Pèlerinage d’une autre nature

Je fis mon « Ihram » à l’aéroport, pas encore très international de notre capitale. Un malabar, s’est imposé, presque de force pour sortir mes valises, sur la distance de quatre mètres séparant le tapis roulant du control des douanes.

 

Et malgré la dérision de cette distance, il me demandait ensuite la coquette somme de dix mille ouguiyas pour cet effort presque dénué de peine. Un contrat imperceptible, mais incontournable-ment forcé.

Je ne sais pas quelle autorité se cache derrière l’autorité de ce porteur, mais sa manière d’imposer ses tarifs indique clairement que son dos est « fortifié » par un carburant de qualité.

Nouakchott a ses mystères et ses surprises qui surprennent le raisonnement. 

Nouakchott, que j’ai vu naitre, grandir, s’est mise un jour à s’étendre paresseusement sur cette étendue désertique, jusqu’à se muer en ce complexe tentaculaire, qui étend capricieusement ses bras vers tous les horizons. Nouakchott, n’est plus une ville, mais un dédale de labyrinthes qui se perdent dans la complexité anarchique et effrayante de l’infini.

Des quartiers, des boutiques des pressings, qui portent des noms qui sont tout sauf mauritaniens. Al Quds, Falouja, Riad, Dubaï, Kandahar, Kossovo, Abu Dhabi, Las Palmas, Madrid, Champs Elisée… des noms qui en disent long sur cette farouche volonté de notre citoyen à être toujours ce qu’il n’est pas… Et paraitre ce qu’il est loin d’être.

 Mes yeux inquisiteurs furent frappés surtout, par cette profusion virale de « cabinets « », surtout « dentaires ».

Les « dents-twist » semblent avoir trouvé leur filon de richesse, au sein de ces populations-cobayes, qui après avoir payé rien que pour franchir le seuil du médecin, vident la bourse ensuite, innocemment et sans rancune aucune, pour malmener leur denture, ou la perdre tout simplement.

Ce jour là j’eu la chance d’atterrir à Nouakchott, pour la première fois, en plein jour. Le soleil était encore haut dans le ciel et Nouakchott exhibait panoramiquement tous ses atours, comme une princesse, mal vieillie, mais fière de ce qu’elle ne pouvait qu’être.

La Turkish Airways qui nous amène d’Istanbul, avait tenu promesse et était à l’heure en ce jour.

Tout au long du parcours qui conduisait de l’aéroport vers ma vieille maison de Toujounine, j’inspectais le paysage. Un paysage qui ne change jamais.

Plusieurs années déjà, que j’ai quitté cette terre, les images figées sont restées les mêmes.

Toujours les mêmes boutiques : coiffeur, mécanicien, tailleur, crédit « cent pour cent », boutiquier, laveur de tapis, miyye-miyye, laveur de voiture, restaurant, blanchisseur etc.…

C’est à croire que chaque mauritanien n’avait pour mission première que de développer un commerce quel qu’en soit la nature et quel que soit l’importance du capital. La Baraka se cache dans les détails

 Un commerce de n’importe quoi et sur la base de n’importe quelle denrée. On se demande réellement qui est resté de la population, pour jouer le rôle de client.

Des lotissements obtenus avec difficulté et après d‘innombrables années d’attente, et dans lesquels on construit d’abord  et avant tout, une boutique, non seulement pour vider les frêles économies avoisinantes, mais aussi et surtout, pour conjurer le spectre affreux de la pauvreté.

Une boutique qui parfois prend l’allure drôle d’un abri orphelin qui inspire la pitié, tellement elle est détachée et semble isolée sur l’énormité de l’espace qui l’entoure. Le pénible effort de réalisation du propriétaire semble évidement éprouvant, mais visiblement tenace. Une boutique qui en fin de compte ne contiendra aucune marchandise et qui restera là dans l’attente d’un locataire éventuellement introuvable.

La société, quand a elle a subi de profonds changements. La politique et les politiciens ont fait des ravages substantiels dans les remparts de la tradition et la membrane de la cohésion sociale… ceux qui sont en prison se sont tu. Du moins provisoirement. Mais d'autres dinosaures de la vieille méthode continuent sous un habit apparemment inoffensif, à semer silencieusement la philosophie de la discorde.

Du coté du quartier-centre-ville administratif, tout le monde avait son dossier sous le bras.  Les mouvements enfiévrés de la population, allant dans tous les sens expriment plus que toute autre image, la préoccupation anxieuse de ces lendemains incertains, que tout mauritanien attend avec espoir et redoute à la fois avec un effroi stoïque.

Le surlendemain je décidais de visiter la ville à ma manière et selon ma vieille coutume. Je m’engouffrais dans  un semblant de taxi. A l’arrière du vestige de ce qui fut autrefois une voiture, je fus pris en sandwich entre trois  autres passagers. Le mot « surcharge » n’existe pas chez nous. Tant que « le ventre de la voiture », pouvait contenir un cure-dent, les passagers doivent se serrer. Exactement comme des sardines, sans piper mot. Le taximan reste toujours et sans contestation possible le maitre absolu de ces dangereuses randonnées.

A cote de mon bolide craquelant, roulait un pick-up, transportant trois chameaux, qui semblaient mastiquer un chewing-gum délicieux, indifférents, au lieu de leur destination finale, qui ne pouvait être que l’abattoir.

Les mendiants. Que de mendiants !!, qui se dressent sur la route aux feux de stop et qui vous obligent à donner une charité-impôt, à laquelle personne ne pouvait plus se dérober.

