L’obsession de l’inviolabilité du cockpit, cause de l’accident de Germanwings 952, selon un pilote-instructeur

KASSATAYA – L’avion est, sans aucun doute, le moyen de transport le plus sûr au monde. Cependant, le risque zéro n’existe pas, même si la probabilité en est très faible (10-6). Mais le moindre accident d’avion est très vite et très largement médiatisé, et fait rapidement le tour du monde, porté par la presse et les réseaux sociaux. Et chacun y va de ses spéculations sur les causes, avant même que les organismes ad hoc n’aient pu se prononcer.

A propos de ces derniers, je rappelle, puisque je l’avais déjà écrit, que suite à la survenance d’un accident, deux commissions sont immédiatement mises en place par le pays d’occurrence ou par le pays d’immatriculation de l’avion si l’accident a lieu dans les eaux internationales.

La première commission est judiciaire et a pour mission d’établir les responsabilités aux fins de sanctions et d’indemnisations.

La seconde, technique et factuelle, est chargée d’expliquer l’enchainement qui a conduit au drame, l’objectif étant d’en tirer tous les enseignements et d’émettre les mesures techniques et opérationnelles à même d’éviter d’autres accidents. Les causes de ceux-ci sont le plus souvent  d’ordre technique, humain ou opérationnel. Statistiquement, ils sont imputables à :

  • 67 % au facteur humain (équipages),
  • 12 % au facteur technique (l’avion),
  • 10 % à la météo,
  • 3 % à la maintenance,
  • 8 % autres.

L’industrie y a répondu par de nouveaux matériaux, équipements et matériels, concepts et designs, des  motorisations plus fiables et plus sobres, un niveau d’automatisation toujours plus élevé, une standardisation des formations et des procédures sans cesse revue pour mieux les adapter, des systèmes de surveillance et retours d’expérience. Au résultat, la sécurité du transport aérien et son efficacité s’en sont trouvées améliorées.

Une deuxième catégorie de causes était apparue au début des années soixante et qui concerne les accidents imputables aux interventions illicites, « actes de nature à compromettre la sécurité de l’aviation civile et du transport aérien ». Ces actes ont appelé des mesures de sûreté, « combinaison des mesures et moyens humains et matériels visant à protéger l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite », qui ont été mises en œuvre par les Etats qui ont « la souveraineté totale et exclusive sur leur territoire terrestre, maritime et aérien ». En plus, et sous l’égide de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), des conventions internationales virent le jour :

  • La Convention de la Haye pour la répression de la capture illicite,
  • La Convention de Montréal pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation.
  • La Convention de Tokyo relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des avions.
  • Ainsi, l’accès des avions devient quasiment impossible, en tout cas très difficile, aux candidats mal intentionnés.

En plus des défauts techniques ou opérationnels et des interventions illicites, les causes d’accident d’avion les plus inattendues sont celles venant des cockpits,  volontairement provoquées par ceux-là mêmes, les pilotes, qui sont en charge de réaliser l’obligation de résultat qui, en vertu du contrat de transport, incombe au transporteur qu’ils représentent ; leur mission première est d’amener les passagers à destination en toute sécurité. En trente ans, sept crashs d’avion ont été provoqué par l’un des pilotes :

  • 09/02/1982 : Japan Airlines 350-        24 morts
  • 21/08/1994 : Royal Air Maroc 630 –    44 morts
  • 31/10/1999 : Egyptair 990-              217 morts (les USA considèrent qu’il s’agit d’un suicide alors que les égyptiens soutiennent la thèse d’un missile américain provenant des manœuvres militaires qui étaient en cours en Atlantique nord).
  • 29/11/2013 : LAM Mozambique 470- 33 morts
  • 08/03/2014 : Malaysian Airlines 950- 239 morts (hypothèse non encore confirmée)
  • 24/03/2015 : Germanwings 9525-  150 morts (forte probabilité du suicide mais enquête toujours en cours).

