Déchéance de nationalité : qui serait concerné par le projet de loi constitutionnelle ?

Députés et sénateurs se prononceront, début 2016, sur une réforme de la Constitution qui pourrait notamment permettre d’étendre la possibilité de déchoir un Français de sa nationalité.

L’affaire n’est pas entendue car toute modification de la Constitution doit être approuvée par les trois cinquièmes des parlementaires – députés et sénateurs réunis. En attendant les débats qui commenceront le 3 février à l’Assemblée, nombreux sont ceux qui ont fait entendre leur voix sur le sujet.

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Mais que changerait réellement l’extension de la déchéance de nationalité telle que proposée dans le projet de loi constitutionnelle « de protection de la nation » proposé par François Hollande ?

  • Aujourd’hui, qui peut être déchu de la nationalité française ?

Dans le cadre actuel, les Français de naissance ne sont pas concernés. En effet, selon l’article 25 du code civil, pour être déchu de la nationalité française, il faut l’avoir acquise.

Il faut en outre disposer d’une autre nationalité car il est interdit à un Etat de créer des apatrides, selon l’article 15 de La Déclaration universelle des droits de l’homme, qui affirme que « tout individu a droit à une nationalité ».

Ce qui n’empêche pas Jean-Vincent Placé, sénateur écologiste de l’Essonne, et Xavier Bertrand, futur président Les Républicains de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, de le proposer. Ou même le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, d’y voir un « élément dans le débat ».

Quatre motifs de condamnation peuvent mener un individu à la déchéance de nationalité :

  1. une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme ;
  2. un crime ou délit défini par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal (Des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique) ;
  3. s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
  4. s’être livré au profit d’un Etat étranger à des actes « incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».

Le code civil précise en outre que les faits doivent s’être « produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition ». Un délai porté à quinze ans dans le cas d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour acte de terrorisme.

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  • Qui sont les Français par acquisition ?

Les binationaux qui peuvent aujourd’hui être déchus sont ceux qui ont acquis la nationalité française en se mariant, en se faisant naturaliser, ou ceux qui sont nés en France de parents étrangers. Les voies pour acquérir la nationalité sont :

Le mariage. Après quatre ans de mariage, si le demandeur réside légalement en France depuis au moins trois ans et parle français.

La naturalisation. Après cinq ans de résidence en France — une période réduite à deux ans notamment pour les étudiants, voire facultative pour certains cas particuliers (réfugiés, service militaire…) — si le demandeur est inséré professionnellement, parle français et n’a pas été condamné pour des faits empêchant l’acquisition de la nationalité française (atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, terrorisme ou peine égale ou supérieure à 6 mois de prison ferme).

Naître en France de parents étrangers. Les parents peuvent la demander pour leur enfant entre 13 et 16 ans s’il est né en France et qu’il y réside depuis l’âge de 8 ans ; l’enfant peut la demander entre 16 et 18 ans s’il est né en France et qu’il y réside depuis au moins cinq ans ; à 18 ans, le jeune majeur acquiert automatiquement la nationalité française s’il est né en France et qu’il y réside depuis au moins 5 ans, et ce depuis ses 11 ans (mais il devra prouver qu’il remplit les conditions mentionnées).

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  • Que changerait la révision constitutionnelle ?

Le projet de révision constitutionnelle, qui sera discuté à l’Assemblée nationale à partir du 3 février, prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et « condamné [s] pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation ».

S’ajouteraient donc aux binationaux ayant acquis la nationalité française, les binationaux Français de naissance.

Pour naître français, il faut :

– Avoir un parent français, que l’on naisse en France ou à l’étranger. C’est ce que l’on appelle le droit du sang.

– Etre né en France et avoir un parent né en France (quelle que soit sa nationalité), ou avoir un parent né en Algérie avant le 3 juillet 1962, date à laquelle l’indépendance du pays est reconnue par la France. C’est ce que l’on appelle le double droit du sol.

  • Pourquoi modifier la Constitution et pas une simple loi ?

Le code civil permet déjà d’ôter aux Français de naissance leur nationalité, par son article 23-7 :

« Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français. »

Une perte et non une déchéance, lui rétorquent ses contradicteurs, qui soulignent que la déchéance inclut une dimension pénale plus forte. Mais la nuance juridique aboutit au même résultat, souligne Patrick Weil, historien et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique. « Qui osera dire que c’est un gain ? » Pour lui, il aurait donc suffi d’amender cet article pour que s’y applique le terrorisme international. Et éviter de toucher à la Constitution.

Mais en tentant de modifier les articles 25 ou 23-7 du code civil, le gouvernement aurait pris le risque que son projet de loi soit retoqué par le Conseil constitutionnel. D’où un passage direct par la voie constitutionnelle. Une « erreur majeure », que dénonce Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Car si aujourd’hui, le gouvernement assure limiter la déchéance aux binationaux condamnés pour des faits de terrorisme, « qui nous dit ce que feront les prochains ? », s’inquiète M. Slama.

Outre le fait de « créer deux catégories de Français », insiste-t-il, inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, c’est permettre de l’aggraver ensuite par une loi. Et « mettre une arme redoutable dans les mains des gouvernements futurs. »

 

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Source : Le Monde

 

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