Malgré les effusions de joie, je trouve que l’exhumation de Thomas Sankara est une mauvaise chose. L’urgence est ailleurs que dans la réouverture précipitée d’un dossier douloureux et complexe. « La paix est l’œuvre de la justice », disait Jaurès.
Il est donc important, qu’un jour, toute la lumière soit faite sur la mort de l’icône Sankara. C’est, certes, important dans le processus de réconciliation nationale qui doit aboutir, mais nullement aujourd’hui une nécessité cruciale pour le pays.
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Le gouvernement de transition doit se fixer un agenda clair, celui de gérer, justement… la transition et de s’atteler à organiser des consultations électorales transparentes, justes, équitables et inclusives après trois décennies de chape de plomb. Le duo Kafando-Zida a une mission : celle de la préparation d’un processus électoral pour sortir rapidement du régime d’exception dans lequel se trouve le pays.
Chercher la vérité sur la mort de Sankara est un acte louable. Identifier les coupables et les punir est une nécessité historique. La jeunesse qui s’est érigée contre le projet de modification constitutionnelle de Blaise Compaoré en 2014 s’est d’ailleurs indéniablement identifiée à ce héros national, son intégrité, son histoire et son projet politique. Mais identifier le véritable locataire de la tombe supposée de Sankara ne peut constituer une urgence pour un pays gisant dans les profondeurs de tous les classements en matière d’indice de pauvreté.
Pourquoi cet empressement ? Le temps de la justice n’est guère celui du politique, ni de l’opinion. Evidemment, la responsabilité de Blaise Compaoré sur l’affaire Sankara devra un jour être située. Bien sûr, la version officielle alléguant une « mort naturelle » de Thomas Sankara est une ineptie et une insulte à la conscience. Nécessairement, la réconciliation nationale au Burkina Faso passe par la lumière sur tous les crimes supposés ou réels de l’ancien régime.
L’affaire Norbert Zongo, aussi, mérite d’être remise sur la table. Un pays ne peut raisonnablement avancer dans la voie de la démocratie, du pardon et de l’apaisement avec de si gros points noirs jalonnant son parcours. Mais je persiste : exhumer Sankara n’est pas une urgence à l’heure actuelle. Thomas Sankara fut un rendez-vous manqué pour le continent. Ses quatre années de gouvernance ont constitué un marqueur fort du mode de gestion du pouvoir en Afrique. Mais le « muséifier » n’est pas lui rendre service, ni honneur. Un devoir d’inventaire – souvent difficile à avoir en Afrique – s’impose. L’inventaire des réalisations de l’homme, du président, et de l’icône.
L’héritage de Sankara, c’est aussi et avant tout de nombreuses questions qui brûlent encore l’actualité de l’Afrique, notamment le néocolonialisme, la démocratie participative, la place de la femme, l’économie autogestionnaire, le rôle et le poids de la chefferie traditionnelle dans une démocratie, la gestion des deniers publics, etc. Ces débats méritent d’être posés, au Burkina et sur tout le continent. Que vaut le sankarisme à l’ère du XXIe siècle, de ses avancées démocratiques, des réseaux sociaux ou encore des nouvelles revendications de la jeunesse ?
Exhumer les thèmes phares de Sankara dans l’optique de la construction d’un Burkina nouveau est nécessaire. Exhumer le corps de Sankara pour satisfaire une bande de curieux ou conférer un semblant d’héroïsme à ses auteurs est indécent et n’honore personne en Afrique.
Hamidou Anne
est membre du think tank L’Afrique des Idées
Source : Le Monde Afrique
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