie, Khadija Hamedi, ont participé à une importante manifestation artistique à l’occasion des 40 ans des camps de réfugiés. Cette exposition de photos «40 faces, 40 years», sillonnera plusieurs pays (Belgique, France, Italie, Tunisie, Ethiopie, Algérie).

Elle est organisée par Oxfam, ainsi que d’autres ONG humanitaires (Afad, Triangle, CISP…) spécifiquement pour les 40 ans de la crise des réfugiés sahraouis et vise à redonner un visage à cette crise humanitaire oubliée. Les 40 portraits de réfugiés sahraouis, âgés de un à quarante ans, illustrent parfaitement le désarroi de plusieurs générations nées réfugiées et dans des camps de fortune. «Le fait que Winnie Byanyima (directrice générale d’Oxfam International) se soit déplacée est très important pour les Sahraouis.

Winnie a une importante aura à l’international et porte déjà beaucoup de messages dans le monde», confie une militante espagnole de la cause sahraouie. «Je pense que les autorités locales sont conscientes de cette opportunité, surtout à la veille du 27 février (date à laquelle la RASD a été auto-proclamée en 1976, après le retrait du colonisateur espagnol), les quarante ans dans les camps et la visite imminente, dans quelques jours, du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon». Depuis plus de quarante ans, le peuple sahraoui réclame le droit au retour sur sa terre, conformément aux résolutions de l’ONU et aux avis de la Cour internationale de justice.

Enrôlé

Plus de 100 000 Sahraouis vivent en Algérie dans des camps de réfugiés dépendant des aides humanitaires. C’est aussi dans ce contexte que Winnie Byanyima est venue valider des projets dédiés aux jeunes Sahraouis, très fragilisés par les inondations d’octobre 2015 qui ont tout emporté. Oxfam, en partenariat avec le HCR, a lancé en 2015 un projet en lien avec la jeunesse sahraouie, dans une nouvelle approche consistant en un appel à projet lancé à l’échelle de toutes les wilayas sahraouies. Une rencontre a été organisée afin que les jeunes ayant été retenus pour leurs projets rencontrent la directrice de l’organisation internationale.

Surprise, la majorité des candidats sont des candidates ! Une participante qui a bénéficié du programme d’aide a expliqué que s’il y a peu de jeunes hommes, c’est parce qu’ils sont soit «enrôlés dans les rangs du Polisario», soit, vu la préparation des festivités du 27 février, «tous mobilisés pour aider dans le camp de Dakhla». Soucieuse de voir une répartition équitable entre hommes et femmes, Winnie Byanyima a posé quelques questions aux jeunes femmes porteuses de projets sur la condition des femmes, de leurs droits… D’une voix unanime, elles se sont exprimées en rassurant la militante internationale connue pour ses luttes dans le monde. «La femme sahraouie est libre, notre malehfa est portée fièrement et volontairement.

Personne ne nous impose sa loi religieuse ou culturelle», explique une jeune Sahraouie de 24 ans, en précisant tout de même : «Mes compatriotes dans les territoires occupés sont sauvagement battues et torturées car elles réclament la reconnaissance de notre cause. Ici (dans les camps), vous ne trouverez personne se plaindre de violences physiques infligées par des proches. La seule violence que nous vivons est psychologique ! Elle perdure depuis quarante ans», dit-elle.

Rapt

«Le Polisario a été plusieurs fois fragilisé par des scandales touchant le détournement des aides alimentaires, de la sécurité des humanitaires et de l’implication de certains de ses membres et leurs proches dans des trafics, affirme une source sahraouie locale. Les Algériens mènent d’importantes enquêtes et ont plusieurs fois averti le commandement du Polisario, quand ils ne passent pas directement à l’action. Ils en ont le droit car ils sont chez eux et nous ne nous sommes que des réfugiés après tout.»

