Troisième sommet de la Grande Muraille verte : pessimisme de raison et optimisme de volonté pour un projet ambitieux

Kassataya – (Paris) – Les lampions se sont éteints sur le troisième sommet des chefs d’Etat de la Grande Muraille verte tenu à Nouakchott (Mauritanie) le 27 juillet 2015. L’idée de créer une Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte est apparue il y a 8 ans, avec pour objectif de « lutter contre les effets du changement climatique et de la désertification ainsi que la perte de biodiversité, afin d'engendrer des impacts socio-économiques hautement positifs sur les populations et d'assurer la gestion durable des ressources naturelles et le développement intégré des zones arides ciblées ».

Elle consiste en la mise en place d’une ceinture verte longue de 7000 km et large de 15 traversant l’Afrique dans le sens de la largeur du Sénégal à Djibouti. Le projet intègre également l’aménagement de bassins de rétention pour recueillir les eaux de pluie. Un premier cycle quinquennal 2011-2015 est en cours d’achèvement avec des résultats mitigés.

Résultats en demi-teinte et voix de Cassandres

Si l’on se fie au communiqué final du troisième sommet ordinaire, le projet a encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre les objectifs qu’il s’est assignés. Outre la reconduction du Mauritanien M. Mohamed Ould Abdel Aziz comme président en exercice, le sommet a entériné « le recrutement, après cinq ans d’exercice, d’un Secrétaire Exécutif, pour un mandat de trois ans renouvelable une fois ». Les chefs d’Etat ont également décidé de maintenir le « niveau actuel de la contribution statutaire des Etats, en attendant l’audit des comptes financiers de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte ». Enfin, le sommet a accepté une proposition introduite par la délégation soudanaise consistant à mettre en place une « banque carbone » dont les revenus pourraient servir au financement partiel du projet notamment en matière de lutte contre la pauvreté et les changements climatiques. Pour en faciliter l’exécution, le Soudan se propose d’organiser un séminaire de formation à l’intention de l’agence et des Etats membres.

Autant dire qu’il n’y a pas eu de quoi atténuer les réserves régulièrement émises par des spécialistes des questions environnementales au sujet des lenteurs dans l’exécution du projet. C’est le cas notamment de M. Patrice Burger, directeur du CARI (Centre d'action et de réalisation internationale) et représentant des ONG au sein de la Convention de la lutte contre la désertification de l'ONU. S’exprimant sur les ondes d’une radio internationale[1] à l’ouverture du sommet, M. Burger se faisait l’écho de l’impatience des populations. De son point de vue, « l’action qui est attendue par tout le monde notamment par la population qui vit dans cette zone n’est toujours pas au rendez-vous. Quand est-ce que l’action commencera de manière significative dans l’ensemble des pays et avec quels moyens ? Les moyens pour mettre en œuvre cette initiative sont loin d’être confirmés ni par les financements nationaux ni par les financements internationaux des organisations internationales ou de la coopération bilatérale ». M. Burger ne se montre pas plus enthousiaste au sujet des réalisations de l’Agence de la Grande Muraille Verte : « Il ya des actions qui ont été menées strictement sous l’égide de la Grande Muraille Verte par exemple au Sénégal des actions de reboisement. Les scientifiques de l’IRD ont participé à la sélection des espèces arborées les plus pertinentes en terme de reboisement. A ma connaissance il n’y a pas un bilan objectif comptable et vérifiable qui existe sur l’ensemble des pays bien qu’il y ait eu des actions qui ont été soit nouvelles, tentées au nom de la Grande Muraille Verte soit d’autres qui ont été labélisées Grande Muraille Verte ».

Faut-il dès lors désespérer du projet ? Le chercheur modère son propos : « Il ne s’agit pas que de planter. Il s’agit de permettre à des populations de vivre. Nous sommes dans une des régions du monde les plus peuplées et les plus pauvres. Donc, si ces populations, à travers cette initiative, ne trouvent pas un moyen d’améliorer leurs conditions de vie, ce n’est pas uniquement la plantation des arbres qui leur permettra de rester [chez eux]. Donc il faut trouver des actions de développement qui intègrent les questions d’agroforesterie, d’agroécologie, de pastoralisme ;  c’est-à-dire les activités qui permettent aux populations de vivre sur place. Chaque pays doit voir de quelle manière il peut décliner l’initiative de la grande muraille verte qui va bien sur son territoire… ».

