Confusion après un coup d’Etat au Burundi

Elles portent des lunettes de soleil sexy, des jeans slim, de petits hauts ravissants. Il y a, aussi, des femmes intégralement voilées. Elles crient, elles chantent. Ce sont en majorité des femmes de la classe moyenne ou supérieure burundaise.

Mercredi 13 mai, à Bujumbura, elles sont descendues dans la rue. Et ce n’est pas une promenade. Dans le centre de la capitale, elles font maintenant face à la douche du canon à eau, à des tirs de gaz lacrymogènes. Mais, contrairement à toutes les prévisions, elles tiennent, font face à la police.

Depuis plus de deux semaines, on manifeste quotidiennement dans la capitale contre l’intention de Pierre Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat lors de la présidentielle du 26 juin. Le gros de la contestation s’est concentré dans les quartiers populaires avant de gagner progressivement les parties plus riches de la capitale.

Lire aussi : Que se passe-t-il au Burundi ?

Ce mercredi, c’est l’instant de vérité. Les femmes de ce mouvement « anti troisième mandat » se sont donné pour objectif de manifester dans le centre-ville, et d’y être rejointes par les manifestants des quartiers périphériques. Ce serait une première. Pour y parvenir, elles se sont glissées par tout petits groupes dans le quartier bouclé. Rendez-vous à 10 heures précise devant un hôtel, où elles sont accueillies par des tirs de lacrymogènes. Elles se mettent à courir, mais ne quittent pas le centre-ville.

Une vingtaine de morts

Voilà le début d’une folle journée qui précipite le Burundi dans l’inconnu. Depuis le 26 avril, alors que le reste du pays est calme, plusieurs quartiers de Bujumbura sont au bord de l’insurrection. Jets de pierres, barricades, tirs de la police constituent désormais leur quotidien. Il y a déjà eu une vingtaine de morts, surtout parmi les manifestants. Mais aujourd’hui, les organisateurs des manifestations veulent frapper un grand coup. A Dar es-Salaam, en Tanzanie voisine, les chefs d’Etat de la région sont réunis en sommet pour tenter de trouver une solution à la crise au Burundi.

Des cortèges de manifestants d’une taille inédite se sont formés dès l’aube à Musaga, Kanyosha, Ngagara, destination le centre-ville. Des milliers et des milliers de manifestants affrontent la police, le corps des forces de sécurité le plus loyal au président Nkurunziza. Il y a de nombreux blessés. Entre Musaga et le centre, sur la route nationale 7 (RN7), les manifestants saisissent des kalachnikovs. « Les policiers les ont abandonnées en fuyant. Mais nous les avons remises aux soldats. Nous ne sommes pas en combat », explique un manifestant alors que les tirs se multiplient.

Le centre-ville est alors imprenable. Les colonnes de manifestants refluent sous les tirs de lacrymogènes, de grenades incapacitantes (alors qu’elles manquaient quelques jours plus tôt) et de coups de feu. En fin de journée, on relèvera 3 morts et plus de 60 blessés, un bilan provisoire.

Enorme flottement

Et puis, quelque chose se produit. Sur Isanganiro, une des seules radios privées qui émet encore, le général Godefroid Niyombare, ex-chef d’état-major, ex-responsable des services de renseignement, annonce que Pierre Nkurunziza est renversé.

 

Le président est en dehors du pays, en Tanzanie, pour le sommet régional. Un énorme flottement s’ensuit. Les cordons de défense des forces de sécurité autour du centre de Bujumbura semblent hésiter, puis céder peu à peu.

Le général Niyombare a fait partie de l’élite de l’ancienne rébellion, devenue le parti au pouvoir en 2005, le CNDD-FDD. Il a été un proche de Pierre Nkurunziza. Mais récemment, il a rejoint le groupe des « dissidents », opposés au sein du CNDD-FDD au troisième mandat.

Les événements s’enchaînent vite, alors. Profitant de ce moment suspendu, les manifestants poussent vers la Radio-télévision nationale burundaise (RTNB), proche de la place de l’Indépendance, dans le centre-ville. Prendre la RTNB, c’est le seul moyen de parler à l’ensemble du pays. Ce qui suppose une forme de coordination entre les différents éléments impliqués. Or, la RTNB est sous contrôle de forces loyalistes.

Sur le boulevard qui y mène, c’est un fleuve humain. Les policiers, leurs ennemis jurés, se sont évanouis dans la nature. L’armée, qui est restée sur sa réserve depuis le début de la contestation, agit. Des renforts loyalistes arrivent pour tenir la RTNB. On tire au-dessus de la tête des manifestants. En chantant, les manifestants avancent comme une masse compacte. Si l’armée tire, il y aura un carnage dans le centre de Bujumbura. Les hommes en arme discutent, se disputent. Finalement, ils ne tireront pas et s’accordent avec la foule. Personne ne passera, « de peur des pillages », justifie un officier.

« Mise en garde pour n’importe quel président »

La nouvelle se répand dans toute la ville. Les manifestants célèbrent déjà ce qu’ils pensent être leur victoire. Un garçon, venu de Kanyosha, à dix kilomètres de là, explique sa foi dans l’option du coup d’Etat : « On n’allait pas se chamailler avec les militaires. C’est eux qui ont fait tout le boulot. » Les contestataires entonnent l’hymne national. Il y a de l’euphorie, une explosion de déclarations : « Regardez, il n’y a pas de question d’ethnie ici, il y a des Hutu et des Tutsi. » A côté, un homme ajoute : « Hé, il y a aussi des Twa » (le troisième groupe ethnique du Burundi). « Ce qui vient de se passer est aussi une mise en garde pour n’importe quel président de ce pays », explique-t-il.

Cette liesse, comme ces analyses, sont prématurées. Les différentes composantes de l’armée sont entrées dans une réunion secrète de plusieurs heures pour tenter de trouver une solution à la crise. Les discussions se passent mal. Des unités sont opposées à une solution excluant Pierre Nkurunziza. Dans la nuit, les négociations échouent. Le chef d’état-major, le général Prime Niyongabo, se rend à la radio nationale pour y déclarer que « la tentative de coup d’Etat sous la conduite du général Godefroid Niyombare a été déjouée ». Il appelle « les mutins à se rendre ». Une bonne source note sombrement : « Alors les différentes parties vont se battre dans Bujumbura. »

A la première lueur de l’aube, des tirs retentissent. D’abord aux abords de la RTNB. Puis, sporadiquement, dans d’autres quartiers. Cette fois, Bujumbura et le Burundi basculent dans l’inconnu.

 

Jean-Philippe Rémy (Bujumbura, envoyé spécial)
Correspondant régional Afrique, Johannesburg
 
 

Source : Le Monde

 

 

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