Depuis 2011, suite au rapt des deux humanitaires espagnols et d’une Italienne à Rabouni, à proximité de la présidence de la Rasd, et surtout l’attaque de Tiguentourine, «les patrouilles militaires algériennes sont quasi permanentes, les barrages sont renforcés ainsi que les fouilles à l’aéroport de Tindouf et sur la route vers les camps. Ces contrôles ne sont pas excessifs puisque l’on sait qu’AQMI a recruté des Sahraouis dans ses rangs, ainsi que le Mujao et Ançar Eddine au Nord du Mali», explique le politologue mauritanien Ould Balhi. «Même les imams sahraouis sont surveillés.

Bien que l’Algérie assure leur formation et leur propose un islam sunnite, certains ont été influencés par des tendances dangereuses, notamment dans des centres de formation en Mauritanie, où les autorités locales ferment les yeux», affirme-t-il. Les jeunes sont attirés par un discours radical qui propose «le retour vers un conflit armé et la libération des territoires occupés, ce n’est pas un secret», dit Ibrahim Ould Balhi.

Kheïma

Canaliser l’énergie des jeunes, c’est la mission principale des autorités et des ONG présentes depuis des décennies dans les camps. A l’occasion de la 16e édition du Sahara-marathon, qui s’est tenue le mardi 23 février, du camp d’El-Ayoune vers celui de Smara, le ministre sahraoui de la Jeunesse et des Sports, Ahmed Lahbib Abdi, s’est exprimé en marge de la manifestation sportive. Le ministre nous a accueillis, sans protocole, sous une kheïma plantée sur un terrain caillouteux pour les sportifs. Selon lui, les autorités sahraouies ont toujours «proposé une voie pacifique pour régler le conflit avec le Maroc.

Ceci dit, le jeune Sahraoui ne voyant pas de perspectives d’avenir ni de solutions immédiates à sa frustration serait tenté par la prise des armes. C’est une réalité. Les jeunes sont politisés et ne veulent pas passer toute leur vie dans les camps de réfugiés ni faire des constats perpétuels sur l’état du peuple sahraoui, déchiré. Il faut savoir que les jeunes ici voyagent et partent faire leurs études à l’étranger, ils voient que les jeunes de leur âge ont une vie équilibré et structurée, alors pourquoi continuer à vivre dans des camps et ne pas voir la fin ?

Et la majorité des jeunes qui partent se former en Europe reviennent toujours car ils sont très attachés à la cause sahraouie.» Le recrutement des jeunes Sahraouis par des groupes terroristes actifs dans région et évoluant sur tout le pourtour sahélien pendant la guerre en Libye et au Mali, le ministre de la Jeunesse n’y croit pas. Pour lui, le jeune Sahraoui «est formé politiquement depuis son jeune âge». «Les groupes terroristes arrivent à recruter dans une société basée sur les castes sociales, où les différences sociales sont très importantes, ce qui crée de la haine et de la discrimination.»

Indiens d’Amérique

«Dans les camps sahraouis, nous vivons tous à la même enseigne», constate le ministre de la Jeunesse qui axe son programme sur des activités sportives en coopération avec son homologue algérien afin de poursuivre la lutte sur d’autres terrains. «Je veux bien participer à toutes les initiatives que proposent nos autorités.

Mais qui les écoute vraiment ?» s’interroge toutefois Ahmed, 15 ans. Né dans les camps, il est au lycée et rêve de devenir médecin ou journaliste. «Nous sommes dépendants des aides humanitaires, cette situation n’est pas normale et ne doit pas durer. Je veux vivre dans un pays et non dans un territoire, cloisonnés que nous sommes comme les Indiens d’Amérique il y a des siècles !» Dakhla, le camp de réfugiés le plus éloigné, à plus de 150 km de Rabouni, est aussi le plus dévasté. Les dernières inondations ont détruit 17 841 habitations – maisons et tentes traditionnelles. On estime que 100% des familles de Dakhla ont été touchées. C’est jour d’approvisionnement pour les familles.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) fournit des rations alimentaires de base et fortifiées aux réfugiés les plus vulnérables du Sahara occidental. «Le PAM a revu à la baisse ses aides, ce qui n’arrange pas les choses à Dakhla», estime un humanitaire, tout en s’inquiétant du sort des femmes enceintes. «Elles sont vulnérables et souffrent de malnutrition». Une étude a révélé que des maladies, telle l’anémie, atteignent 30% chez les enfants de moins de 5 ans, 67% chez les femmes allaitantes et 55% chez les femmes enceintes. «Je ne veux pas élever mon fils dans un camp dévasté.

