La diplomatie américaine joue son crédit en Syrie

Ni le froid réalisme de Barack Obama ni l'optimisme du secrétaire d'Etat, John Kerry, n'ont permis de peser dans la résolution du conflit.

 

Ce qu'il reste de la crédibilité américaine au Proche-Orient était en jeu, samedi 27  février, avec l'entrée en vigueur en Syrie d'un cessez-le-feu partiel, négocié âprement entre Moscou et Washington, pratiquement cinq ans après le début des premières contestations publiques contre le régime de Bachar Al-Assad. L'enjeu se révèle particulièrement important pour le secrétaire d'Etat, John Kerry, qui s'est retrouvé aux avant-postes du fait de la réticence du président -Barack Obama à s'engager dans un conflit jugé trop complexe et trop incertain pour y brûler de son capital politique.

Cette répartition des rôles a été figée le 31  août 2013, lorsque le président a renoncé à intervenir militairement en Syrie malgré l'usage par le régime de Damas d'armes chimiques. Il constituait pourtant une " ligne rouge " américaine. Le 9  septembre de la même année, une suggestion de M. Kerry – que le régime de Bachar Al-Assad se prive de cet arsenal non conventionnel – était reprise au bond par son homologue russe, Sergueï -Lavrov, et concrétisée en un temps record par un accord, le 14  septembre. Il permettait de limiter les dégâts causés par la volte-face présidentielle.

Depuis, la position de M. Obama n'a pas varié. Le président américain, selon la formule officieuse qui revient avec insistance, " n'est pas intéressé " par une plus grande implication dans un conflit où les alliés des Etats-Unis, de l'Arabie saoudite à la Turquie, ont des priorités différentes de celles de Washington. En retrait, M.  Obama a laissé M. Kerry exposé en première ligne.

Sans doute nulle part ailleurs qu'en Syrie les travers des deux hommes ne s'additionnent aussi complètement. Réaliste, dépourvu de toute forme de passion concernant le Proche-Orient, le président Obama semble souscrire à la lecture sombre qui prédit la perpétuation d'un conflit exacerbé par le jeu des puissances régionales qui s'y affrontent par armées et milices interposées. Optimiste incurable, M.  Kerry a exploré au contraire, jusqu'au risque de la rupture, la voie diplomatique.

Quête obstinée du compromis

Héritier de patriciens de la Nouvelle-Angleterre, membre de la prestigieuse société secrète Skull and Bones de l'université Yale, héros de la guerre du Vietnam devenu l'un de ses plus farouches adversaires, M.  Kerry a développé pendant ses vingt-huit années passées au Sénat la conviction que rien ne peut résister à la quête obstinée d'un compromis. Même si les camps retranchés qui s'affrontent aujourd'hui au Congrès n'ont plus grand-chose à voir avec le club sénatorial d'hier.

Cet état d'esprit conduit parfois le secrétaire d'Etat hors des lignes officielles. Une pique lancée par son ancien conseiller pour le Proche-Orient, Martin Indyk, lors d'une intervention devant le think tank Brookings, a résumé ce travers le 5  décembre 2015 : " Votre équipe a décidé que je serai le seul à poser des questions parce que je crois qu'ils sont inquiets de vos réponses. " Dix jours plus tard, une formulation alambiquée au sortir d'une rencontre avec les responsables russes, à Moscou, avait d'ailleurs brièvement fait croire à un changement de position américain sur le sort de Bachar Al-Assad.

Ce trait de caractère de M. Kerry peut être précieux dans le cas d'une négociation qui bénéficie du soutien du président. Le marathon qui a conduit à l'accord nucléaire avec l'Iran du 14  juillet 2015 en est la preuve. Outre l'engagement plein et entier de M.  Obama, M.  Kerry bénéficiait également de l'appui du secrétaire à l'énergie, Ernest Moniz. Maiscette attitude peut rapidement conduire à l'enlisement sans ce soutien : la relance intrépide d'un processus de paix israélo-palestinien, dès l'arrivée de M. Kerry au département d'Etat, en  2013, le démontre, tant l'initiative a tourné au fiasco.

Dans le cas de la Syrie, l'optimisme parfois raillé du secrétaire d'Etat a fini pourtant par s'effilocher à mesure que la Russie a réaffirmé son attachement à un statu quo qui, du point de vue américain, alimente la guerre civile. Ce scepticisme a affleuré mardi 23  février lors d'une audition par la commission des affaires étrangères du Sénat, une institution qu'il présidait avant de rejoindre le département d'Etat. Assurant ne se faire " aucune illusion ", M.  Kerry a estimé que " s'il n'y a aucun progrès, si rien ne se passe, ce sera très dur de garder les gens à la table " des négociations.

La piste du " plan B "

" Nous allons savoir dans un mois ou deux si ce processus de transition est vraiment sérieux. – Bachar Al- – Assad va lui-même devoir prendre de véritables décisions sur l'élaboration d'un processus de gouvernement de transition ", a-t-il ajouté. " Il y a en ce moment des discussions importantes à propos d'un plan B, au cas où nous ne réussirions pas ", a encore assuré le chef de la diplomatie américaine.

Ce " plan B " évoqué pour la première fois dans le Washington Post le 9  février n'a jamais été détaillé par M. Kerry. Le constat de l'épuisement de la voie diplomatique conduirait cependant à accorder au levier militaire un rôle plus important, vraisemblablement pour soutenir les rebelles non affiliés à l'organisation Etat islamique, qui sont visés actuellement par les forces militaires russes et syriennes.

La mention de cette autre piste part de l'écueil sur lequel bute la diplomatie depuis les pourparlers de Genève, en  2012 : le sort de -Bachar Al-Assad, sur lequel ni les Russes ni les Iraniens ne sont prêts à transiger. Mais il se heurte à un autre obstacle, américain -celui-ci : l'opposition de M. Obama à toute forme d'engagement massif sur un théâtre d'opérations aussi confus, qui explique notamment l'hostilité américaine à la création de " zones sécurisées " dans le nord de la Syrie.

Le renoncement de la Maison Blanche à respecter ses propres -lignes rouges, il y a trois ans, affaiblit considérablement une alternative mentionnée jusqu'à présent du bout des lèvres. M.  Kerry a indiqué mardi qu'en cas d'échec il faudra sans doute " prier pour que la Syrie reste unifiée ".

Gilles Paris

 

Source : Le Monde

 

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