En outre, le projet souffre d’une situation qui compromet en partie sa pleine réalisation et qui a trait à la gouvernance des pays concernés. M. Burger poursuit : «… Ce qui s’est passé par exemple au Mali avec les mouvements fondamentalistes, ce qui se passe au Nigéria avec des débordements sur le Cameroun, tout cela n’aide pas à une décision sereine sur la mise en place d’activités techniques qui impliquent les populations. Il y a aussi la question du financement. Pour que le financement international arrive et soutienne [l’initiative], il faut aussi que les pays commencent à travailler avec leurs propres moyens sur le terrain. Si tout le monde attend que l’initiative prenne à bras le corps les activités à mettre en œuvre on va passer son temps à s’attendre. Maintenant qu’on a une stratégie et une vision rien n’empêche de lancer l’activité… »

D’autres sont plus sévères, allant jusqu’à douter de la pertinence et de la viabilité du projet de la Grande Muraille Verte. Dès l’officialisation de la mise en place du projet en juin 2010 à Ndjamena, le Pr Bied-Charreton n’avait pas de mots assez durs pour exprimer tout le pessimisme que lui inspirait la Grande Muraille Verte. Il jugeait l’idée « totalement incongrue » et, jouant les Cassandres, soutenait que « Ce qui progresse, c’est la dévégétalisation des sols », et que par conséquent « il faut protéger l’ensemble des sols et non pas construire des barrières de ce type qui sont vouées à l’échec » parce que « d’abord, un projet d’une telle ampleur n’est  pas réalisable. De plus, les grands barrages verts ont toujours échoué. L’Algérie s’y est essayée il y a trente ans et les populations n’ont pas adhéré. Cela ne peut pas fonctionner si l’on fait intervenir les administrations, voire même des militaires pour végétaliser de grands territoires. Au contraire, il est indispensable de faire participer les habitants. » Il préconise donc la mise « en place d’une agriculture durable pour protéger les sols, c’est-à-dire cesser de laisser les terres à nu pendant six mois de l’année, limiter les labours, mettre en place des rotations de culture, diminuer les recours à l’engrais… Pour les sols qui ont perdu leur fertilité, il faut engager des actions de reboisement »[2].

En face, Candides ou résolument optimistes

Malgré la violence des charges, les partisans du projet de la Grande Muraille Verte ne se laissent pas démobiliser. Un universitaire sollicité par KASSATAYA.COM trouve que l’attitude du Pr Bied-Charreton « est typique du donneur de leçon qui s’exprime sur un sujet sans prendre le temps de se renseigner. Sur quoi se fonde-t-il pour prédire qu’un tel projet n’est pas réalisable ? Sa méthode qui consiste à user de la dérision pour tourner au ridicule le projet est au mieux un manque d’élégance intellectuelle au pire de la condescendance. Or, le projet dispose d’un comité scientifique qui en a étudié la faisabilité et qui a organisé à Dakar en février 2009, le Colloque scientifique international sur le choix des espèces végétales et des systèmes de mise en valeur et de suivi… D’autre part, ce qu’il affirme au sujet de l’implication des populations et de la nécessité de reboiser n’est pas incompatible avec le projet. Bien au contraire, ces éléments sont intégrés au projet. Mais encore fallait-il que le Pr sache de quoi il parle avant de jouer les donneurs de leçons».

A ceux qui reprochent au projet d’être trop ambitieux tout en se demandant s’il est raisonnable d’y croire ? M. Burget répond  que « Plutôt que raisonnablement il faut résolument y croire. Et c’est peut-être dans l’intensité de la résolution d’y croire que se trouve la solution, c’est-à-dire que l’Afrique se prenne véritablement en mains, sur ce projet. Parce qu’il n’y a pas d’alternative en réalité. On estime que de ces régions, il pourrait sortir d’ici 2050 45 millions de personnes en termes de migrants. Donc il faut savoir ce qu’on veut. Soit on est capable de prendre le taureau par les cornes et d’agir sur le terrain et d’offrir un minimum d’avenir à ces populations soit il faut d’ores et déjà préparer leur venue dans tous les ailleurs où bien sûr personne ne les attend ».

De son côté, M. Ibrahima Thiaw, Directeur Exécutif Adjoint du Programme des Nations Unies pour l’Environnement a, dans son discours lors de l’ouverture du troisième sommet de l’Agence de la Grande Muraille Verte, fait un vibrant plaidoyer en faveur de la Nature tout en apportant un soutien sans réserve au projet qui est, selon lui, « l’initiative la plus innovante et la plus ambitieuse menée par des Etats Africains, en vue de la restauration des écosystèmes dans le Continent ». Ce spécialiste des questions environnementales ne se laisse pas décourager par les pessimistes qui prêtent au projet une ambition démesurée : « Oui, il s’agit d’un projet ambitieux, un rêve, pour les plus critiques. Mais ne fallait-il pas de l’ambition et plus qu’un rêve pour construire les pyramides d’Egypte? Qui avait fourni l’assistance financière aux pharaons pour réaliser, à partir de la troisième dynastie, ces ouvrages extraordinaires que l’Homme moderne a encore du mal à reproduire? Comment l’Ethiopie d’aujourd’hui pourtant considérée parmi les pays les moins nantis a-t-elle pu se mobiliser et réaliser la construction, sur fonds propres, de son plus grand projet d’infrastructure? Comment l’Afrique va-t-elle réaliser sa vision 2063, si ce n’est par une volonté affirmée, voire l’ambition et la détermination ? »

