Qui a vu Timbuktu, le film d’Abderrahmane Sissako sorti en 2014, se souvient de la scène hallucinante où les jeunes gens d’un village malien tombé aux mains d’un groupe islamiste jouent au football sans ballon, parce que les fanatiques ont interdit les jeux et traquent les ballons.
Se souvient aussi de l’arrestation et de la punition de femmes et d’hommes surpris en train de faire de la musique chez eux – parce que la musique est aussi strictement interdite. Et se souvient encore de la proscription de l’alcool, des fêtes et de toute forme de réjouissances imposée par les intégristes.
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Ces trois supposés « péchés » sont ceux que les assassins du 13 novembre ont châtiés par le massacre. Ils s’en sont pris au football et, par là même, à toute forme de jeu, quand trois d’entre eux ont attaqué le Stade de France. D’autres ont exécuté des femmes et des hommes parce qu’ils étaient aux terrasses des bars et dans les salles des restaurants d’un des quartiers les plus cosmopolites de Paris. D’autres enfin ont commis le carnage du Bataclan, durant un concert : « Des centaines d’idolâtres dans une fête de la perversité », dans la langue de Daech, qui a du moins le mérite de la clarté. A la logique de l’organisation matérielle des attentats répond leur cohérence si l’on peut dire intellectuelle : haine des plaisirs, haine des sens et donc, naturellement, haine des arts.
Le rejet de toute forme de « gaieté »
Ce programme n’est pas neuf. Entre les intégristes actuels de l’islam qui se réclament d’une lecture rudimentaire du Coran et les intégristes qui, jadis et encore aujourd’hui de temps en temps, se réclament d’une lecture rudimentaire de la Bible, il y a peu de différence. Au début du XVIIe siècle, en Grande-Bretagne puis en Nouvelle-Angleterre, les puritains ne supportaient aucune forme de plaisir charnel, s’habillaient en noir, haïssaient poésie et théâtre et rejetaient toute forme de « gaieté » – c’était leur mot pour sacrilège. Ils étaient aussi iconoclastes, comme l’étaient les premiers protestants au siècle précédent et comme le sont les destructeurs de Nimroud et de Palmyre.
Il appartient aux historiens et aux anthropologues d’analyser ces nihilismes qui se réclament des monothéismes. Il a appartenu à un réalisateur, Sissako, qui est né en Mauritanie, a vécu au Mali et en France et a signé un film contre le colonialisme – Bamako, en 2006 –, d’inscrire ce nihilisme dans ce que ce dernier déteste le plus, une forme artistique inoubliable. On se souvient aussi de la fin de Timbuktu : des villageois assassinés à la kalachnikov par les islamistes et une petite fille qui court pour échapper à leurs balles.
Philippe Dagen
Source : Le Monde Afrique
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