Théâtre de manifestations de solidarité, les réseaux sociaux sont également, en ces temps troublés, l'outil de propagation de " l'intox ".
La France vit, agit, souffre et pleure aussi sur Internet et sur les réseaux sociaux. Et la tragédie du 13 novembre l'a, s'il le fallait encore, prouvé. La France qui sort le vendredi soir, celle des 18-40 ans, c'est celle des utilisateurs de Twitter, Facebook ou WhatsApp. Et c'est vers ces médias qu'elle se tourne, même, voire surtout, en cas d'urgence.
C'est par ces canaux que passeront, vendredi, les premières informations, celles des milliers de témoins qui tweetent ou postent pour dire les coups de feu, les victimes, la panique. C'est sur les réseaux sociaux qu'on verra, au cœur de l'horreur du vendredi soir, le meilleur : des mobilisations spontanées, comme le hashtag #porteouverte sur Twitter, sur lequel des habitants du 11e arrondissement proposent un abri à ceux qui courent dans les rues ; ou les dizaines d'initiatives, ensuite, pour retrouver les disparus de cette soirée tragique.
Mais c'est aussi par les réseaux sociaux que viendra, sinon le pire, du moins le reflet de la panique du pays, sous forme de rumeurs, d'intox, relayées souvent de bonne foi, parfois avec de mauvaises intentions, et de " course au buzz ", à la notoriété, à tout prix.
Il y a les paniques qui s'amplifient, comme celle de dimanche, après les rassemblements, place de la République, qui se sont soldées par des mouvements de foule, à la suite de quelques pétards, bruits de voiture ou ampoules éclatées. Les réseaux sociaux, cette fois, ont joué un rôle de caisse de résonance de la panique des uns, qui s'est transmise aux autres, dans un contexte d'angoisse collective qui l'explique aisément.
Recherche du " buzz "
Sur le site du Monde, nous avons ouvert dès vendredi un suivi en direct, jour et nuit, des événements, dans lequel nos lecteurs pouvaient nous poser des questions. Nous avons aussi beaucoup publié sur les réseaux, essentiellement pour démentir des rumeurs et des bruits qui se diffusent d'autant plus vite dans ce contexte de peur.
L'effroi, la sidération, l'angoisse, on pouvait les lire dans les questions de nos internautes, ou par le biais de messages directs sur Facebook, reçus dans une proportion inédite. " On parle de coups de feu à – Montélimar, Marseille, Bordeaux… – , pouvez-vous confirmer ? " Des dizaines, sinon des centaines de questions de ce genre nous ont été posées cette semaine, par des internautes sincèrement inquiets après avoir entendu telle ou telle rumeur. Nous avons tâché d'y répondre au mieux.
Ces fausses informations provenaient généralement d'échanges, notamment via des SMS qui ont circulé massivement, partout en France, toute la semaine. Emanant d'un " ami qui connaît quelqu'un à la DCRI " ou dans quelque haute sphère, ils préviennent d'un péril imminent à tel ou tel endroit. Nos lecteurs nous en ont envoyé une bonne demi-douzaine, à Toulouse, Marseille, etc. Tous faux, évidemment, mais tous emblématiques d'un pays apeuré, inquiet.
Evidemment, au-delà de la peur, la malveillance existe. Sur les réseaux sociaux, quelques irresponsables, mauvais plaisantins ou militants de telle ou telle cause, ont diffusé mensonges, rumeurs et propagande, avec parfois un certain succès. Ce sont, par exemple, des photos de militants du Hamas se réjouissant d'un cessez-le-feu en 2012, en les faisant passer pour une célébration des attentats à Paris vendredi, ou cet adolescent en mal de notoriété qui inventera samedi des perquisitions à Strasbourg, où il ne s'est rien passé, simplement pour voir combien de partages il va obtenir.
La recherche du " buzz ", c'est aussi ce qui poussera certains à créer des comptes supposés aider des familles à retrouver leurs disparus, mais qui diffuseront parfois de fausses photos, ou des clichés de personnes décédées, avec un message nauséabond : " Un RT – un partage – = un soutien ", dans l'idée d'obtenir un maximum d'influence, puis de changer le nom et l'objet du compte. Il y a enfin ces petites histoires, moins essentielles, mais significatives : cette citation par exemple, certes fort belle, attribuée à un éditorial du New York Times et très largement diffusée, y compris par des personnalités diverses, qui était en fait… un commentaire sur le site du journal américain.
Le souci de la source s'est ici effacé devant le besoin de partager, de commémorer, de communier. On en recensera plusieurs, de ce même type, histoires erronées ou déformées, mais partagées en toute bonne foi par des dizaines de milliers d'internautes.
Aider à faire le tri
Face à ces mensonges, il nous a semblé important de ne pas négliger les réseaux sociaux. Inlassablement, durant toute la semaine, nous avons donc chassé ces canulars, pour mettre en garde les utilisateurs. Nous avons aussi taché de donner quelques " bonnes pratiques " pour éviter de se faire piéger. Ce qui n'a évidemment pas suffi à empêcher les rumeurs, bonnes ou mauvaises, de circuler, mais a pu aider une partie des internautes à faire le tri.
Quelles leçons tirer de cet épisode ? Sans doute que, si les réseaux sociaux transforment chacun d'entre nous en média, au sens de transmetteur de l'information, la responsabilité que cela peut impliquer n'est pas évidente pour tout le monde. Les réseaux virtuels ont des conséquences réelles. Et la presse aussi doit en tenir compte : on ne peut plus faire le pari de " ne pas nourrir le troll ", d'ignorer la rumeur : nous ne sommes qu'un canal parmi des millions d'autres. Et notre rôle doit être aussi de certifier la fiabilité de l'information et de combattre la rumeur.
Samuel Laurent
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com