Avec l’argent gagné en Espagne, j’ai pu envoyer ma femme accoucher à l’étranger. J’espère pouvoir assurer le minimum à mon fils pour sa première année, on verra par la suite», raconte Saleh, 28 ans. Il a étudié en Algérie et compte beaucoup sur la visite de Ban Ki-moon «C’est en quelque sorte notre dernière chance pour dire au monde qu’il y a des conflits en Syrie, au Yémen, en Palestine, mais aussi au Sahara occidental, la dernière colonie d’Afrique !»

Tortures

En attendant de retrouver son pays, la société civile sahraouie s’organise et active pour sortir les jeunes du chômage et des diverses tentations ou dérives. Dans les camps, deux importantes associations, l’Afrapadesa (Association des familles de disparus et prisonniers sahraouis) représentée par Abdeslma Omar, et l’association Nova présidée par Abida Mohamed Buzeid sont représentées. Les deux organisations travaillent à faire reconnaître les tortures infligées aux militants sahraouis dans les territoires occupés.

Au siège de l’Afrapadesa, on est interpellé par le “Mur de la Honte” où sont dénoncées les exactions commises par les autorités marocaines, des photos de Sahraouis torturés et battus, femmes et hommes, avec un historique détaillé. Frissons et interrogations sur le sort de ce peuple meurtri et presque abandonné. «Les images que vous voyez sont réelles, il n’y pas d’artifice. C’est la réalité de notre peuple, et c’est pour cette raison que nous existons», commente Abdeslam Omar.

Pour sa part, la présidente de Nova tente de développer un discours de non-violence en proposant des programmes dédiés aux jeunes et en travaillant étroitement avec les autorités locales. «On ne va pas se mentir, les jeunes vivent des pressions importantes et ne savent plus quoi faire de leurs journées. Ils se lancent dans des voies dangereuses pour eux et la communauté. La majorité des jeunes considère la voie des armes comme étant la meilleure manière de faire respecter notre droit à l’autodétermination», dit-elle.

Guerre

«Je m’étonne de trouver du goudron sur la route de Dakhla», commente un journaliste étranger embarqué dans un véhicule avec ses confrères. «Je me souviens, il y a quelques années il n’y avait pas ça. Ce sont les autorités algériennes qui ont permis cela ?» demande-t-il au chauffeur. Ce dernier confirme d’un hochement de tête tout en veillant de ne pas quitter la route des yeux. «Le protocole est strict. Quand il y a des étrangers, nous devons tous rouler à 90 km/heure», explique-t-il. Sa clé USB branchée passe du raï, des chants sahraouis, du Coran et même un prêche d’un imam sahraoui. Le discours de ce dernier fustige les organisations étrangères. La mauvaise qualité de l’enregistrement laisse penser que c’est le chauffeur qui l’a enregistré. Il le confirmera plus tard.

Les observateurs refusent de dire que la jeunesse change d’orientation à cause des mutations de la région. «Nous pensons que la jeunesse sahraouie se radicalise politiquement et non religieusement», affirme un militant sahraoui. Au département du ministère de la Défense, on nie toute implication des jeunes Sahraouis dans les conflits de la région saharo-sahélienne. «La communauté internationale doit prendre ses responsabilités face au peuple sahraoui. Notre patience, celle du peuple et des jeunes a atteint ses limites», avoue un haut responsable au ministère de la Défense.
 

Faten Hayed

 

Source : El Watan (Algérie)

 

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