Les jeunes "Misqarou" semblent soucieux d'exhiber leurs tenues camouflées plutôt que de régler cette marrée de vieilles carcasses, qui bousculent sans ménagement tout sur leur passage. Il est bien mort le temps ou quelques mauritaniens se souciaient encore du code de la route.

Les ministères, plutôt bien gardés, semblent décidés à s’imposer par une distance flegmatique, pour contrôler à distance, sans se mouiller dans les ingrédients d’une situation sociale qui inspire la méfiance et suscite l’inquiétude. 

Le boubou à coté de la tenu européenne, semblent résumer ces profonds changements qui s’opèrent dans cette société unique dans sa mutation et dont l’accouchement semble générer bien des inquiétudes.

Autour de moi, mes Co-passagers devisaient bruyamment. Chacun voulant prouver aux autres qu’il était le détenteur des secrets les plus secrets de la cité et des intentions du gouvernement : Les pensées du premiers ministre, les rencontres personnelles du président, les gaffes des ministres la gabegie, le voyages de la première dame, et bien sur ce que nous sommes par rapport aux pays voisins. Nous sommes toujours meilleurs, à conditions de nous jauger par rapport « à la sous région ».

Mon voisin immédiat affirmait, poitrine bombée à l’appui que sur le bureau d’Ould Abd Aziz, les personnalités telles et telles, seront nommées aux postes de ministres au prochain « conseil ». Je fus impressionné par son éloquence et par la précision de ses sources. Il pourrait même avoir diné hier soir avec le chef de l’état  d‘après l’assurance de ses propos. Mais je fus consterné quand j’appris qu’il gérait une menuiserie à Bouhdida.

Un petit monsieur à la nature nerveuse, les sourcils froncés, saisit ces propos au vol, refusant de clore la conversation, lança : « Ce gouvernement va ruiner le pays. ».  Il nous informa ensuite des fougues ruineuses de grands responsables, qu’il connait personnellement qui passent leur temps à sillonner le globe, dépensant l’économie du pays dans les hôtels de luxe. C’est à peine s’il ne nous informait pas des intimités que ces responsables « vagabonds », chuchotaient intimement, tard dans la nuit sur le lit conjugal dans les oreilles de leurs épouses. Lui aussi était « homme d’affaires dans les bourses de Nouakchott. »

Les « bourses » de Nouakchott !! Quelle fertilité dans l’imagination !!

Je ne savais même pas que Nouakchott avait des bourses. Je conjuguais toujours cette ville au féminin.

Les discussions allaient prendre l’allure d’une campagne électorale, quand, al hamdulillah, le vieux tacot, toussotant et crachant ses trippes, nous vida aux abords du grand marché de la capitale.

Mon vieil instinct de nouakchottois, fut réveillé par l’odeur de foie grillé en plein air et au bord de la route. Je ne pu m’empêcher de me joindre au groupe de « Tajineurs », qui se goinfraient de ce met que les hommes les mains fouettant l’air disputaient nerveusement aux mouches voraces.

J’avoue sincèrement que jamais repas ne me fut si délicieux ni plus  sympathique ; ni le verre de thé d‘ailleurs tendu par ce garçon si gentil et qui faisait « mousser » son thé avec une précision aussi parfaite et une agilité magique.

Un verre bruni par les nuits et les jours, qui a circulé entre tant de mains et qui fut aspiré par tant et tant de lèvres, mais qui ne me provoqua aucune répulsion.

Voilà le secret de la Mauritanie, le délice de la simplicité, le partage de ce qu’il y-a entre les mains, protégés par une foi en Allah, qui fait fi des microbes, des bactéries et des balivernes scientifiques des temps modernes.

« Comme dit l’adage : Plutôt être pauvre et intègre, que riche et corrompu. »

Ici la mort ne fait peur à presque personne. Seuls ceux qui cachent des choses à faire baisser la tête devant le Bon Dieu, rechignent à faire le dernier voyage. Et comme disent les mauritaniens « mourir avec dix autres personnes est une sinécure. ».

Je terminais ma circumambulation nostalgique autour du grand marché, passant par l’école qui portait son nom et dans laquelle je fis mon primaire. Il parait d’après les compagnons de voyage qui m’accompagnaient tout à l’heure, que ma vieille école était exposée à la vente. Je me demande sérieusement, qu’est ce qui n’était pas encore à vendre dans ce monde mouvant.

Je dois aller encore loin vers le sud, pour m’enquérir de l’état de mes vaches. Le temps presse. Je passerai, comme d’habitude quelques jours dans mon « Mbar » en bois, que je préfère à tous les hôtels du monde. Je discuterai avec des pauvres, beaucoup plus riches que les grands de ce monde. Je boirai le thé avec Ahmed Salem le berger, dans son matériel modeste à thé et que je lui avais donné il y-a une dizaine d’années. J’aurai envie de lui demander de me passer sa pipe de « moneygé », façonnée dans un os de mouton. Je me retiendrai certainement, car cela fait une vingtaine d’années, que j’ai échappé miraculeusement à cette vieille et mauvaise habitude.

Je visiterai le cimetière du village, le vendredi suivant. Je sais que ma mère a hâte de m’entendre réciter la Fatiha sur sa tombe et sourire de ses profondeurs e me savoir de retour. Connaissant son fils, elle savait que je ne pouvais ne pas revenir.

Je retournerai ensuite au milieu du monde « civilisé », étant convaincu encore une fois, que la vraie civilisation se trouve ailleurs…Et que la Mauritanie a ses valeurs que la valeur ne connait pas.

Mohamed Hanefi

Rosso

 

(Reçu à Kassataya le 4 septembre 2015)

 

 

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