HISTOIRE – Lors de ma récente visite en Pologne, plusieurs choses m'ont profondément choqué, marqué ou interpellé.
L'antisémitisme et la xénophobie qui caractérisent beaucoup de Polonais; les quelques croix gammées que l'on voit sur quelques murs de Varsovie, les figurines de juifs vendus sur les étals du marché des souvenirs et les juifs en porte-clés, un porte-bonheur paraît-il.
La visite du camp d'Auschwitz, évidemment, ébranle n'importe quelle personne qui revoit, photos, vêtements, valises, chaussures, ustensiles et même cheveux ayant appartenu aux victimes; l'on constate alors au bout de huit heures de visite dans ces camps de concentration et dans ces camps de mise à mort cette folie meurtrière qui a sévi dans ces lieux au nom de l'idéologie nazie, de son antisémitisme et de ses idées suprématistes.
Auschwitz I et Auschwitz Birkenau sont deux lieux qui ne concernent pas seulement les juifs. Ces lieux de mémoire et d'histoire concernent et interpellent l'humanité. Ces endroits interrogent aussi les religions à une époque où le fanatisme de certains hommes (et de femmes) continuent de tuer au nom de Dieu. Ils bouleversent notre être et nous montrent à quel point la haine de l'Autre peut être dévastatrice.
Lors de cette visite en Pologne, j'ai eu l'occasion, entre autres, d'écouter Piotr Cywiński, le directeur du musée d'Auschwitz. Beaucoup de choses m'ont intéressé dans son propos. Mais dans son exposé, un élément a particulièrement retenu mon attention plus que le reste. L'orateur a livré, au pied levé, quelques statistiques concernant la provenance des visiteurs. Visiblement aux quatre coins du globe, ou presque, toutes les populations s'intéressent à ce qui s'est produit dans ces camps de l'horreur sauf… celles originaires des pays du Maghreb et du Proche-Orient.
Evidemment, quand on entend ce genre de choses, on essaye de mettre en marche son esprit critique et de ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Surtout pas de stigmatisation ! Oui je l'écris de façon ironique, car je suis en colère et j'ai honte. J'ai honte pour ces sociétés abreuvées par la culture de l'indifférence quand elles ne sont pas nourries à la mamelle de la haine antisémite.
Surtout pas de stigmatisation, me dis-je. Les Maghrébins, les nord-Africains, les Berbères et les Arabes, les musulmans, réels ou supposés et tous les habitants d'Egypte, de Jordanie ou du Yémen, pour ne citer qu'eux, n'ont pas la possibilité de faire le déplacement en Pologne -et donc à Auschwitz- car pas de moyens financiers et peu de visas. J'ai pensé ainsi d'autant que Piotr Cywiński, le Directeur du musée, a été rassurant puisqu'il voyait bien que des diplomates de pays arabes, accrédités en Pologne, faisaient parfois le déplacement, discrètement, en famille pour une visite éclair des camps, sans se faire annoncer et généralement en fin d'après-midi quand tous les visiteurs s'apprêtent à partir. Histoire de ne pas être vus.
Ces visiteurs honteux ne veulent surtout pas être identifiés et probablement espèrent-ils que leur gouvernement n'apprenne jamais l'existence d'une telle escapade. Positivons: peut-être considèrent-ils qu'un détour par Auschwitz serait l'expression symbolique d'un acte de rébellion contre ceux qui les dirigent. Car dans ces pays, on ne se recueille pas sur des juifs, même tués par la folie nazie, il y a de cela 70 ans. Quand le juif, "cet être si détestable" n'inspire pas le mépris, il suscite la haine, en tout cas jamais la compassion. C'est presque culturel. Une conséquence directe, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire et de l'écrire, de quasiment 14 siècles de judéophobie musulmane, de deux siècles d'antisémitisme islamiste, salafiste ou wahhabite, de près d'un siècle de haine inspirée par les Frères musulmans, et de près de 70 ans de discours dits "antisionistes" inspirés par les nationalistes nassériens ou par les extrême-gauches. C'est dire que le mal est très profond. Il vient de très loin. Probablement un point commun avec la Pologne et certains autres pays d'Europe centrale soumis tous à cet antisémitisme d'inspiration catholique.
Dans les pays dits "arabo-musulmans", pour reconnaître la souffrance de l'autre, on exige que la sienne soit reconnue d'abord. Dans ces pays, l'humanisme reste généralement une notion vague et la surenchère victimaire est une ligne de conduite. Dans ces pays, une large partir de la population, dirigée le plus souvent par des régimes illégitimes, n'aime pas le juif. Et pour haïr le juif, tous les prétextes sont bons: "Allah a dit…", "Mahomet a dit…", "Nasser a dit…", "Chavez a dit…", "l'imam a dit…", "Ben Laden a dit…", "Al Baghdadi a dit…", "Arafat a dit…", "la rue a dit…", "Pascal Boniface a dit…", "Ramadan a dit…", "Dieudonné a dit…", "Soral a dit…", "Jean-Marie le Pen a dit…", "Netanyahu a fait…".
Mais ne stigmatisons pas ! Cela déplairait à Edwy Plenel. Nous faisons un mauvais procès: les "Arabes" sont pauvres et les voyages vers Auschwitz sont coûteux. Et si on trouve peu de Saoudiens, peu de Qataris et peu de Koweitiens, c'est probablement parce qu'à Cracovie et encore moins à Auschwitz, il n'y a pas d'hôtels dignes du rang de ces gens-là.
Quand on interroge Piotr Cywiński, il nous explique aussi que peu d'Européens d'origine arabe ou maghrébine se rendent dans ce lieu. Et je me souviens en effet que certains ont posté des photos mettant en avant le geste de la quenelle réalisé à l'entrée de Birkenau. Tout un art ! Et que d'élégances!
Mais ne stigmatisons pas puisque si les "Arabes" – et disons par prolongement les musulmans, même si personne ne peut sonder les cœurs et les croyances – ne se déplacent pas jusqu'au camp de la mort, les outils qui permettent de mesurer les fréquentations des sites internet pourraient nous indiquer que celui du musée d'Auschwitz connaitrait une fréquentation régulière et que ces visites émaneraient aussi d'Afrique du nord ou du Proche-Orient, à l'instar de tous les autres pays de la planète. Que nenni! Il n'y a quasiment aucune fréquentation venant de pays arabes ou d'Iran. Ni le site arabophone ni le site en persan n'intéressent les masses. Même les universités arabes et les centres de recherches ne semblent pas être attirés par la thématique. Pour cause, l'islamisme séduit davantage. Et, semble-t-il, même quand quelques frémissements se font sentir, cela proviendrait de quelques universités occidentales qui disposent d'une chaire en arabe ou en persan. C'est dire le poids de l'indifférence. Ou peut-être le degré de l'antisémitisme. Comme le dirait si bien Jean-Marie Le Pen, contempteur des "Arabes" quand ils sont français et laudateurs des dictateurs syriens ou irakiens, Auschwitz reste pour ces populations, abreuvés de la haine de l'Autre en général et de la détestation du juif en particulier, "un détail de l'Histoire".
Mais ne stigmatisons pas: se désintéresser de la Shoah, ce n'est pas de l'antisémitisme. C'est juste un manque d'humanité.
Mohamed Sifaoui
Source : Le Huffington Post
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