Le numéro deux du PNUE va plus loin. Selon lui, face à l’érosion des ressources naturelles dont dépendent le développement durable et la survie des peuples, il n’y a pas de meilleure alternative que cette mobilisation qui pour être ambitieuse n’en est pas mois réalisable. « Pourquoi est-il non seulement éthiquement impératif, mais économiquement indispensable, de conserver la nature? Parce que la Nature est la meilleure assurance du peuple contre la faim et la maladie. C’est en effet la nature qui produit les poissons que nous consommons, pas le Ministère des pêches. C’est la Nature qui fournit la viande et le lait, pas le ministère de l’élevage. C’est la Nature qui attire les touristes vers nos paysages magnifiques, pas le ministère éponyme. C’est la Nature qui fournit l’eau, pas le département de l’hydraulique. La liste des services fournis par nos écosystèmes est longue. Le Programme de la Grande Muraille Verte a pour ambition de perpétuer ces services pour les générations actuelles et futures. La restauration des écosystèmes, activité à haute intensité de main d’œuvre, crée des millions d’emplois en milieu rural, notamment pour les femmes et les jeunes, fixant ainsi les populations dans leurs terroirs d’origine et leur offrant des perspectives économiques à court et long termes ».

Et parce que « dormir sur la natte des autres, c’est comme dormir par terre » (Joseph Ki Zerbo), M. Thiaw propose aux Africains de dormir sur leur natte faite de leurs richesses naturelles. Il suggère à l’Agence Panafricaine d’explorer trois pistes. D’abord celle des énergies renouvelables, notamment le vent et le soleil dont le coût de mise en valeur est devenu compétitif et qui ont l’avantage d’être modulables selon les besoins. Ensuite repenser l’agriculture en mieux valorisant le pastoralisme mieux adapté aux zones arides et semi arides et qui offre plus d’opportunités de « travailler avec la nature plutôt que contre elle ». Enfin, valoriser les petites et moyennes agricultures. Et parce qu’il « faut aller ensemble pour aller loin », M. Thiaw réitère l’engagement du système des Nations Unies à accompagner l’initiative de la Grande Muraille Verte en vue du développement durable des onze pays qu’il regroupe.

Par ailleurs, d’autres partenaires ont exprimé leur volonté d’accompagner l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte. S’exprimant au nom des partenaires techniques et financiers en lieu et place de M. Donald Kaberuka, président de la BAD, le représentant résidant de la Banque Africaine de Développement au Sénégal M. Mamadou Lamine Ndongo a rappelé que « La BAD est d’avis que les crises récurrentes que vit le Sahel sont de nature structurelle et requièrent pour y faire face la réalisation d’investissements structurants et transformateurs en vue, d’une part, de restaurer la viabilité des écosystèmes naturels ; et d’autre part, d’assurer la résilience des populations aux effets du changement climatique et de la sécheresse en particulier, en leur donnant les moyens de résister par elles-mêmes aux aléas et aux chocs ».

Bien loin de se laisser gagner par le pessimisme, M. Ndongo s’est dit heureux de relever « la volonté politique forte et l’engagement ferme des leaders de la région sahélo-saharienne» qui se concrétise à travers la mise en commun de leurs actions pour relever les défis environnementaux et de développement auxquels ils font face. De son point de vue, l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte en est l’illustration. M. Ndongo ne doute pas de la pertinence de l’initiative qui constitue selon lui un lien écologique entre l’Ouest et l’Est du continent africain. Le représentant de la BAD ne se laisse pas convaincre par les contempteurs d’un projet qu’il juge adapté aux enjeux et à la situation en ce sens qu’il propose « aux populations des alternatives crédibles de développement, aptes à améliorer de manière durable  leurs conditions de vie ». Pour laisser à l’initiative toutes ses chances, M. Ndongo suggère quelques idées : (i) la clarification des rapports opérationnels entre l’Agence Panafricaine et la Commission de l’Union Africaine, (ii) une meilleure prise en compte de l’Agence dans les stratégies nationales et (iii) une plus grande coordination avec les projets en cours au Sahel et dans la Corne de l’Afrique pour mieux intégrer la relation entre sécurité, stabilité et développement.

En dernière analyse, l’ampleur du débat autour de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte montre l’intérêt que la communauté scientifique et les partenaires techniques et financiers accordent à une initiative dont les Africains et les écologistes du monde entier attendent beaucoup. Les espoirs qui sont fondés sur le projet sont à la mesure des risques de déstabilisation que recèle la fragilisation des écosystèmes sahélo-sahariens. En se lançant dans une initiative aussi ambitieuse, les leaders des 11 pays membres de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte ont choisi de ne pas écouter les sirènes alarmistes et démobilisatrices, faisant leur cet aphorisme d’Alain : « le pessimisme est d’humeur, l’optimiste est de volonté » qui fait écho à Gramsci : « Il faut opposer au pessimisme de la raison l’optimisme de la volonté ». Le sort de millions de Sahéliens reste résolument suspendu à la volonté de leurs dirigeants politiques.

 Abdoulaye Diagana pour KASSATAYA

 


[1] RFI, invité Afrique du 27 juillet 2015. Consulté le jour même au lien suivant http://www.rfi.fr/emission/20150727-projet-grande-muraille-verte-sommet-nouakchott-mauritanie-patrice-burger/

[2] Source terraeco consulté le 27 juillet 2015 à l’adresse suivante : http://www.terraeco.net/La-Grande-Muraille-Verte-du-Sahara,11081.html

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