La France déchue de son statut de terre d’accueil

Chaque homme a deux patries. La sienne et la France. " Flatteuse, la citation de Thomas Jefferson mériterait pourtant de se terminer autrement. L'actuelle crise migratoire montre que l'Allemagne a supplanté la France, devenant la destination de prédilection des demandeurs d'asile venus en Europe.

Lundi 7  septembre, le chef de l'Etat rappelait que 60 000 migrants demanderont en  2015 la protection de la France. Quelques jours plus tôt, l'Allemagne avait annoncé qu'elle étudierait 800 000 dossiers cette année. Soit treize fois plus.

Ce décrochage massif est un phénomène récent puisque " avant 2012, la demande d'asile en France était légèrement supérieure à celle enregistrée par l'Allemagne ", rappelle Gérard Sadik, spécialiste du dossier pour la Cimade. Cette année-là, en effet, l'Allemagne détrône la France et devient le pays le plus demandé en Europe. C'est aussi à cette époque que les Syriens arrivent plus massivement en Europe. " Outre-Rhin, le nombre de demandes commence à flamber à l'été et le seuil des 10 000 nouveaux dossiers déposés chaque mois est pour la première fois franchi. La France, elle, continue sur la même traîne, passant juste le cap des 5 000 demandes ", observe M. Sadik. Un ordre de grandeur qui reste vrai aujourd'hui, alors que les demandes ont continué à s'emballer en Allemagne pour dépasser les 30 000 par mois.

Samedi 12  septembre, quelque 9 000 réfugiés sont arrivés à Munich. Un record que Pierre Henry, le directeur de France Terre d'Asile, explique par la décision, rendue cet été, de la chancelière Angela Merkel de mettre entre parenthèses l'application des accords de Dublin 2 obligeant à renvoyer les demandeurs dans le premier pays d'Europe qu'ils ont foulé, c'est-à-dire majoritairement la Grèce et l'Italie. En jugeant injuste la charge imposée à ces deux pays, elle a rendu son pays plus attractif.

L'Allemagne distance la France

C'est bien autour de la question syrienne que l'Allemagne a distancé la France. Or, très vite, cette nationalité a constitué le gros des arrivées. De janvier à mai, les Syriens ont déposé un cinquième des dossiers examinés par les pays de l'Union européenne. Sur les 30 000 enregistrés comme réfugiés en Europe durant le premier trimestre 2015, plus du tiers (13 850) a opté pour l'Allemagne. Puis viennent la Suède (3 205), les Pays-Bas (2 800), le Danemark (2 025) et la Bulgarie (1 040). La France existe à peine pour cette population. En  2014, ils étaient seulement 2 072 à s'y installer avec ce statut.

" Historiquement, l'Allemagne a toujours été en pointe par rapport à la Syrie. En  2013 déjà, elle acceptait de relocaliser 20 000 Syriens quand la France disait “oui” à deux fois 500 ", rappelle M.  Henry. Ces chiffres, qui viennent s'ajouter aux demandes individuelles, ont permis la création d'une vraie communauté. Et les vagues suivantes ont fait le même choix afin de bénéficier de l'entraide communautaire.

Aujourd'hui, la France est descendue au 4e rang des pays d'accueil en Europe (derrière l'Allemagne, la Suède et l'Italie). Compte tenu de la courbe de ses demandes, elle pourrait même perdre encore quelques places cette année… En  2014, alors que les demandes d'asile au sein de l'Union européenne augmentaient de 44  %, qu'en Allemagne elles connaissaient un bond de 60  % et en Suède de 50  %, la France, elle, enregistrait une baisse de 5  %, selon l'agence Eurostat (de 2,4  %, selon les données françaises). Ce tassement est en soi faible, mais compte tenu de la flambée que connaissent les autres pays européens, l'écart avec les autres se creuse. C'est ce que prouvent les premières données 2015 puisque 33 000 demandes – seulement – ont été enregistrées, soit le même nombre qu'en  2014.

A l'explication structurelle du décrochage français par la nationalité des demandeurs, s'ajoutent des arguments qui valent pour tous les requérants. La santé économique de l'Allemagne, son besoin en main-d'œuvre dans les décennies à venir, compte tenu de sa démographie déclinante, sont des arguments pour des populations bien éduquées qui veulent s'intégrer rapidement, comme les Syriens.

A contrario, la France souffre d'un passif en matière d'asile. La durée de traitement des dossiers et le fort pourcentage de déboutés agissent comme un effet repoussoir sur ceux qui hésiteraient. " L'information circule. Les personnes en besoin de protection savent que les conditions de réception des demandeurs d'asile sont déplorables en France. Ils sont au courant que la procédure d'obtention du statut sera longue ; qu'elle pourra prendre deux ans ou plus et qu'ils ne seront peut-être même pas logés durant ce temps ", rappelle Philippe Leclerc, le représentant en France du Haut-Commissariat des -Nations unies pour les réfugiés. Même si le gouvernement s'est engagé dans un grand chantier pour héberger de plus en plus de -demandeurs et pour raccourcir les délais de traitements, les effets en sont encore -invisibles.

A ces informations déjà peu engageantes, s'ajoute le fort pourcentage de déboutés. Même si les Syriens ne sont pas concernés puisque 95  % d'entre eux obtiennent l'asile, les faibles taux d'obtention généraux sont rédhibitoires. Selon les mêmes statistiques européennes, la France n'a octroyé le précieux statut qu'à 28  % des demandeurs en  2014. Même si le taux d'acceptation des dossiers a crû début 2015 pour s'installer à 31  %, il reste inférieur de 13  points à la moyenne des pays européens. Et le bouche-à-oreille ne fait pas toujours le distinguo des résultats par nationalité. Si ce décrochage de la France ne chagrine pas tout le monde, il est grave. C'est en effet toute une part de l'" âme française ", de la tradition du pays, qui est en jeu.

Marilyne Baumard

 

Source : Le Monde

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page