Nouvelles d’ailleurs : Un ami s’en est allé…

Un ami s'en est allé. Parti sur la pointe des pieds, sans rien dire, juste un homme, ses mots, son écriture, ses rêves, ses rires. Djibril Hamet Ly a tiré sa révérence. Et nous voilà, me voilà, face à ce départ, à apprendre l'absence, la brutalité de l'annonce, le sentiment d'impuissance, la peine, le deuil.

Un ami s'en est allé.

Depuis sa mort tout ou presque a été dit sur l'homme, son parcours de militant de la multiculturalité, son combat pour l'apprentissage des langues nationales, son écriture, la prison de Oualata, l'enseignement, le théâtre, la lutte sans fin pour les droits, pour la justice, pour ceux qui ont tout perdu pendant les années de sang, 1989/1990… Djibril était tout cela. Et il était tellement plus encore…

Profondément attaché à notre pays, en exil intime dans ce même pays. En exil de l'intérieur. Cet exil dans son propre pays qui a marqué, façonné sa vie. Qui donnera une couleur particulière à toutes ses actions. A ses mots.

Une connaissance pointue de nos sociétés et un rêve fou, lumineux : les couleurs de l'arc-en-ciel, la pluralité linguistique, les droits de ceux qui furent déportés, chassés, massacrés, dépouillés… Une Mauritanie qu'il rêvait multiple, respectueuse de ses différences et fière de ses richesses humaines.

Djibril Hamet Ly était tout cela. Et tellement plus encore…

Ce serait le caricaturer que de vouloir expliquer l'homme ; toute description serait imparfaite car comment parler d'un homme sans, obligatoirement, en dresser un portrait trop rigide ? Je n'ai pas envie d'écrire une chronique funèbre. Ce serait oublier l'humain. Et je tomberais dans le piège de faire, de Djibril, une statue sans vie, sans âme, juste un discours politique. Une icône.

Il n'était pas une icône. Il était un homme simple. Un homme, dans toutes ses perfections et imperfections, dans ses doutes et dans ses croyances, dans ses luttes quotidiennes, dans ses rires et ses coups de gueule. Il était cet homme qui faisait parler l'enfant-arbre, quelque part dans une salle de procès, face aux hommes. Il était cet homme qui déroulait le vide et la souffrance, enfermé à la prison de Oualata, à être spectateur de l'absurde et de la mort, à se coucher dans les mots, pour éloigner la folie et l'angoisse. Il était cet enseignant qui faisait se mourir de rire les enfants, en les faisant jouer une « chèvre de monsieur Seguin » réinventée.

Il était cet homme debout, à la faculté de Kairouan, emmitouflé dans sa parka à raconter ses rêves à des étudiants tunisiens attentifs. Il était cet homme qui récitait de la poésie en halpulaar, qui échangeait avec des jeunes arabisants, au Café Tunis, répondait, sans impatience, aux questions, moments d'échanges, partages, découvertes. Il était cet homme qui croyait en l'écriture, qui défendait les écrivains dans le monde et qui était le président de PEN Mauritanie.

Il était cet homme qui luttait pour que les Mauritanie se parlent. Se parlent, s'écoutent, s'ouvrent les unes aux autres, se respectent, se reconnaissent comme fils d'un même espace. Il disait que sans cette nécessaire réforme des esprits notre pays disparaîtrait, noyé dans l'idéologie et non pas dans les réalités. Il aimait les autres, profondément.

Djibril était mon ami, il est mon ami. Je le sais sur la route, là bas, dans ce monde d'ailleurs. Au revoir, l'ami. Viendras-tu me dire ce qu'il y a de l'autre côté, là où est le mot premier, celui dont je te rabattais les oreilles, celui que tout écrivain voudrait toucher du bout des doigts ? Puisses-tu trouver la Paix…

Tu me manqueras. Je me récite quelques uns de tes mots : « Oser oser / Oser regarder et voir / Écouter et entendre / Cogiter et comprendre / Aimer être aimé / Choisir agir / Lutter vaincre / Ose ! »

Que la terre te soit légère… Tu me manques.

 

Mariem mint Derwich

 

Source  :  Le Calame  (Le 22 octobre 2015)

 

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