Fièvre Ebola : les graves manquements de l’OMS

Des experts proposent la création d'un centre de " préparation " et de " riposte aux situations d'urgence ".

L'épidémie d'Ebola, qui sévit en Afrique de l'Ouest depuis près de seize mois, la plus longue et la plus meurtrière depuis la découverte du virus en  1976, a révélé les failles du système de santé mondiale. Dans un rapport publié mardi 7  juillet, un comité d'experts indépendants dresse un réquisitoire sévère de la riposte à l'épidémie, ciblant non seulement l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi la réponse internationale des Etats.

Ce bilan, assorti de nombreuses propositions de réformes, mené sous la présidence de Barbara Stocking, ex-directrice générale d'Oxfam Grande-Bretagne et présidente du Murray Edwards College de l'université de Cambridge, intervient alors que l'épidémie de fièvre Ebola est loin d'être terminée. Pire, la bonne nouvelle que constituait l'annonce par l'OMS, le 9  mai, de la fin de l'épidémie au Liberia, n'est plus d'actualité.

Le pays est de nouveau -confronté au virus. Dans le comté de Margibi, à l'est de la capitale Monrovia, deux nouvelles personnes ont été testées positives, le 1er  juillet, parmi les relations d'un adolescent de 17  ans tombé malade le 21  juin et décédé le 28  juin. " Depuis le retour d'Ebola, les autorités ont réactivé le système de surveillance dans les quinze comtés du pays, et 133 contacts identifiés sont suivis quotidiennement ", explique le docteur Alex Gasasira, responsable de l'OMS pour le Liberia.

Pour le moment, aucune explication sur l'origine de la contamination n'a été fournie. Mais le retour d'Ebola dans ce pays qui a payé le plus lourd tribut à la maladie, 4 806 morts pour 10 666 cas, n'est pas étonnant. " Avec les pays voisins où le virus est toujours actif, on pouvait difficilement exclure qu'il y ait à nouveau des cas ", témoigne Nicoletta Bellio, chargée de mission pour Médecins sans frontières (MSF) au Liberia.

A l'ouest de ce petit pays, le virus continue en effet de se propager. Selon l'OMS, plus de vingt cas nouveaux apparaissent chaque semaine, depuis la fin du mois de mai, en Sierra Leone et en Guinée. Depuis le début de l'épidémie, en mars  2014, la maladie a tué 11 235 personnes, sur plus de 27 500 cas.

Autant dire que la mobilisation internationale ne s'est pas traduite par la fin d'Ebola. C'est ce qu'essaye d'analyser le rapport des experts, sollicité par le directeur général de l'OMS, le docteur Margaret Chan, pour " évaluer tous les aspects de l'action menée depuis le début de la flambée de maladie à virus Ebola ".

Failles et lacunes

" Failles organisationnelles dans le fonctionnement de l'OMS ", " lacunes dans le Règlement sanitaire international – datant de 2005, il organise la sécurité sanitaire mondiale – ", comportement nuisible de certains Etats… le bilan tiré par les six experts indépendants est sévère.

Première cible, l'OMS, incapable d'apporter une réponse d'urgence. Les rapporteurs rappellent le retard avec lequel l'agence des Nations unies a déclaré l'épidémie comme une " urgence de santé publique de portée internationale ". La déclaration avait été faite début août  2014, alors que MSF, en première ligne depuis le début de l'épidémie, alertait la communauté internationale depuis plusieurs semaines.

Selon les experts, ce retard -" important et injustifiable " a -résulté, notamment, " de la crainte de heurter les gouvernements ". " L'OMS a une culture normative, peu accoutumée à -gérer des actions d'urgence d'une telle ampleur et d'une telle durée, dans plusieurs pays et simulta-nément ; elle n'est pas non plus adaptée lorsqu'il s'agit d'interpeller ses Etats membres. "

Retard, " mauvaise qualité des partenariats avec les autres parties prenantes ", formation insuffisante de personnels peu habitués aux situations d'urgence, mauvaise communication, le tableau est sombre. " C'est en matière de coordination de crise et de leadership que les compétences -pèchent le plus, et il faut combler ces lacunes ", expliquent les rapporteurs, qui prônent un changement de culture et de procédures de l'organisation.

Les experts proposent la création d'un " centre OMS pour la préparation et la riposte aux situations d'urgence ", qui fusionnerait deux domaines de travail, " aujourd'hui distincts " : la lutte contre les flambées épidémiques et l'action humanitaire. Ce centre, doté d'un conseil indépendant, serait sous la responsabilité directe du directeur général de l'OMS, et le chef du centre disposerait d'une " pleine autorité -opérationnelle ".

Les experts proposent aussi qu'en cas de crise majeure un " représentant spécial " soit nommé par le secrétaire général des Nations unies. Au-delà, ils estiment que c'est à l'OMS qu'il incombe toujours de diriger la politique sanitaire internationale. " L'OMS doit rétablir sa prééminence en tant que protecteur de la santé mondiale, proclame le rapport, mais cet objectif exige des changements -significatifs. " Il nécessite aussi des moyens plus importants.

Violation du règlement

Deuxième cible : les Etats. Les -experts mettent l'accent sur les nombreuses erreurs commises par la communauté internationale, notamment les baisses de subventions à l'agence, qui a vu son " pouvoir d'achat reculer d'un tiers depuis 2000 ". Les Etats membres doivent, à l'occasion de l'Assemblée mondiale de la santé de 2016, " envisager de passer de la politique de croissance zéro à une hausse de 5  % des contributions fixées ". Les experts demandent aussi aux pays de contribuer à financer le fonds de réserve pour la riposte aux épidémies, annoncé à 100  millions de dollars (90  millions d'euros).

Beaucoup de gouvernements n'ont pas respecté le Règlement sanitaire international. " En violation du Règlement, près d'un quart des Etats membres ont institué des interdictions de voyage et d'autres mesures non préconisées par l'OMS ", soulignent les rapporteurs, qui proposent d'envisager des procédures de sanction devant le Conseil de sécurité des -Nations unies.

L'OMS a accueilli favorablement les propositions des experts. " De nombreuses recommandations font écho à ce que nous avions déjà expertisé et mis en chantier, et nous allons les étudier précisément ", assure Richard Brennan, chargé de la réponse à Ebola à l'Organisation mondiale de la santé.

Rémi Barroux

 

Source : Le Monde

 

 

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