Il faut déplorer que cette catégorie d’accidents suicidaires n’ait été traitée qu’à la marge : couverture médiatique sommaire, pas même de début de mesures correctives. Est-ce parce que les pays et les compagnies concernés sont périphériques (Afrique, Asie) ? Le constat est que dès que de grands pays furent touchés, les choses ont commencé à bouger, non sans précipitation. Ainsi, dès le lendemain du 11 septembre 2001, les Etats-Unis envisagèrent d’équiper les pilotes d’armes létales avant d’abandonner cette idée et de lui substituer la sanctuarisation du poste de pilotage par le blindage de la porte et la vidéosurveillance. Cette mesure par eux imposée au reste du monde et dans la précipitation n’avait pas été réfléchie dans tous ses effets. Se focaliser sur la seule inviolabilité du cockpit a eu pour conséquence l’accident du vol Germanwings 9525, en France. Alors, l’émotion et la pression médiatique montent, les organismes officiels s’emballent et décident la présence dans le poste de pilotage d’une deuxième personne en cas d’absence momentanée (nécessité physiologique) de l’un des pilotes. Pourquoi faire ? Quoi faire ? quand et comment faire ?  Quelles compétences pour pouvoir faire ? Dans quel état mental et psychique pourrait être cette personne ? Attention donc à ne pas créer des situations plus graves de conséquences que le problème qu’on voudrait résoudre, comme cela a été fait précédemment ! Il convient donc de prendre le maximum de recul possible et le temps nécessaire à l’étude approfondie du phénomène qui ne confonde pas symptôme et syndrome, et qui permettrait d’envisager l’ensemble des options, les avantages et les risques associés.

Le crash volontaire d’un avion par son pilote ne peut se concevoir que lorsque son auteur se trouve  dans une situation de défaillance mentale et ou psychique, passagère ou permanente. Ces états et les tendances suicidaires qu’ils induisent sont-ils toujours détectables ? La réponse est de la compétence des spécialistes : médecins, psychiatres, psychologues, etc. Cependant, il convient d’indiquer que les pilotes militaires et ceux des grandes compagnies aériennes subissent un examen médical et des tests psychotechniques approfondis dont le résultat positif est un pré-requis à leur entrée en formation ou à leur intégration dans la compagnie.  Tous déséquilibres mentaux ou psychiques décelés à ce stade, ou à tout autre stade d’ailleurs, sont rédhibitoires, donc définitivement éliminatoires. Durant toute la carrière du pilote ensuite, seule l’aptitude médicale périodique (annuelle jusqu’à l’âge de 40 ans, semestrielle au-delà) est requise. Mais la très grande majorité des pilotes ne subissent pas ces examens psychotechniques. Ils intègrent directement des centres de formation, institutions privées, où les seuls pré-requis sont l’aptitude médicale et le financement de la formation. Formés, qualifiés, ils se présentent sur le marché du travail où les compagnies aériennes, à l’exception de celles mentionnées plus haut, les accueillent sans autres exigences que cette aptitude physique. De ce qui précède, il me semble indispensable de prendre les mesures suivantes :

  1. Faire évoluer la réglementation dans le sens de rendre obligatoire les tests psychotechniques avant l’entrée en formation de pilote et instaurer un examen psychique et mental à validité périodique (décennale, par exemple).
  2. La liberté de consulter le médecin de son choix et le secret médical posent le problème de la communication à l’Autorité et à l’employeur de toutes tendances suicidaires constatées. Il y a là matière à impliquer le législateur, les défenseurs des libertés, les médecins, et plus généralement toutes les structures concernées.
  3. Les admissions, contrôles et suivis médicaux et mentaux doivent être confiés à des centres spécialisés comme, à titre d’exemple, les actuels CEMPN (Centre d’Expertises Médicales du Personnel Navigant), plutôt qu’à la médecine de ville comme c’est la tendance aujourd’hui.

 

Dans la foulée, je me pose la question de savoir où en est l’Afrique par rapport à ces problématiques ?

Le transport aérien africain représente 2% du transport aérien mondial, malgré un taux de croissance actuel et prévu parmi les plus élevés. Dans le même temps, le continent détient le taux d’accidents aériens le plus élevé et 50% des crashs suicidaires lui sont imputables. L’atomisation des compagnies aériennes et d’autres structures aéronautiques est responsable de leurs déficits alors qu’ailleurs, pour survivre, les grandes compagnies aériennes et organismes aéronautiques se regroupent en alliances afin de mutualiser leurs moyens et gagner en compétitivité. Il est urgent de faire face à ces situations préoccupantes, notamment par la mutualisation des moyens, avec ce qu’elle comporterait comme abandon de souveraineté, à travers la création de :

  • pools de formation aéronautiques raisonnablement répartis à travers le continent ;
  • pools de maintenance et de pièces de rechange également bien répartis ;
  • pools de négociations d’assurances, de droits de trafic, d’achat de carburant ;
  • regroupements de compagnies aériennes régionales ;
  • pools de standardisation et d’adaptation des législations, règlements et procédures ;
  • centres d’expertises médicales et mentales africains qui répondraient aux différentes atypies, causes d’élimination alors qu’elles seraient normales chez nous.
  • Etc.

L’Union Africaine, la Commission Economique pour l’Afrique, l’OACI, la BAD devraient être mises à contribution-voire se saisir-pour permettre le développement du transport aérien dans notre continent, outil indispensable au développement de chacun de nos pays et de l’Afrique toute entière./.

Brahim BOIHY, ancien commandant de bord Air France, Pilote-instructeur

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